[Exclusif] Nommé directeur général d’OVH l’été dernier, Michel Paulin est chargé de la mise en œuvre du plan stratégique « Smart Cloud ». Il revient pour Alliancy sur l’importance de consolider la position du seul hébergeur européen, comme leader alternatif du cloud.
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Alliancy. De nombreuses entreprises font aujourd’hui le choix du Cloud Computing, proposés par des géants américains pour héberger leurs infrastructures, leurs plateformes et/ou leurs logiciels. Choisir OVH, le seul acteur européen d’ampleur dans ce domaine, est-ce pour elles une alternative ?
Michel Paulin. Evidemment et ce n’est pas qu’une question de prix. Nous sommes moins chers que la plupart d’entre eux, mais la question est aussi ailleurs. Il y a surtout une incompréhension d’un certain nombre de décideurs des enjeux que l’hébergement de données implique. Tous ne font pas l’effort de s’y intéresser vraiment… On voit des évolutions certes, mais la maturité autour du cloud doit être collective. Notre plus grand rempart aujourd’hui reste le CIO, qui hésite encore à choisir une entreprise française… face aux géants mondiaux, américains ou chinois, qui sont nos concurrents.
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Elles font pourtant preuve d’une réelle prise de risques en ce qui concerne leurs données…
Michel Paulin. La compréhension de l’importance de la data, pour le grand public, à un niveau éthique (à qui appartient la donnée ? Qu’est-ce que l’on a droit d’en faire ?), juridique (RGPD), légal ou technique… n’est absolument pas au niveau. Dans le BtoB, la prise de conscience est là. En ce moment, suite à l’affaire Facebook/Cambridge Analytica, nous avons de plus en plus de demandes autour du Cloud Act* par exemple… Les dirigeants ont compris que l’administration américaine peut saisir les emails ou tout autre document électronique, stockés sur des serveurs américains à l’étranger. Mais ces sujets n’émergent vraiment qu’aujourd’hui…
Et du côté des politiques ?
Michel Paulin. Il y a une prise de conscience des leaders politiques de l’Europe de l’ouest notamment sur les données publiques. Il y a eu de récentes prises de paroles en ce sens. Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie, a déclaré vouloir « poser des limites claires au Cloud Act ». Mais, il l’envisage à travers la défense, la sécurité nationale…
Certes, c’est très important, mais il faut aller un cran plus loin. Quand une grande banque héberge toutes ses données clients dans un cloud non-européen, comprend-elle tout ce que cela implique ? Ce n’est pas un sujet technique, mais bien une culture d’entreprise. Les directeurs juridiques, marketing et les PDG de toutes les entreprises françaises devraient s’intéresser au Cloud Act…
Leur réponse est souvent qu’elles cryptent leurs données…
Michel Paulin. Tout le monde sait que les solutions de cryptologie peuvent être craquées… et la majorité de ces outils sont américains.
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J’entends, mais dans ce cas, que peut faire une entreprise européenne en matière d’hébergement ?
Michel Paulin. Il y a des solutions ! OVH en fait partie, mais ce n’est pas la seule. J’ai la prétention d’affirmer qu’il existe en Europe des acteurs qui ont des technologies aussi performantes, aussi innovantes, aussi disruptives que les géants dont on parle. La réponse en revanche doit être d’abord une compréhension de tous ces enjeux par l’ensemble des acteurs économiques, légaux et politiques… Annoncer un partenariat stratégique avec un géant du cloud, américain ou chinois, ne doit pas servir seulement un cours de bourse ! Il doit y avoir une prise de conscience sur le fait que la donnée devient un enjeu capital de compétitivité économique et que les solutions choisies ont des implications techniques en fonction des fournisseurs… et, après seulement, en connaissance de cause, chacun décide.
Le fait que ces concurrents américains aient ouvert des data centers en Europe, cela change-t-il quelque chose ?
Michel Paulin. Rien. Le Cloud Act touche toutes les données et métadonnées hébergées dans des data centers appartenant à des sociétés américaines, où qu’ils soient implantés. Mais, par rapport à cela, tout le monde devrait juste se poser deux questions simples : par qui et où sont stockées mes données ? Et du coup, de quelle juridiction dépendent-elles ? Et tout cela n’a rien à voir avec la technique comme certains voudraient trop le faire croire.
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Qui doit œuvrer pour cette prise de conscience ?
Michel Paulin. Cela passe par les médias évidemment, mais aussi peut passer par les syndicats professionnels, par le Cigref… même si aujourd’hui les directions informatiques des grands groupes ne sont pas toujours des directions de développement, mais souvent des directions de chefs de projet qui sous-traitent à des tiers… On a la même problématique dans les collectivités locales.
Du coup, faut-il voir ce sujet à un niveau européen ?
Michel Paulin. Tout à fait et cela dépasse largement OVH. Nous, Européens, qui avons la chance d’avoir la GDPR, comment allons-nous avancer sur ce sujet de la protection des données ? C’est un sujet politique et économique, qui devrait être traité au même niveau que la sécurité au travail. En Allemagne par exemple, le gouvernement vient de passer à l’action, concernant le stockage de toutes les données publiques. La France et l’Europe doivent avoir assez de pouvoir pour agir également…
En tant que « pure player » du cloud, quelle valeur alternative apportez-vous ?
Michel Paulin. Le modèle d’OVH, totalement disruptif, est en avance sur son temps. Le fait que nous soyons intégrés industriellement (lire encadré) et maîtrisions l’ensemble de la chaîne de production et les composants, y compris la chaîne du software, basée sur l’open source et « auditable » ; le fait que nous ayons choisi la technologie du « water cooling » pour refroidir nos serveurs, et non pas la climatisation très énergivore, tout ceci est unique…
Pour autant, je ne souhaite pas que l’on privilégie OVH uniquement car c’est un acteur français… Nous sommes un acteur européen alternatif du cloud, qui couvre tous les types d’hébergement et à des prix très accessibles. La valeur que nous apportons est différente de celle des autres, avec un modèle que nous contrôlons de bout en bout, totalement réversible. Le problème du cloud aujourd’hui est qu’il ne doit pas devenir une prison ! Chez OVH, le cloud est accessible, réversible et transparent, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs et certains commencent à s’en rendre compte en se mordant les doigts.
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Vous vous déployez sur le marché nord-américain aujourd’hui ; Octave Klaba vit désormais à Austin… Quels sont vos objectifs là-bas ?
Michel Paulin. Le marché américain représente 50 % du marché mondial du cloud, et c’est le plus foisonnant. Y être présents nous permet de comprendre mieux cette dynamique et le fonctionnement de ce marché. Là-bas, on commence à voir des acteurs réfléchir à sortir de solutions cloud qui leur coûtent extrêmement cher, sans pouvoir agir à leur guise… Exactement l’inverse de ce que nous proposons ! Notre présence outre-Atlantique est également utile à certains de nos clients qui disposent de filiales locales. Nous sommes un acteur européen à présence mondiale, qui cloisonne selon les régimes. OVH US est une filiale distincte techniquement et juridiquement d’OVH Groupe, pour une étanchéité claire vis-à-vis du Cloud Act.
Quelles entreprises clientes privilégiez-vous aujourd’hui ?
Michel Paulin. Historiquement, OVH travaillait avec les « Digital Natives », des sociétés très technophiles. C’était notre cœur de cible. Depuis trois ans, OVH a décidé de proposer aussi ses services aux ETI et aux grandes entreprises. Nous avons structuré nos offres et revu notre approche commerciale en ce sens. Aujourd’hui, notre écosystème de partenaires et nos solutions permettent de répondre aussi bien à la toute petite PME qu’à un grand groupe en transition vers le cloud, y compris en terme d’assistance. D’ailleurs, nous embauchons continuellement dans la vente et le marketing, l’assistance et le support… et non plus seulement dans la technique.
* Le « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act » (ou Cloud Act) est une loi fédérale adoptée en mars 2018 par les Etats-Unis. Cette loi permet aux autorités judiciaires américaines d’accéder et de saisir les données électroniques stockées sur un territoire étranger (en France par exemple) par des hébergeurs comme Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, Google Cloud, IBM ou Oracle…
Quelques repères : OVH, « pure player » européen du cloud
- Société française créée en 1999
- Classée 10ème société au monde dans le domaine du cloud (1 % du marché mondial)
- Chiffre d’affaires 2018 ; > 500 millions d’euros (+ 20 %), 1 milliard attendu à l’horizon 2021
- Investissements 2018 : 300 millions d’euros (1,5 milliard sur la période 2016-2020)
- 2 200 collaborateurs sur quatre continents (dont 200 personnes en Amérique du Nord)
- Plus de 1,5 million de clients dans le monde
- 300 000 serveurs physiques et 350 000 serveurs virtuels répartis dans 28 centres de données sur 12 sites sur 4 continents
- OVH possède son propre réseau de fibre noire mondial d’une capacité de 13 Tbit/s
- OVHcloud propose des offres sur 4 segments de marchés
Une production en propre de ses serveurs
OVH produit ses propres serveurs pour le monde entier depuis deux usines situées en France et au Canada. L’usine française vient de déménager dans des locaux de 15 000 mètres carrés à Croix (Nord). A terme, la production avec six lignes d’assemblage (4 lignes actuellement) devrait y atteindre les 400 000 unités par an, soit quatre fois plus qu’aujourd’hui. Les serveurs, spécialement adaptés au watercooling, la technologie de refroidissement propre à OVH (elle permet de supprimer la climatisation), sont destinés à ses data centres implantés en Europe, en Asie, aux Etats-Unis et au Canada. Le site de Croix emploie aujourd’hui 130 personnes. Deux sous-traitants pourraient prochainement s’y implanter également. Cinq laboratoires complètent l’ensemble (performances des composants et du hardware, software, prototypes…).
Octave Klaba rêve de géants européens du Net
L’OVH Summit 2018 a été l’occasion pour Octave Klaba, fondateur de l’hébergeur français, aujourd’hui président du conseil d’administration, de dévoiler la nouvelle stratégie de développement du groupe. A commencer par le milliard d’euros de chiffre d’affaires qu’il souhaite atteindre d’ici à 2021, avec un premier cap à 600 millions sur l’exercice actuel. Outre l’internationalisation, notamment aux Etats-Unis et en Asie, le dirigeant a déclaré : « Notre métier repose aussi sur la confiance. Les entreprises nous confient ce qu’elles ont de plus précieux : leurs données ». Aussi, son nouveau projet, appelé vGAFAM (pour « Virtual Gafam »), vise à créer un réseau constitué de 1 000 entreprises européennes réalisant environ 500 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulé et capables « de travailler ensemble, sans liens capitalistiques, pour grandir ensemble, co-innover». Son objectif ? Amener ces entreprises à réaliser un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros et ainsi créer des géants européens du Net. vGAFAM serait, selon le dirigeant, une manière d’organiser les entreprises sans concentrer le revenu et, donc, le pouvoir. « Tu fais dix millions d’euros de revenus, comment faire un milliard ? Est-ce qu’il y a une méthode, une procédure, un écosystème ? », s’interroge le fondateur d’OVH, qui se rend aujourd’hui dans de nombreux pays de l’Union européenne à la rencontre de patrons intéressés par la démarche. Les coopérations pourraient porter sur « l’innovation, la formation, la recherche de talents, l’international ou encore le développement de la croissance ».