Directrice d’UR Lab depuis janvier 2018, l’entité qui organise l’innovation pour le groupe Unibail-Rodamco-Westfield (URW), Julie Villet revient pour Alliancy sur la façon dont le groupe mène ses relations avec les start-up, notamment pour inventer le retail de demain.
Alliancy. Quelle importance donnez-vous à l’innovation dans votre groupe ?
Julie Villet. L’innovation est un des trois piliers stratégiques d’Unibail-Rodamco-Westfield, avec la concentration et la différenciation. Concentration sur les grandes villes, les plus dynamiques en Europe et aux Etats-Unis. Différenciation en termes d’offres commerciales et de divertissement que nous proposons dans nos centres de shopping. Et, enfin, l’innovation pour continuer à inventer l’expérience retail de demain.
Dans cette optique, nous nous sommes dotés, dès 2012, d’une cellule innovation, UR Lab, pour anticiper en permanence les tendances dans ce domaine. En 2015, nous y avons adjoint l’incubateur « UR Link », afin de renforcer notre collaboration avec l’écosystème des start-up. Ces dernières années, nous avons organisé trois saisons de sélection et d’accélération de start-up. Sur la période 2015-2017, 19 ont été accélérées. Nous leurs avons offert du coaching, du mentoring, et leur avons permis de confronter leurs solutions aux dizaines de milliers de visiteurs quotidiens de nos centres de shopping. Aujourd’hui, 7 sont allées au-delà d’une phase de test et nous réfléchissons actuellement à différents projets de développement à grande échelle.
| A lire aussi : Alliancy lance un appel à contributions pour intervenir dans notre hors-série rédactionnel « Innover dans le retail », à paraître fin avril 2019.
Quelles sont les solutions proposées ?
Julie Villet. Elles ne sont pas obligatoirement liées au RetailTech, mais ont toutes vocation à apporter plus de services et plus de valeur à nos clients retailers et une meilleure expérience à nos visiteurs. Elles peuvent être aussi bien des solutions qui visent à encourager une mobilité plus vertueuse avec BlaBlaLines, l’application de covoiturage courte-distance de BlaBlaCar, que des solutions de recrutement pour nos retailers, comme le propose la plateforme Merito qui leur permet de trouver du personnel qualifié.
Julie Villet. D’une part, nous avons appris à travailler main dans la main avec les start-ups. D’autre part, nous sommes aujourd’hui clairement identifiés comme l’un des grands groupes capables d’offrir aux start-ups un terrain de jeu et d’expérimentation pour tester leurs solutions grandeur nature. Ce savoir-faire, nous avons souhaité le partager en étant à l’initiative de « La Boussole » avec 9 autres structures d’accompagnement, un mouvement visant à augmenter les chances de réussite des start-ups en France… D’ailleurs, nous souhaitons aujourd’hui élargir le scope d’UR Lab, notamment en initiant des collaborations innovantes avec tous types de partenaires (grands groupes, associations…) et pas uniquement avec des start-ups.
C’est-à-dire ?
Julie Villet. L’UR Link n’est plus seulement un accélérateur de jeunes pousses early stage, mais devient une plateforme d’open collaboration pour tous, y compris les grands corporates. C’est d’ailleurs pourquoi nous travaillons désormais avec des sociétés comme Uber, BlaBlaCar, Too Good to Go ou encore ContentSquare… qui offrent une capacité en termes de scalabilité. Aussi, nous n’avons plus deux saisons par an avec une ouverture très large du champ des start-up susceptibles de venir nous voir, mais nous avons plutôt tendance à travailler par thématiques*, en nous appuyant sur notre écosystème de partenaires tels que Paris&Co, Partech, Raise ou Numa.
Nous procédons ainsi afin d’accélérer la transformation de nos centres de shopping en « Better Places », des lieux attractifs et inspirants pour les marques et les visiteurs, proposant des modèles durables pour la planète et générateur de rentabilité… Nous nous positionnons comme le partenaire privilégié pour les marques et proposons à nos visiteurs des « centres de destination » qui vont au-delà du shopping grâce à une offre large de restauration, loisirs, animations… [1,2 milliard de visites par an, NDLR].
Vous avez surtout cité des partenaires français, quelle est votre approche internationale ?
Julie Villet. Nous cherchons en permanence à décliner ces initiatives dans d’autres pays. Nous avions par exemple initié des partenariats sur des travaux de recherche avec le MIT tout comme nous l’avions fait avec HEC, Polytechnique et l’Ecole 42 (Hackathon)… Et surtout nous avons identifié un certain nombre d’interlocuteurs dans chaque pays où est présent le groupe, tels que les Pays-Bas ou les Etats-Unis. De plus, chaque pays a aussi ses propres initiatives locales pour le screening des innovations.
Prochainement et pour exemple, quels types de POC allez-vous lancer ?
Julie Villet. Nous venons de lancer une expérimentation avec la plateforme Neatyy, qui met en relation des « personal shoppers » et des personnes en quête d’inspiration vestimentaire pour des séances de shopping : plus de quinze « personal shoppers » sont désormais disponibles tous les jours pour les visiteurs de nos centres Parly 2 et Rosny 2.
Avec Mutum, la plateforme gratuite de prêt et d’emprunt d’objets entre particuliers, nous commençons un test aux 4 Temps à La Défense, en hébergeant leurs services dans un espace physique, le Click&Services, où les utilisateurs du service pourront directement récupérer les objets empruntés online.
Avec Too Good to Go, nous avons lancé une initiative à Euralille permettant de vendre à prix réduits les invendus de nos enseignes de restauration. Plus de 1 000 repas ont déjà été sauvés et nous visons désormais le déploiement de ce type d’initiative à grande échelle au sein du Groupe.
Cet élargissement de l’offre de services dans vos centres, est-ce une demande de la part des visiteurs ?
Julie Villet. Nous avons trois challenges sur lesquels nous voulons apporter des réponses, avec en priorité ce que l’on appelle le « unified retail ». Premièrement, que l’on soit dans une consommation physique (off-line) ou que l’on ait commandé en ligne (on-line), l’expérience vécue par nos visiteurs dans nos centres doit être la plus fluide et « sans-couture » possible, avec notamment également des zones de retrait de colis. Notre deuxième défi est la personnalisation de l’expérience client… C’est pour cela que nous cherchons à développer une relation personnalisée et qualifiée avec le maximum de visiteurs de nos lieux. Aujourd’hui, nous comptons 5,5 millions de porteurs de cartes de fidélité et 39 millions de visiteurs uniques sur nos médias digitaux. Enfin, notre 3ème challenge reste l’expérientiel et là nous travaillons en partenariat avec les retailers pour offrir de nouvelles expériences et de nouveaux concepts, autour par exemple de la gastronomie (la « Dining Experience »), de la mode (la « Designer Gallery ») ou de nouvelles thématiques telles que la réalité virtuelle ou l’e-sport.
Comment se passent les relations autour de l’innovation avec les retailers qui sont vos clients ?
Julie Villet. Historiquement, nous sommes le partenaire des marques et des enseignes qui sont aujourd’hui en pleine transformation, que ce soit en ligne ou physique. Nous sommes totalement flexibles vis-à-vis des players on-line par exemple, mais nous réfléchissons aussi avec les retailers historiques à mettre en place de nouveaux services, comme sur la restauration par exemple avec la création de services de livraison via le on-line. Des deux côtés, notre enjeu est d’apporter à nos clients des solutions pour leur permettre d’opérer leur business différemment. Dans cette optique, nous avons créé un club réunissant les directeurs innovation d’un certain nombre de partenaires clés afin de pouvoir échanger, partager et mobiliser.
Où sont leurs plus gros besoins d’innovation ?
Julie Villet. Le premier enjeu pour le groupe est la connaissance de nos visiteurs pour pouvoir leur apporter un service le plus pertinent possible. Cette connaissance clients est fondamentale car elle permet aux retailers d’optimiser leur merchandising ou leur stratégie publicitaire sur la zone de chalandise par exemple. Ensuite, nous leur devons de continuer à réinventer la qualité d’expérience dans nos centres, en donnant toujours plus envie à nos visiteurs de revenir.
Pensez-vous que nous sommes vraiment à la fusion des deux mondes, physique et digital ?
Julie Villet. Cela nous semble être une évidence. Aujourd’hui, selon les secteurs, le retail digital représente entre 7 et 15 % de parts de marché. Cette dynamique nous challenge et nous invite à réfléchir bien que nous constations parallèlement qu’il n’y a rien de plus fort que les relations humaines et les lieux physiques pour être ensemble : ce sont les « better places » dont nous parlions précédemment. Ce n’est pas non plus un hasard si les retailers online ouvrent des magasins physiques… Regardez ce que fait The RealReal, le portail américain dédié aux produits luxe de seconde main, aux Etats-Unis : il vient d’ouvrir un magasin permanent à New York, ainsi que des pop-up stores à San Francisco et Las Vegas, pour incarner physiquement ce qu’il est.
Comment faites-vous votre veille sur tout ce qui peut se faire dans d’autres secteurs ?
Julie Villet. Il y a les grands rendez-vous comme Vivatech évidemment, mais le plus important pour nous est de développer le bon écosystème autour d’URW, qui nous permette d’avoir les bonnes informations au bon moment. C’est pour cela que nous sommes investisseurs dans des fonds de capital-risque et partenaires de plusieurs accélérateurs par exemple.
* mobilité, logistique, smart city, expérience client, nouveaux usages notamment.