Isabelle Rault-Diamé, directrice relation client chez Humanis décrit les enjeux du groupe de protection sociale en matière de culture client. Elle revient notamment sur le projet « Attitude Client » qu’elle a piloté entre 2015 et 2017 concernant l’évolution de la branche « Retraite Complémentaire » en la matière.
Peut-on dire qu’un groupe comme Humanis est confronté à un enjeu de « culture client » ?
Isabelle Rault-Diamé. Nous avons surtout un enjeu d’harmonisation de différentes cultures clients. Humanis vient de la fusion de trois groupes en 2013 avec des cultures d’entreprise et des pratiques naturellement différentes. Dans ce cadre, faire collaborer 6000 personnes de manière harmonisée ne se fait pas en un claquement de doigt. C’est pour cela que l’on a pris deux années pour faire un réel diagnostic des actions à mener sur le sujet « Retraite Complémentaire » par exemple, avant de lancer nos chantiers sur le sujet en 2015 à travers le projet « Attitude Client ». Cet objectif d’harmonisation se résume ainsi : que tout le monde ait la même vision du client et la même vision que le client. Cela a des implications diverses : fédérer le discours, mais aussi fluidifier le parcours client lui-même. Pour y parvenir, on ne pouvait pas faire du « hors-sol » en se contentant de déterminer une méthode et de la prescrire aux équipes de gestion.
Quel est votre retour d’expérience sur les chantiers que vous avez mené en complémentaire retraite ?
Isabelle Rault-Diamé. La branche « Retraite Complémentaire » d’Humanis est une bonne illustration de nos enjeux globaux. Elle regroupe environ 2000 collaborateurs répartis sur 20 sites sur toute la France. Nous assurons le service de 4 millions d’allocataires retraite, ainsi que l’instruction de près de 200 000 liquidations de retraite. Le périmètre représente 22% de celui de l’Agirc-Arrco.
Au sein de la direction relation client retraite, 140 personnes assurent deux activités : l’interlocution avec le client, notamment à travers nos centres de contact, la gestion du droit à l’information. Cette équipe travaille en lien étroit avec les pôles de gestion, notamment le pôle Cicas, qui est le centre de conseil aux salariés. Ce dernier leur permet de faire valoir leur droit, que nous gérons pour le compte de l’Agirc-Arcco, avec un accueil physique en agence. On le voit : ce sont une multitude de missions et de canaux de contact que nous avons dû prendre en compte.
Le sujet des retraites a-t-il des spécificités ?
Isabelle Rault-Diamé. Contrairement à d’autres activités, le sujet n’intéresse presque personne jusqu’à l’âge de 50 ans environ. Nous sommes dans le cas de « clients qui s’ignorent » et qui prennent tardivement conscience des enjeux. Pour Humanis, cela signifie avoir une capacité de proactivité extrêmement forte pour anticiper au mieux ce moment clé, afin d’atténuer l’effet tunnel administratif obligatoire. Or, des acteurs comme Amazon sont passés par là et les attentes des personnes qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite sont à l’avenant de ces nouveaux usages et habitudes. Elles veulent des réponses instantanées, un suivi beaucoup plus précis et intuitif… Et contrairement à un « achat plaisir » en ligne, nous sommes dans le cas de la retraite sur un sujet plutôt anxiogène, ce qui rend ces exigences d’autant plus aigües. Il y a donc un très important sujet de gestion « métier » pour Humanis, autour d’une relation client mis au goût du jour et qui doit être très qualitative pour rassurer.
Par quoi cela passe-t-il ?
Isabelle Rault-Diamé. Une de nos priorités est l’automatisation, à travers l’évolution du système d’information, notamment sur les actes de gestion importants du point de vue du client. Par exemple en permettant des confirmations plus intuitives (par sms…) au moment du premier versement puis en flux. Ce genre de contacts rassurants doit être généralisé sur l’ensemble du parcours administratif. Ce sont des petits détails techniques d’un point de vue global, mais ce sont des aspects fondamentaux pour maintenir un lien spécifique avec le client sur les moments clés qui comptent vraiment à ses yeux. De cette manière on améliore la satisfaction et on crée potentiellement des ambassadeurs qui porteront aussi nos autres services, non-obligatoires contrairement à la différence de retraite complémentaire. C’est également une amélioration de la gestion de flux énormes. A titre d’exemple ces flux représentent 1,4 million de contacts à l’année. Il faut que nous fassions de cette masse de contacts une opportunité d’améliorer la qualité du lien avec le client, plutôt que de seulement multiplier à l’infini des petites interactions sans grande valeur, ni pour le client, ni pour Humanis.
Ce genre de changement est souvent transparent du point de vue du client…
Isabelle Rault-Diamé. Nous avons avancé sur des sujets beaucoup plus visibles, à travers des développements touchant le « front ». Par exemple, nous avons implémenté la prise en compte du langage naturel sur notre serveur vocal depuis septembre 2016. Les clients peuvent donc poser directement une question à l’oral plutôt que d’être dans un cheminement dans une longue arborescence : « tapez sur 1, tapez sur 2… ». Nous avons également implémenté du self-care, par téléphone et pour la gestion d’attestation de paiement automatique notamment, adressé en moins de 10 jours. Ce sont des évolutions significatives pour le client. De manière plus générale, 2017 a été une année de chantier sur l’e-mail, avec une forte conviction de notre côté : contrairement à ce que l’on peut penser, ce canal explose et ne cannibalise pas d’autres flux de contact. Le client s’informe de manière asynchrone avant de rentrer dans un échange téléphonique qui a du coup plus de valeur.
Vous mentionniez l’enjeu de ne pas faire de ces changements une simple « prescription » top-down. Quelle méthode avez-vous mis en place ?
Isabelle Rault-Diamé. L’idée était de respecter un format projet cohérent : pluridisciplinaire, avec une forte dimension opérationnelle, un accompagnement au changement permanent et surtout une capacité à lier ce qui se passait au niveau du front office et du back office. Il a fallu croiser des idées venues de toute part. J’ai porté ce sujet chez Humanis, justement parce que j’avais la chance de cumuler les deux visions : celles du management opérationnel, et des contraintes de gestion qui vont avec, et celle de la relation client elle-même. Ces deux univers ne parlent pas la même langue. C’est donc un vrai travail de pousser à l’échange, à la co-construction et de valoriser tous les acteurs – des centres de contact jusqu’à la DSI. Nous avons identifié des équipes pilotes mixtes, tout en annonçant dès le départ que l’engagement et la transformation seraient longs. Cela a permis de mener différents chantiers : celui des outils partagés entre front-office et back-office, celui de la rationalisation des discours, celui de la création de nos marketplaces. En parallèle, nous avons créé une véritable offre pédagogique et de formation pour dédramatiser ce sujet de la relation client en interne, à travers des jeux, des quizz légers, des « Vis ma vie » permettant à des collaborateurs côté back-office de découvrir le quotidien de leurs alter-égos du front, et vice-versa. Quand chaque personne s’incarne physiquement aux yeux du reste de l’entreprise, c’est toute la chaine de la relation qui s’améliore.
*Depuis 2003, il permet de mener les entretiens d’information retraite pour les plus de 45 ans mais aussi d’effectuer des sensibilisations pédagogiques.