Directeur général de Zalando France depuis six mois, Jonathan Trépo mène une mission depuis l’Allemagne : faire de ce site de prêt-à-porter, leader en Europe, la première destination de shopping en France. Explications.
Alliancy. Zalando est leader sur le marché du prêt-à-porter en Europe, où vous êtes présents dans quinze pays. Comment voyez-vous la France ?
Jonathan Trépo. En France, nous n’avons pas de concurrent direct à part entière. C’est-à-dire sur notre créneau qu’est la mode du moment, des saisons en cours… Zalando propose une mode non dégriffée, sachant que notre cœur de métier est de vendre des marques que les clients connaissent et apprécient, à l’inverse d’autres acteurs qui préfèrent vendre leurs marques propres.
Pour Zalando, la France est un marché en très forte hausse, mais c’est surtout une de nos plus grosses perspectives de croissance dans les dix prochaines années. Il faut savoir que le marché des chaussures et du prêt-à-porter en ligne en Europe de l’Ouest s’élève environ à 40 milliards d’euros [source Euromonitor, NDLR] et la France n’est qu’au troisième rang…
Et en termes de clientèle ?
Jonathan Trépo. Il y a de vraies différences entre les profils sociodémographiques. On se rend compte par exemple que sur certains marchés on avance extrêmement fort sur une clientèle plus jeune, comme en Suisse ou en Italie… Ce qui a impact direct sur les ventes générées via notre app. A l’inverse, les Français achètent moins en ligne [taux de pénétration de 17 %, NDLR] que dans les autres pays, comme l’Allemagne (20 %) ou le Royaume-Uni (24 %), y compris sur mobile…
Du coup, quelles sont les spécificités du marché français ?
Jonathan Trépo. La clientèle française est très exigeante, en termes de services, de compétitivité/prix, de qualité de produits, d’expérience d’achat en ligne, d’inspiration, d’attente de conseils… Les acheteurs français veulent qu’on leur propose des associations de looks, qu’on leur fasse découvrir de nouvelles marques, que l’on crée des silhouettes… C’est clairement un marché où il y a une très forte culture de la mode, un commerce de la mode puissant et une habitude de fréquenter des magasins multimarques…
Ce qui ne vous rend pas la tâche facile…
Jonathan Trépo. Non, en effet, mais c’est ce qui rend mon poste passionnant, car je suis là pour réconcilier une plateforme européenne d’un leader incontesté né en Allemagne, avec les spécificités de notre marché, et cela au niveau stratégique, marketing et commercial.
Comment cet objectif se décline-t-il ?
Jonathan Trépo. Au niveau de l’offre évidemment ! C’est-à-dire que nous allons faire les efforts nécessaires pour attirer les marques locales référentes sur notre plateforme, mais aussi les marques internationales qui ont le plus de succès auprès de la clientèle française. Ensuite, tout se joue sur l’offre de services que nous voulons exceptionnelle, autant sur les moyens de paiement, que les délais de livraison, les retours, le service après-vente…
Comment avancez-vous sur ces sujets ?
Jonathan Trépo. Zalando a une façon particulière de localiser ses activités. Par exemple, sur les moyens de paiement, on propose en France la possibilité d’« essayer d’abord et payer après »… Si vous achetez une dizaine d’articles, vous allez avoir une semaine chez vous pour les essayer et retourner ceux qui ne vous conviennent pas… avant d’être débité sur votre compte bancaire seulement 15 jours plus tard et uniquement sur les produits que vous avez conservés. On a lancé ce service en septembre 2016 et, aujourd’hui, il est offert à la totalité de nos clients existants.
Etude Forrester
Les articles de mode représentent 30 % des ventes sur mobiles et tablettes du secteur de la vente au détail. Forrester prévoit que ces produits connaîtront une croissance annuelle de 20 % au cours des cinq prochaines années, soit 35 % environ du marché d’ici à 2022.
Tout vise donc à simplifier la vie de l’acheteur français ?
Jonathan Trépo. Totalement, car il n’y a aucune raison qu’il puisse y avoir la moindre appréhension en France lors d’un achat de mode en ligne… Et aujourd’hui, cette appréhension en France est encore beaucoup trop forte. Elle est liée notamment à la livraison, à la qualité des produits et à la facilité de retour. Mais on constate que ce type de services est parfaitement compris de nos clients et fait évoluer leur comportement d’achat et la fidélisation. C’est la même chose pour le « Retour à la demande » par coursier que l’on vient d’étendre également à Lyon au-delà de plusieurs villes de la région parisienne.
C’est-à-dire ?
Jonathan Trépo. Ce service permet au client de programmer en quelques clics un rendez-vous avec l’un de nos coursiers [en partenariat avec Stuart, filiale de La Poste, NDLR] pour un retour dans les 15 minutes, ou sur rendez-vous. Le service est disponible 7 jours sur 7 et gratuit ! Une fois encore, on supprime l’appréhension du retour des vêtements à notre clientèle… On croit également beaucoup au « colis retour en boîte aux lettres » que nous proposons aussi avec La Poste.
Ces innovations sont-elles dupliquées à l’étranger, et inversement ?
Jonathan Trépo. Zalando bénéficie de sa présence européenne pour expérimenter différents services dans différents pays. L’idée est de développer les bons services avec une valeur ajoutée technologique en partant toujours des besoins des clients locaux. En France, nous avons mis l’accent sur les services liés aux retours, car on savait que c’était un sujet problématique. On travaille avec La Poste, car en ce qui concerne la livraison du dernier kilomètre, nous sommes obligés de nous adresser à des acteurs locaux qui ont un certain niveau d’expertise, tout en étant capables de nous accompagner dans notre développement.
Face à un géant comme Amazon, comment vous positionnez-vous ?
Jonathan Trépo. Nous sommes très différents. Acheter sur Amazon, c’est comme acheter de la mode dans un grand magasin ou un hypermarché… C’est une expérience d’achat autre et pas forcément penser pour la mode. Avec 20 % d’offres communes uniquement entre nos plateformes, nous ne sommes pas du tout sur la même typologie de produits, ni de comportements d’achats, ni de clients… De plus, nous sommes un acteur européen, au plus proche des clients européens. Dans le e-commerce, il y a une cohérence territoriale très forte à conserver… Zalando aujourd’hui représente 1 % du marché européen de la mode ; notre objectif est d’atteindre les 5 % à terme…
Pour y parvenir, la logistique est le nerf de la guerre. Où en êtes-vous de l’optimisation de votre supply chain ?
Jonathan Trépo. Avec 2 000 marques livrables dans une quinzaine de pays, nous étions arrivés aux limites de nos capacités logistiques fin 2016… C’est pourquoi deux entrepôts supplémentaires sont en cours de construction, en Italie et en Pologne, à Gryfino [en cours de mise en service, NDLR]. Au total, nous disposerons bientôt de cinq « hubs logistiques » de taille similaire, avec Erfurt et Lahr en Allemagne. Par ailleurs, nous développons un réseau d’entrepôts « satellites ». Un premier a ouvert en Italie à Stradella en 2016 ; un autre en France en mars 2017 à Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne) ; un troisième est en construction à Brunna en Suède et sera opérationnel en fin d’année ; et d’autres implantations sont encore à l’étude. Notre objectif, comme je l’ai dit, est d’être au plus proche de nos clients, pour améliorer la livraison et les retours de façon optimale. Notre nouvel entrepôt francilien [20 000 mètres carrés opérés par Arvato France, NDLR] par exemple gère aujourd’hui 60 % de nos commandes et nous a déjà permis de réduire notre délai de livraison d’une journée en moyenne.
Pour innover dans les services, au-delà de votre R&D interne, quel est le rapport que vous entretenez avec les start-up ?
Jonathan Trépo. C’est un sujet très important chez Zalando. Nous sommes une société technologique, qui a conscience que son avantage concurrentiel ne se fera, sur la durée, que sur la base de l’innovation technologique. Aujourd’hui, nous avons une approche européenne du sujet. Parfois, nous développons des partenariats assez classiques, comme avec Stuart par exemple. Parfois, on accompagne financièrement des start-up, qui travaillent avec nous… [comme pour la suisse Fashwell, une spin-off de l’EPFZ, NDLR]. A Berlin, nous disposons d’un département dédié à tous ces projets émergents. Pour autant, Zalando voit le secteur de la mode comme un écosystème global sur lequel il faut créer des connexions entre les différents acteurs et qu’au centre, ce qui doit faire le lien c’est une plateforme unique, ouverte et tournée vers le développement de services technologiques (data, logistique…) avec tous types d’entreprises innovantes.
Côté marques, comment se décline l’innovation ?
Jonathan Trépo. Nous avons lancé récemment notre nouvelle offre ZFS [Zalando Fullfilment Solution] que nous souhaitons déployer à grande échelle désormais auprès des marques qui le souhaiteront. Parmi celles déjà présentes sur Zalando, certaines ont déjà fait ce choix. L’idée est de leur offrir une visibilité en ligne, et la gestion de leurs commandes à partir de notre réseau d’entrepôts. Depuis juin 2016 par exemple, les stocks de plusieurs points de vente Tommy Hilfiger ainsi que de boutiques indépendantes multimarques ou autres sont disponibles en ligne sur Zalando. D’un coup, ils ont accès à 200 millions de visites par mois.
Est-ce une façon d’anticiper sur la complémentarité avec le commerce physique ?
Jonathan Trépo. Tout à fait, car c’est comme cela que l’on va développer le marché dans son ensemble. En fait, le digital et le physique sont complémentaires [on parle de phygital désormais, NDLR]. Aujourd’hui, tout ce qui va être achats fonctionnels ou réassortiments se fera en ligne, voire même automatiquement… [avec les dash button par exemple, NDLR]. Par contre, dès que l’on va être sur l’émotion, que l’on cherchera à être inspiré, le commerce physique va jouer un rôle très important, et c’est là où il doit se réinventer, s’organiser pour proposer cette « nouvelle » expérience d’achat. Chez Zalando, nous cherchons à développer le commerce physique en le connectant à notre plateforme en ligne, car le cancer du commerce physique aujourd’hui, c’est d’abord et surtout un stock qui dort localement.
Tout début septembre, à Berlin, s’est tenu la deuxième édition du Bread & Butter, le « Festival de style et de culture » que Zalando a repris en 2016. Pourquoi cette diversification ?
Jonathan Trépo. Durant trois jours, plus de 30 000 visiteurs du monde entier ont pu explorer les dernières nouveautés de la mode, de la musique et de la restauration, pour la plupart présentées en avant-première, de façon inédite et originale… Ouvert au grand public, B&&B permet à Zalando de montrer comment on réinvente la mode et une expérience 360° pour le bien de tous, autant en termes de relation client que de mise en scène des produits. Ce fût un énorme succès.
Un doublement des ventes prévu d’ici à 2020
- Leader européen du prêt-à-porter en ligne, Zalando se veut « la plateforme mode de référence » sur les tendances de saison (200 000 références dans 2 000 marques différentes).
- Le site a été fondé en 2008 à Berlin (Allemagne) et est codirigé par David Schneider, Robert Gentz et Rubin Ritter.
- Présent sur 15 marchés en Europe : Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède, Suisse, Pologne et Royaume-Uni.
- Plus de 21,1 millions de clients actifs par mois.
- Plus de 200 millions de visites par mois.
- Effectif: 13 000 collaborateurs, dont 5 500 basés au siège de Berlin (Allemagne) et 1 700 ingénieurs en R&D répartis entre Berlin, Dublin et Helsinki.
- En bourse depuis le 1er octobre 2014
- Chiffre d’affaires 2016 : 3,6 milliards d’euros (+ 23 % sur un an)
- Chiffre d’affaires à la mi-2017: plus de 2 milliards d’euros (+ 21,5 %), des ventes réalisées à 70 % via les mobiles.
Jonathan Trépo, nouveau directeur général de Zalando France
Français, originaire de la région lyonnaise, Jonathan Trépo, 32 ans, a été nommé directeur général de Zalando France en mars 2017.
Diplômé d’HEC Paris, avec une spécialisation en marketing retail (2008), il est passé par Unibail Rodamco (immobilier), puis The Kooples (vêtements) pendant sept ans, jusqu’à en devenir directeur multicanal. « Mes deux passions, résume-t-il, sont la mode et le commerce ».
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