Alliancy, le mag. Vous êtes directeur général d’EasyVista. Pouvez-vous nous rappeler l’activité de cette entreprise que vous avez cofondée en 2005 ?
Jamal Labed. Nous sommes un pur éditeur de logiciels, qui permettent aux entreprises de gérer leur informatique. Pour faire simple, nous sommes l’ERP du directeur informatique. Avec nos outils, le DSI va pouvoir gérer toutes ses infrastructures fixe et mobile, les réseaux et le patrimoine logiciels de l’entreprise, soit tout le cycle de vie des actifs.
Ceci est une première brique. Ensuite, nous avons une brique de gestion du service. En cas de panne (matériels, réseaux ou logiciels), on gère tous les incidents mais, également, les changements, du type renouvellement de logiciels, de matériels, besoin en formation…
La troisième brique de notre offre porte sur les aspects financiers. On gère les contrats, les budgets, les amortissements, jusqu’à de la refacturation interne… Ces trois briques historiques d’Easyvista représentent 99 % du chiffre d’affaires, même si nous sommes actuellement dans une profonde mutation de notre offre.
Qui sont vos clients ?
Cette offre s’adresse à des entreprises moyennes à grandes. Cela va de l’ETI aux grands groupes (Auchan, M6, Roquette…). Au niveau mondial, ce marché représente 2 milliards de dollars par an. Mais, depuis le début des années 2000, c’est une niche très bousculée par l’arrivée du mode SaaS. Trois acteurs majeurs dominent ce marché : ServiceNow, un Américain et leader, né dans les années 2000 ; ensuite, viennent deux acteurs le français Easyvista et un autre américain, Cherwell. En clair, nous sommes le seul opérateur non-américain sur ce créneau aujourd’hui. Après un déploiement d’abord en Europe, nous sommes partis aux Etats-Unis en 2010, et sommes présents aujourd’hui dans huit pays par des filiales complètes (France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie, Portugal, Etats-Unis et Canada).
Où en sont vos chiffres ?
Avec 130 salariés en 2014, nous atteindrons 20 millions d’euros environ de chiffre d’affaires, avec 800 clients, dont 50 % à l’international. Ce qui nous place déjà dans les 50/60 premiers éditeurs français. Nous sommes sur des taux de croissance du chiffre d’affaires (reconnu) de 35 % par an. Mais ceci traduit mal notre activité, basée sur le mode récurrent du SaaS… Depuis le début des années 2000, nous faisons du SaaS dans le cloud. Aujourd’hui, le cloud représente l’essentiel de nos revenus (plus de 50 % du chiffre d’affaires), sachant que le reste de nos ventes concerne la maintenance, le service et encore un peu de licences.
Notre croissance aux Etats-Unis est presque de 200 % par an, grâce à de gros contrats que nous avons décrochés avec l’ISPN, AP, les Etats du Nouveau Mexique et de Washington… Nous serons 200 salariés d’ici à deux ans, avec des recrutements surtout outre-Atlantique, un marché qui devrait représenter 50 % de nos ventes à terme.
Vous avez donc de belles perspectives ?
D’ici à cinq ans, nous visons les 100 millions de dollars de chiffre d’affaires [75 millions d’euros, NDLR], et ceci en maintenant notre taux de croissance de 35 % sur les cinq prochaines années. Ce qui nous placerait dans le TOP 20 des éditeurs français.
Vous avez sorti récemment Service Apps. De quoi s’agit-il ?
Nos clients n’ont pas uniquement des besoins en informatique, mais aussi en RH, gestion de salles de réunion ou de parcs de véhicules professionnelles… Pour autant, l’entreprise doit rattraper son retard vis-à-vis des pratiques des nouveaux usages. Nous devons donc simplifier l’offre en entreprises vis-à-vis des salariés, des partenaires, des fournisseurs… d’où cette nouvelle plateforme Service Apps, qui permet à nos clients de proposer des services standards à leurs salariés. C’est du clé en main pour l’entreprise, qui n’a plus rien à développer…
On va vers la consumérisation de l’informatique…
Tout à fait. Ce sont des modèles standards, agiles et accessibles sur tous les devices et ceci de façon totalement sécurisée. Tout se gère depuis un écran et permet de proposer des services sur un mode consumérisé. Côté utilisateurs ils retrouvent les mêmes codes que dans sa vie privée. Côté entreprises, on offre les mêmes niveaux de contrôle quoiqu’on en dise…. Le DSI source ces services et retrouve là son rôle d’intermédiaire de services, tout en restant garant des règles de sécurité et d’interopérabilité… Nous avons déjà une quinzaine de clients qui utilise cet appstore d’entreprises… On offre en entreprise la possibilité d’utiliser les mêmes codes d’usage que dans votre vie privée.
Vous êtes également président de l’Afdel depuis plus de deux ans. Quel est votre principal combat ?
L’une des grandes missions de l’Afdel est d’aider à l’émergence de champions français du numérique, même si nous ne regroupons pas que des Français parmi nos 400 membres (sur les 2 000 éditeurs environ en France). Google, Apple, Microsoft ou Salesforce font partie de nos membres… Nous sommes LE représentant du logiciel en France, quelque soit sa forme.
L’Afdel participe, avec de nombreux partenaires, au lancement de la SaaS Academy. C’est une initiative importante selon vous ?
Il est fondamental d’aller vers le SaaS, c’est une question de survie ! Face aux Pure Players qui sont aujourd’hui les plus dynamiques, tout l’enjeu pour des éditeurs classiques, est de mener à bien cette transformation, que l’on estime faisable sur une période de cinq à six ans. Passer du mode licence au mode SaaS, cela veut dire souvent adapter, voire refaire, son produit, modifier profondément son support technique, ses process de commercialisation, marketing, son go-to-market… Tout cela crée des problèmes financiers, car le mode SaaS étale vos revenus. C’est une bonne chose à terme, mais sur le court terme, ce n’est pas simple. D’autant plus pour des PME, pas toujours bien financées…
Cela veut dire qu’il va y avoir des « morts » ?
Oui, bien sûr. Il y en a déjà ! Avec l’appui de l’Afdel justement, on essaie de faire en sorte qu’il y en ait le moins possible. Il y aura des consolidations également. Certains n’auront pas le choix. Malheureusement, la consolidation se fait souvent par rachat de la technologie française par un acteur étranger… qui est souvent, américain.
Qu’en est-il du rapprochement de l’Afdel avec le Syntec Numérique ?
C’est toujours un sujet sur lequel nous travaillons. Ce qui est compliqué, c’est que cela n’a jamais existé…
C’est-à-dire ?
Le monde du numérique en France a une particularité, il est très atomisé. Et cette atomisation nuit à la défense des intérêts du secteur. Au final, nous sommes moins influent en France et, encore moins, en Europe. On devrait parler d’une même voix, comme le font nos amis allemands et britanniques…
Donc, vous y croyez ?
Tout le monde souhaite aboutir. Notre approche, nos intérêts sont différents… Ca coince sur les modalités d’organisation, de représentativité…
D’autres sujets importants pour l’Afdel en 2015 ?
Il y en a deux principalement. L’un concerne l’actionnariat salarié au sens large. Aujourd’hui, comme les entreprises ne peuvent pas payer les collaborateurs à un prix équivalent aux salaires des grands groupes, la seule solution reste les mécanismes d’intéressement au capital. Principe qui n’existe plus depuis 2012… On ne sait plus faire cela, ce qui est très grave car c’est comme cela que fonctionne tout l’écosystème mondial.
L’autre sujet est le financement du développement des entreprises. Il manque clairement un Nasdaq européen. Les politiques soutiennent cette idée, mais on ne voit rien venir… Autant doter EuroNext, la seule amorce boursière européenne, d’un vrai compartiment technologique (numérique, biotechnologies, cleantech…)…
Que pensez-vous de la French Tech ?
C’est très bien La French Tech et tout le mouvement actuellement en cours, sauf que l’on ne traite que le début de la chaîne et pas toute la chaîne… Nos amis allemands ont exactement le même problème. Il y a donc un axe franco-allemand évident à trouver sur cette question. Les politiques en ont conscience, mais le temps des politiques n’est pas celui de l’économie… Il faut pourtant une ambition politique claire pour avancer. Ce serait un thème très fédérateur avec les Allemands…
Comment voyez-vous l’hyper-domination américaine ?
Ce n’est pas nouveau ! Et ils le doivent en grande partie à leur talent. Le marché domestique américain représente juste 50 % du marché mondial, alors que les Européens n’ont pas cette chance… Ensuite, ils ont un écosystème extrêmement favorable entre le monde de la recherche, de l’éducation, de la finance, qui n’existe pas non plus chez nous…
Tout cela devrait être une incitation à faire mieux… En France, nous avons les armes pour cela et, en particulier, une créativité réelle, largement reconnue et convoitée par les Américains. On a également des atouts dans le cloud grâce à la législation française et européenne en matière de protection des données…
Vous voyez des actions particulières à mener ?
Ce qu’il faut aujourd’hui en France, c’est juste réagir. La bataille n’est pas encore commencée. Nous n’en sommes qu’aux prémices. Un seul exemple : le big data.
A l’Afdel, nous avons énormément travaillé sur la création d’une grande filière dans ce domaine, car la France dispose d’une excellence mathématique et scientifique qu’il faut valoriser. Nous avons donc toutes les compétences pour développer cette industrie. Seul problème, on n’avance pas assez vite… Ce n’est pas une fatalité, mais ce serait vraiment dommage qu’on loupe ce train du big data !