Christophe Huerre est le DSI groupe de Thales. Il détaille comment la digital factory et la DSI de l’entreprise mènent une transformation transverse autour des applications, du cloud et surtout des données, pour permettre aux activités du groupe de générer de nouveaux axes de valeur.
Pourquoi le sujet de la transformation applicative vous paraît clé chez Thales aujourd’hui ?
Il faut prendre en compte deux dimensions complémentaires. La première est devenue une évidence pour les grands industriels : le digital doit être une source de revenus à part entière.
Chez Thales, c’est la digital factory qui porte ce sujet : comment identifier des produits numériques et de valorisation de données qui vont devenir une nouvelle source de revenus, en extension de nos business classiques civils ou de défense ? Pour accompagner cette ambition, la DSI va devoir gérer la standardisation des choix technologiques et le bon fonctionnement des environnements collaboratifs qui permettent de s’en emparer.
Mais la DSI a également intérêt à poursuivre cet objectif de modernisation applicative ; c’est la seconde dimension. Nous n’en sommes plus aux grands projets d’ERP, de PLM ou d’e-commerce… La préoccupation actuelle est de faire en sorte que l’entreprise devienne une data driven company. L’enjeu est bien la data, son extraction, sa combinaison… pour être capable d’aller chercher la valeur où elle se trouve. Il s’agit donc de construire les surcouches décisionnelles, les API… pour développer les nouvelles générations d’applications véritablement orientées data dans un écosystème très riche. Les anciennes applications ne peuvent pas permettre de devenir une entreprise centrée sur la data ; il faut donc cette transformation applicative.
Comment se fait le lien entre la DSI et la digital factory du groupe sur de tels sujets ?
La digital factory est un fer de lance pour accélérer la transformation de toutes les fonctions du groupe, y compris la DSI. Elle a été une pionnière par exemple sur le DevOps, sur l’adoption des méthodes agiles, sur le déploiement de nouvelles plateformes de développement cloud. C’était un moyen de démontrer l’efficacité du modèle et l’intérêt de pouvoir faire abstraction des contraintes d’infrastructure. Elle sert de modèle pour la transformation à l’échelle de la DSI, qui compte plus de 2 000 collaborateurs dans le monde et qui fait face à une contrainte d’industrialisation bien différente de la démarche d’innovation. La DSI a un devoir de maîtrise des coûts à l’échelle et une partie des économies réalisées peut d’ailleurs être réutilisée pour l’innovation. En quelque sorte, la DSI permet de valoriser au niveau du groupe dans son ensemble les assets qui ont pu être portés au départ uniquement par la digital factory.
[bctt tweet= »« La DSI permet de valoriser au niveau du groupe dans son ensemble les assets qui ont pu être portés au départ uniquement par la digital factory. » » username= »Alliancy_lemag »]Concrètement, qu’est-ce qui permet de mener cette industrialisation ?
Nous avons deux grandes familles de produits digitaux et pour chacune d’entre elles, il a fallu travailler sur une approche particulière. La première regroupe les produits à destination de nos clients. Dans ce cadre, la digital factory va délivrer ses premiers MVP et l’étude framing qu’elle a conduite avec le business. Et une fois atteint un niveau « commercialisable », elle va transférer le produit aux équipes de développement logiciels intégrés à nos business, qui le mettront à l’échelle. Pour que cela fonctionne, il faut avant tout qu’il y ait une mixité des équipes entre les entités afin d’assurer le passage de relais. Cette coopération étroite au sein des équipes permet de faire en sorte que, après un certain nombre de sprints, les MVP soient transmis naturellement aux business qui les ont initiés.
Et la seconde famille de produits digitaux ?
C’est évidemment celle à destination interne, pourvoyeuse de productivité. Ce sont toutes les applications utilisées dans la gestion de l’entreprise, y compris les plus transversales. Ces outils sont, eux, repris par la DSI en termes de management du cycle de vie. La DSI créé alors une réplique du fonctionnement de la digital factory en intégrant la contrainte de maîtrise des coûts à l’échelle. Pour y parvenir, nous utilisons l’intégralité des types de ressources à notre disposition : internes, near shore, offshore… en fonction des besoins.
C’est un contrat de transmission au sens propre qui est passé, et qui permet de définir le knowledge transfer nécessaire, autour d’un nombre type de cycles. Les MVP deviennent de cette façon des produits internes au service des grandes fonctions transverses que sont les RH, les finances, etc. Nous avons dû fortement changer nos modes de fonctionnement pour en arriver là. Aujourd’hui nous avons entre cinquante et soixante squads agiles dans le monde qui continuent à supporter des projets qui ont été récupérés à partir de la digital factory. Certains ont même été initiés directement par la DSI en mode agile.
Comment vous assurez-vous de bien capter les besoins des métiers pour y répondre ?
Ces value towers permettent de définir les besoins à court, moyen et long termes, et de les exprimer en termes d’efficacité et de différenciation. À partir de ces besoins business exprimés, sont définis les projets qui vont supporter cette vision et les investissements à mettre en face. Les value towers ont une allocation budgétaire globale, sur laquelle s’alignent ensuite des pipelines de projets. Ces projets digitaux, qui peuvent être un outil à part entière ou une intégration d’applicatifs entre eux, passent par un filtre systématique : sait-on valoriser le résultat et sait-on étendre cet objet à une audience suffisamment large au sein du groupe ?
[bctt tweet= »« L’un des enjeux de la transformation applicative et de la transformation cloud est de réussir à standardiser, malgré les différences d’environnement. » » username= »Alliancy_lemag »]L’industrialisation est au cœur de la réflexion : nous avons réduit fortement les développements spécifiques locaux, pour privilégier du réutilisable d’une business unit à une autre et d’un pays à un autre. Chaque value tower compte un membre du comex, des leaders fonctionnels qui représentent les business, et des DSI, pour prendre ensemble des décisions transverses rapides. À cela s’ajoute une sorte d’algorithme interne, qui permet de calculer les points de chaque projet en termes de valorisation et de potentiel, et de suivre que l’on réalise bien la valeur qui a été promise au départ. C’est le cœur du réacteur de la transformation aujourd’hui, avec l’objectif d’avoir une centaine de squads qui vont supporter ces projets mondiaux. Infrastructure, décisionnel, RPA… tous les sujets de la DSI sont concernés.
Quel rôle joue la transformation cloud de Thales dans cette équation ?
Le groupe évolue sur des marchés civils et dans la défense, qui n’ont pas le même goût du risque et d’adoption des ressources cloud. Nos problématiques sont plutôt d’ordre géopolitique et intelligence économique, que de l’ordre de la cybersécurité. S’il n’y avait que la dimension technique en jeu, cela ferait longtemps que je n’aurais plus aucune infrastructure en propre ! Mais cela ne nous empêche pas de mener une transformation de fond.
Par design, la digital factory a été exclusivement construite sur des ressources et des plateformes de développement cloud, avec quelques fois la contrainte, pour des développements à usage interne, de pouvoir les reporter sur du on premise si nécessaire. En gardant ces possibilités en tête, nous essayons donc de définir des frameworks de développement qui puissent être facilement transposables et qui fonctionnent aussi bien en on premise qu’en cloud. L’un des enjeux de la transformation applicative et de la transformation cloud est de réussir à standardiser, malgré les différences d’environnement. Le rôle du DSI est de trouver le bon équilibre.
La question du bon équilibre se pose-t-elle aussi sur l’effort de modernisation applicative au niveau de l’existant ?
Il est évident que certains applicatifs sont très structurants et très compliqués à déployer, sans être pour autant pourvoyeurs de différenciation positive pour l’entreprise. Ce sont des investissements lourds, qui ne peuvent être réinventés à moyen terme. Nous avons cinq piliers majeurs dans cette logique : l’ERP, le PLM, les outils de project management, les plateformes d’engineering et la gestion documentaire complexe. Nous voulons amener l’innovation sur tout le reste, tout autour.
L’effort se fait ainsi sur les couches supérieures du système d’information, où les maîtres-mots vont être l’interopérabilité et la communication entre toutes ces applications. Activité d’engineering, plateformes de développement, outils de CAO, liaison avec le PLM, Kubernetes… nous menons de forts investissements pour permettre l’échange des données entre les systèmes, car c’est là qu’est la valeur. Ce sont les nouveaux composants du landscape applicatif qui n’existaient pas dans les entreprises il y a quatre ans. C’est sur eux que l’effort doit se porter pour libérer le potentiel des data en notre possession.