Un article de la série « Ecosystèmes & Plateformes : Quelles stratégies d’APIsation ? » réalisé en partenariat avec
L’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale pilote le réseau des Urssaf . Elle est principalement reconnue dans son rôle de collecteur et recouvreur social. L’Acoss connait cependant une transformation importante, avec une ouverture sur son écosystème qui doit lui permettre d’offrir de nouveaux services variés aux acteurs publics comme privés. Jean-Baptiste Courouble, son DSI détaille les changements en cours et les défis qui ont été relevés.
Comment résumer les transformations que vit l’Acoss ces derniers mois ?
Jean-Baptiste Courouble. Nous sommes l’une des grandes institutions de sécurité sociale et nous pilotons l’ensemble du réseau des Urssaf, sous l’angle de la collecte et du recouvrement social, que ce soit pour financer les retraites, l’assurance-maladie, les prestations familiales ou encore l’assurance chômage. Nous sommes à ce titre à la fois le concentrateur de la collecte au niveau national et le gestionnaire de la trésorerie d’ensemble, avec une mission de reversements en flux tendus des fonds auprès de toutes les caisses. Nos enjeux de transformation principaux se traduisent à la fois par une extension du périmètre de nos missions et également dans la volonté de ne plus seulement être perçus comme un « collecteur ». Nous avons aujourd’hui l’opportunité d’offrir des services à de très nombreux acteurs, ce qui modifie significativement notre place dans l’écosystème.
Quelle forme ces prestations de services peuvent-elles prendre ?
Jean-Baptiste Courouble. Nous voyons deux aspects principaux. Le premier est le plus attendu pour une institution comme la nôtre : renforcer notre propre plateforme pour pouvoir fournir de l’aide directement aux cotisants en cas de besoin, sur les différents aspects d’information et de services, y compris juridiques, autour de la collecte et de l’assistance à la réalisation des formalités sociales de l’employeur.
A ce titre, une attention particulière doit être portée sur la transformation de notre système d’information, dont la robustesse est un axe critique pour bien gérer les 500 milliards d’euros d’encaissement annuel. Le second aspect est celui des services que nous pouvons proposer à d’autres plateformes : ceci est totalement nouveau. Nous pouvons en effet potentiellement apporter beaucoup à des activités économiques qui ne sont pas liées à notre cœur de mission, car de facto l’Acoss possède de nombreuses données très intéressantes.
D’autant plus qu’il y a aujourd’hui un cadre législatif, avec la loi Lemaire, qui permet d’aller dans ce sens-là. La dimension d’open data portée par la loi offre en effet non seulement des opportunités dans la démarche de transparence vis-à-vis des citoyens, mais permet aussi de favoriser les interactions avec des entreprises tierces, en leur donnant un statut de tiers déclarant.
De cette façon, au-delà de nos missions régaliennes, nous pouvons imaginer faire beaucoup plus en termes de services aux employeurs, particuliers ou entreprises, grâce à l’intermédiation portée par des tiers.
Avez-vous une illustration de cette stratégie ?
Jean-Baptiste Courouble. Historiquement, la plateforme du CESU (Chèque emploi service universel, ndr) permet aux particuliers employeurs d’élaborer l’ensemble des bulletins de salaires et de calculer et prélever directement les cotisations sociales pour ces activités. Il s’agit de prendre en charge tous les aspects administratifs de la relation. Cette offre de services largement dématérialisée rencontre un grand succès, avec des millions d’utilisateurs. Nous avons d’ailleurs développé des services + permettant le notamment le virement des salaires depuis le compte employeur vers le compte salarié. Et début 2020, la gestion du PAS sera intégrée. En outre, les données dont nous disposons sont centrales pour les nouveaux acteurs de l’économie collaborative que sont les plateformes de « jobbing » comme Yoopies, Domiserve et bien d’autres. Elles veulent de cette façon mieux faire correspondre les recherches d’emploi avec les offres disponibles, en fonction d’énormément critères différents rendus accessibles grâce à nos données (tout cela dans le respect du RGPD évidemment). Proposer ce type de mise en relation n’est pas notre métier, c’est pour cela que nous voulons nous appuyer sur notre écosystème pour le proposer aux utilisateurs. Grâce à l’APIsation de notre système d’information, nous pouvons ainsi être acteurs d’un service complet, qui va de la mise en relation jusqu’à la gestion administrative de cette relation sans toutefois dépasser le cadre de nos missions, la relation étant essentiellement assurée par les plateformes. Et ce que l’on peut imaginer ainsi autour du CESU peut tout à fait être dupliqué avec les auto-entrepreneurs par exemple. Pour aller plus loin, les API que nous proposons vont permettre à ces plateformes de jouer le rôle tiers-déclarant vis-à-vis de leur client. Ainsi la plate-forme organise l’intégralité de la médiation entre l’employeur et le centre CESU tout en rendant des services complémentaires. Autant d’expérimentations qui seront opérationnelles dès 2020.
A quel point l’APIsation du système d’information vous parait-elle centrale dans cette stratégie ?
Jean-Baptiste Courouble. Tous les services de l’Etat multiplient ces logiques d’interconnexions et d’ouverture. On le voit avec le Portail national des droits sociaux, pour lequel les assurés bénéficient d’un agrégateur grâce aux API pour simplifier leur relation administrative, mais aussi pour la démarche « Dites-le nous une fois » ou encore pour la mutualisation des connexions aux services à travers France Connect. A chaque fois, l’APIsation est le moteur de ces nouveaux services. Il en va de même pour ceux que nous voulons proposer. La démarche « API first » est aujourd’hui une nécessité, notamment dans l’interopérabilité indispensable avec nos partenaires institutionnels. Ceci prend encore plus d’acuité dans les extensions de périmètre portées par l’ACOSS suite au remaniement du paysage du recouvrement social (transfert de la collecte AGIRC-ARRCO, rationalisation du recouvrement des régimes spéciaux, suppression du RSI …)
« Grâce à l’APIsation de notre système d’information, nous pouvons par exemple animer un service complet autour du chèque emploi service universel, qui va de la mise en relation jusqu’à la gestion administrative de cette relation »
Concrètement quel est l’impact pour votre système d’information ?
Jean-Baptiste Courouble. La décision a été prise par l’ACOSS de mettre en place un portail d’API et d’Open Data bâti complètement à neuf pour le 1er janvier 2020. L’idée est d’aller assez loin dans la démarche, jusqu’à la publication de nos codes sources et de nos algorithmes. Pour nous, au-delà de l’ouverture du SI en tant que tel, il s’agit en effet de créer les conditions pour que notre écosystème puisse se connecter et se documenter efficacement. D’un point de vue technique, nous nous sommes basés sur l’API manager de l’éditeur français Axway pour gérer et mettre en œuvre l’APIsation. Nous avons également dû prendre en compte notre « legacy » et prévoir d’encapsuler nos applications les plus anciennes, pour amener un niveau d’abstraction dans le système qui nous permette de généraliser les API et pas seulement de les réserver aux applications les plus récentes.
Et en termes d’organisation ? A-t-il fallu adapter le fonctionnement de la DSI ?
Jean-Baptiste Courouble. L’ACOSS s’est dotéee d’une direction de l’innovation et du digital (DID) pour favoriser l’ensemble de ces initiatives et émuler l’approche innovante au sein du réseau des URSSAF. Ceci s’est concrétisé par la création d’un lab Urssaf animé par la DID . Côté DSI, nous avons crée une entité « Fabrique Digitale » véritable accélérateur de notre transformation. De l’association du lab et de la Fabrique a émergé un « hub digital » permettant de matérialiser la démarche d’innovation au travers de réalisations techniques concrètes.
En termes d’usage, ceci nous permet de nous ouvrir le plus possible vers l’extérieur, au sens propre. Nous faisons dorénavant venir des cotisants et des organisations dans nos locaux pour organiser des ateliers de travail et de co-création, basés sur l’Agile et sur de l’UX design pour faciliter le lien avec l’écosystème et la découverte des services. C’est un moyen de lier innovation IT et métier. Nous avons en parallèle démultiplié les démarches d’intrapreneuriat dans nos équipes. De même, la Fabrique Digitale met en œuvre des usages de rupture avec nos pratiques historiques : devops, cloud, agilité… Nous voulons créer de cette façon une dimension mixte très forte et pas une rupture totale entre « l’ancien et le nouveau monde ». La DSI contribue ainsi à tous les projets digitaux, y compris à travers la maitrise d’œuvre traditionnelle, dès le départ, car ce sera à elle de réembarquer dans sa feuille de route et d’industrialiser ces innovations après le MVP.
Une ouverture bien perçue
Une stratégie d’ouverture et de plateformisation implique des changements qui nécessitent d’embarquer toutes les équipes. Autrement dit, celles-ci doivent croire à cette vision. L’Acoss a pris un soin tout particulier pour créer cet engagement. « Tout le monde est assez vite tombé d’accord sur la nécessité de s’ouvrir, ne serait-ce que pour changer l’image de l’institution et démontrer qu’elle est capable d’évoluer dans un écosystème moderne. La courbe d’enthousiasme est monte en flèche avec les premiers travaux ! » se réjouit Jean-Baptiste Courouble. Toutefois, des points de vigilance ont été observé, notamment pour éviter que les nouvelles méthodes de développement viennent s’opposer frontalement aux précédentes. La prise en compte de la sécurité est aussi un facteur clé pour cet engagement. L’Acoss étant OSE (opérateur de service essentiel, ndr) depuis la transposition de la directive européenne NIS dans le droit français, la sécurité et la fiabilité de ses systèmes sont passés au crible. « Là, encore l’accompagnement au changement est essentiel, car ce genre de transformation n’est évidemment pas un long fleuve tranquille » reconnait le DSI.
Un article de la série « Ecosystèmes & Plateformes : Quelles stratégies d’APIsation ? » réalisé en partenariat avec