Jean-Luc Beylat a été élu président de la nouvelle Association française des pôles de compétitivité. Ce physicien, patron de la recherche d’Alcatel-Lucent en France et président du pôle francilien Systematic, est un fervent défenseur de l’innovation ouverte.
Pour sa première assemblée générale, le 23 janvier, dans les locaux de Bpifrance, l’Association française des pôles de compétitivité (AFPC) a presque fait le plein. Plus de cinquante pôles sur les soixante et onze existants en France étaient représentés. Un premier motif de satisfaction pour le président, Jean-Luc Beylat, élu au lancement de l’association, le 16 décembre. Car, si l’initiative de la création de l’AFPC revient au Club des dix-huit pôles mondiaux, qui rassemble depuis 2006 les présidents des plus importants pôles de compétitivité français, l’ambition est bien de les fédérer, et d’accompagner la « phase 3 » de la politique nationale des pôles (2013-2018) en pleine restriction budgétaire. « Ils doivent se tourner davantage vers les débouchés économiques et l’emploi », c’est-à-dire transformer les efforts collaboratifs des travaux de R&D en produits, procédés et services innovants mis sur le marché. Quand on lui demande pourquoi ses pairs l’ont choisi, Jean-Luc Beylat hésite à décliner ses qualités. Il se reconnaît curieux de tout, au point d’avoir poursuivi dans sa jeunesse plusieurs rêves à la fois : faire des films, pratiquer la sculpture et étudier la physique. Avec l’âge, il dit avoir discipliné cette curiosité qui l’entraînait parfois à la dispersion. Son parcours parle pour lui. Le passage de la R&D au marché, c’est ce qui a lancé sa carrière.
Depuis son arrivée chez Alcatel, en 1984, jeune doctorant en physique des lasers, ses recherches sur le multiplexage en longueur d’ondes, clé pour l’amélioration des débits de transmission des données pour Internet dans les câbles optiques, ont débouché, dans les années 1990, sur des lignes de produits pour équiper les infrastructures terrestres et sous-marines des réseaux Internet. Sur le plateau de Saclay, Alcatel est membre fondateur du pôle Systematic, en pointe sur les systèmes complexes de la révolution numérique. Et Jean-Luc Beylat partage son temps entre les laboratoires de recherche français d’Alcatel-Lucent qu’il dirige à Villarceaux – les Bell Labs –, et Systematic qu’il préside depuis trois ans. Quand il ne fait pas un saut dans le New Jersey, dans les mythiques Bell Labs hérités d’AT&T et de Bell, où furent développés le transistor, le laser… Son expérience des pôles de compétitivité ne se limite pas à Systematic. Il fut aussi administrateur de Cap Digital, le pôle parisien dédié aux contenus et services numériques, et porteparole du Club des dix-huit pôles mondiaux. Enfin, en 2012, il a beaucoup travaillé avec les ministères concernés à la définition de la politique de la « phase 3 » des pôles.
Porter la parole jusqu’à Bruxelles
Bref, ce grand gaillard a le profil tout désigné pour porter les missions de l’AFPC, qu’il décline en trois points : « D’ abord, expliquer la politique des pôles, leur rôle dans le cadre d’un plan pour l’innovation, valoriser leur action et leur impact au niveau macroéconomique, et pas seulement à l’échelle d’un territoire. En second lieu, alors que l’Europe a compris tardivement la logique des clusters et est aujourd’hui prête à soutenir l’innovation, nous devons expliquer notre action à Bruxelles, mutualiser nos experts au niveau européen, pour saisir les opportunités offertes… Enfin, le label Entreprise innovante des pôles (EIP), créé en 2010 par le Club des dix-huit pôles, doit être mieux valorisé pour aider les PME dans la recherche de financement. » Au-delà de ces trois missions fondatrices, l’AFPC devrait favoriser les échanges de bonnes pratiques entre pôles, d’outils et de méthodes, par exemple, pour évaluer les modèles d’affaires associés à un projet. Ainsi, en s’associant, les pôles poussent un cran plus loin la logique qui doit présider aujourd’hui à l’innovation, selon Jean-Luc Beylat : « Il faut décloisonner, multiplier les interactions entre acteurs. L’innovation ne peut plus se développer dans des domaines fermés, avec des acteurs isolés. » L’open innovation, il l’a faite entrer chez Alcatel-Lucent en ouvrant, en 2008, un Creative Lab pour favoriser les échanges. Ce qui fait d’un pôle comme Systematic, une « expérience humaine remarquable » à ses yeux, c’est justement « la richesse des échanges et de la production intellectuelle, les interactions entre grands groupes, PME et recherche publique, la solidarité ». Adepte d’un management direct, il aime « faire avec d’autres » et ne veut pas incarner, seul, la gouvernance de l’AFPC. Il est entouré d’un bureau qu’il qualifie de « très charpenté » avec Agnès Paillard (pôle Aerospace Valley), Jean-Claude Hanus (pôle Mov’eo) et d’un conseil d’administration qui fait place aux nouveaux venus extérieurs au club des dix-huit fondateurs.
Fasciné par cette période de transformation rapide, mais persuadé que la « troisième révolution industrielle » vient seulement de commencer, que les changements d’une ampleur comparable à ceux qu’ont apportés l’électricité ou le train pour refaçonner les villes et la vie des gens sont encore à venir, il prévient que « l’on a encore rien vu » du potentiel immense de l’Internet des objets (lire notre dossier en page 40), en matière de développement des villes, de gestion de l’énergie… Et il croit aux vertus des écosystèmes, comme les pôles, pour préparer l’avenir. Pour ce chercheur, la France a des atouts : une recherche « vivier d’énergie au fort potentiel créatif », une forte culture technologique. Mais cela ne suffit pas, pointe le rapport « L’innovation, un enjeu majeur pour la France » (avril 2013), qu’il a écrit pour le Gouvernement avec Pierre Tambourin (Inserm, Genopole d’Evry). Les auteurs constatent notamment le décalage entre l’effort de R&D important fait en France et les piètres performances en termes d’innovation. Il faut changer, dès les premières années d’éducation, les mentalités d’une culture peu ouverte à l’entrepreneuriat, préconise-t-il. Mais cela n’est plus du ressort des pôles, même si Systematic va, depuis des années, dans les écoles expliquer aux enfants ce qu’est une entreprise.
Photo : Peter Allan / Alcatel Lucent