Qu’ont changé les évolutions réglementaires de ces dernières en termes de formation pour les entreprises ? Jean-Christophe Chamayou, fondateur de Lafayette Associés, spécialiste des stratégies de développement des établissements publics et privés en matière de formation professionnelle, revient sur les différents aspects d’une transformation de fond.
Alliancy. En quoi peut-on dire que les cartes sont redistribuées en matière la formation professionnelle en 2019 ?
Jean-Christophe Chamayou. Le tournant clé a eu lieu en 2018 avec la réforme Loi Avenir Professionnel, dite loi Pénicaud. Globalement, depuis une quinzaine d’année les tentatives se sont multipliées pour tenter de simplifier le financement de la formation, car les entreprises n’y comprennent rien ! L’autre objectif a toujours été de faciliter l’accès à la formation, pour que les entreprises puissent l’utiliser comme un outil de montée en compétences alors que leurs collaborateurs ont de plus en plus besoin de s’adapter à de nouveaux métiers. Cette dernière réforme est la 12e du genre, tout gouvernement confondu. Cependant, celle-ci en particulier lève deux freins majeurs.
D’abord, celui de l’innovation pédagogique, car si cela fait 20 ans que l’on parle d’e-learning et d’enseignement à distance… nous sommes forcés de constater qu’ils ont décollé partout sauf en France, car les financements ne suivaient pas. En la matière, la réforme casse les codes : auparavant pour financer une formation, il fallait pour simplifier une durée spécifique et si cela ne rentrait pas dans les cases, tout devenait compliqué. Aujourd’hui, la modification dans la loi de la définition même de l’action de formation fait que toutes les initiatives pédagogiques nouvelles deviennent acceptables, tant que l’objectif en termes d’évolution de compétences est atteint. Depuis 2004, on parlait de droit à la formation tout au long de la vie, mais depuis cette dernière réforme les modalités de certifications et de financements sont devenues beaucoup plus ouvertes et actionnables pour les entreprises.
Et la seconde rupture ?
Jean-Christophe Chamayou. Il s’agit de l’accès facilité à l’apprentissage et à la compétence. Pendant longtemps il a été très lourd d’adapter le fonctionnement des institutions et notamment des écoles, dans le cadre de la collaboration avec les entreprises. Adapter une formation était un casse-tête. Les seuls qui pouvaient se le permettre était des acteurs comme EDF, avec des tickets d’entrée mirobolants. Difficile de passer après de tels groupes pour une ETI ou une PME ! Au contraire, la réforme du financement et de la taxe d’apprentissage fait que les acteurs de la formation s’ouvrent de plus en plus, et ne demandent pas forcément de mettre des centaines de milliers d’euros sur la table. Les formats courts se multiplient par ailleurs, avec des exemples de certifications de haut niveau en 3 ans pour des personnes qui n’ont pas eu le BAC. Autrement dit, on parle enfin plus de compétences, que d’années ! C’est un changement de posture majeur. La philosophie est bien d’aider à la transformation des compétences, et non plus de faire un focus uniquement sur un diplôme. A titre d’exemple, les OPCO (opérateurs de compétences) ont remplacé les OPCA (opérateurs collecteurs agréés) : les termes ne sont pas neutres !
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour l’écosystème français du supérieur ?
Jean-Christophe Chamayou. Cela secoue tout le monde, et notamment les écoles et universités. Jusqu’à peu, elles étaient souvent dans une logique rentière : « Pourquoi changer ce qui fonctionne ? » Mais depuis une dizaine d’année, la pression de l’Etat et des entreprises qui ont besoin de se transformer très fortement fait bouger les lignes. Et en parallèle, les Grandes Ecoles voient leurs parts de marché grignotées par de nouveaux acteurs plus innovants et agiles. La réforme a entériné le découpage en bloc de compétences et l’accessibilité de l’apprentissage… Cela pousse nettement à la concurrence. Pour y répondre, le monde du supérieur s’intéressent beaucoup plus sérieusement au marché professionnel et à la formation professionnelle. |
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Quelles formes de partenariats les entreprises peuvent-elles avoir envie d’imiter ?
Jean-Christophe Chamayou. En 2018, il y a eu le lancement remarqué de l’école « U Dev » de CGI en partenariat avec le groupe IGS. Il en sort aujourd’hui 400 développeurs par an ! C’est un modèle totalement intégré qui montre la capacité d’une école de s’adapter à des enjeux urgents pour une entreprise. De même, un acteur comme Dassault Systèmes avait pour réflexe d’aller voir – sans trop de succès – les plus grandes écoles pour recruter de nouveaux profils. L’entreprise s’est tournée depuis 12 mois vers l’Université de technologie de Troyes (UTT), moins connue mais beaucoup plus souple, et le modèle montre son efficacité. En bref, les entreprises sont invitées à se montrer pragmatique.
La réforme s’intéresse particulièrement aux centres de formations des apprentis (CFA) : sont-ils vraiment accessibles à tous ?
Jean-Christophe Chamayou. Effectivement, la loi pousse l’idée que chaque entreprise est libre de construire sa propre école son propre Centre de Formation par l’Apprentissage (CFA)… Mais cela ne veut pas dire qu’il faut absolument le faire seul ! Quelques indicateurs pour la réussite d’une telle structure : il faut compter en moyenne sur plus de 250 étudiants sur les années cumulées de formation. Si le cursus dure environ deux ans, cela signifie que l’entreprise assure des besoins de recrutement de 120 à 150 nouveaux collaborateurs par an, ce qui est important.
Que faire quand ses besoins sont moindres ?
Jean-Christophe Chamayou. Une première possibilité est de s’intéresser aux dispositifs de l’alternance déjà existants et prêt à s’adapter. Les grandes entreprises y investissent parce qu’il y a une obligation financière et que leurs besoins sont permanents. Mais pour des entreprises de taille plus modeste, cela reste un outil très efficace pour capter l’étudiant avant la fin de la formation. Une entreprise ne devrait plus aller chercher ses jeunes talents à la sortie de l’école, mais minimum un an à deux ans avant. C’est un investissement, mais quand on regarde sur le site du Fafiec[1], on trouve l’alternance sous la rubrique « recrutement » et non « formation », c’est significatif. Le modèle est plus simple que celui de la création de son propre CFA, notamment parce que la réforme a permis de simplifier les contrats, de clarifier les coûts et d’adapter le nombre d’heure de façon individualisée. Et les nouvelles méthodes pédagogiques sont parfaitement compatibles comme le prouve des écoles comme 42.
Et en dehors du choix de choisir un ou deux appentis ou de créer son propre CFA ?
Jean-Christophe Chamayou. Une recette qui fonctionne bien est de créer un CFA à plusieurs entreprises. Le plus difficile sera de trouver une école qui accepte de jouer le jeu de l’accompagnement, car elles s’adaptent encore au modèle. Mais cela ouvre le cas échéant la porte de la mutualisation du tutorat et d’avoir un seul apprenti qui travaille pour plusieurs entreprises… Des projets portés par des groupements de start-ups, qui ont les mêmes besoin en compétence, sont bien représentatifs de cette nouvelle possibilité. De même pour les réflexions menées par France Digitale.
Quel est le plus grand défi qui vous parait rester après la réforme ?
Jean-Christophe Chamayou. Le besoin d’information sur ces sujets est réel. La plus grande problématique pour de nombreuses entreprises, ce n’est pas de manquer d’ambition ou d’envie… c’est de ne pas savoir à quelle porte taper ! Pour que ces changements portent leur fruit, il faut donc que les organisations s’adaptent à cette nouvelle réalité, que leurs processus deviennent plus agiles et que les partenaires du supérieur prévoient de véritables accompagnements à tous les niveaux. C’est un enjeu culturel qui dépasse d’ailleurs le seul cadre de l’entreprise. Beaucoup de Français se posent encore les mauvaises questions en se demandant si l’e-learning est une formation comme une autre ou si des formations courtes valent la peine. Nous sommes encore trop attachés au diplôme et à des pratiques très traditionnelles, car il y a une crainte sur la qualité de la formation professionnelle. C’est légitime, mais cela va changer également ; la réforme a ouvert la possibilité de monter des modèles différents, mais elle prévoit aussi en parallèle l’intégration de processus qualité beaucoup plus précis. Cela va faire le ménage chez tous les organismes de formations qui ne sont pas sérieux ou qui n’adaptent pas leurs formations à l’ère du numérique. Dès 2021, il sera d’ailleurs obligatoire pour ces acteurs d’avoir véritables démarches de R&D de formation et de mettre en avant l’atteinte des résultats que sont l’employabilité et la compétence, plutôt que des dogmes du passé.
[1] L’OPCO ATLAS (anciennement Fafiec) finance la formation professionnelle des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil…