Gémo, marque du groupe Eram, consacrée aux vêtements et chaussures pour la famille à des prix abordables, accélère sa transformation. La création d’une cellule d’innovation début 2014 a permis l’ouverture en octobre de la même année d’un premier « magasin connecté » : mais c’est l’enseigne toute entière qui se met en ordre de bataille.
Gémo a ouvert le 9 octobre à Bordeaux son deuxième magasin connecté « Follow Me », un an après le premier, lancé à Nantes. L’expérience vous a convaincu ?
Follow Me répond à un enjeu marché. Des acteurs du centre-ville s’installent en périphérie des villes, spécialité historique de Gémo. Nous avons voulu faire le chemin inverse, mais pas en déclinant nos magasins en ville : la surface y étant plus réduite, la variété de notre offre, qui fait notre réputation, aurait été décevante.
Que change le concept Follow Me ?
Ces boutiques visent un public féminin, plutôt que familial. Follow Me, c’est « le coin de la blogueuse », digitale et mode. Le but est de promouvoir nos produits dans un écrin différent, d’avoir un point de vente orienté conseil de mode, avec une esthétique particulière, un esprit « do it yourself »… C’est aussi un vrai magasin connecté, autour de deux axes : réseaux sociaux et services. La boutique dispose d’un « miroir magique », qui filme en décalé les personnes qui essayent les vêtements, afin de pouvoir se voir de dos sans se contorsionner. Il permet également de partager les images directement sur Facebook ou Twitter. Un « Shoes Mirror » affiche par ailleurs à hauteur d’yeux les chaussures que l’on essaye. Enfin, nous permettons de personnaliser les chaussures directement en magasin.
Comment ?
Un configurateur, meuble et tablette dédiés, est à disposition pour « customiser » une dizaine de parties de la chaussure : type de cuir, métal utilisé, inscription spécifique… L’avantage est qu’il est possible pour la cliente de tester directement la chaussure à la bonne taille, puis de se faire livrer en 15 jours, à partir de nos manufactures françaises.
A quels défis avez-vous été confrontés pour mettre en place Follow Me ?
D’un point de vue technologique, un projet comme le configurateur en magasin se mène en 3 mois. Par contre, le changement est fort en termes de logistique. Il a fallu mettre un « processus bis » en place sur une ligne de production, avec des techniciens dédiés. Les volumes concernés restent modestes et la rentabilité viendra avec leur augmentation. A ce titre, nous envisageons d’avoir 50 boutiques Follow Me ouvertes en 2020, mais aussi de nous appuyer sur une version « online » du configurateur.
Vous avez commencé à déployer des miroirs connectés dans votre réseau historique. Comment une enseigne a-t-elle intérêt à gérer la digitalisation de ses points de vente en dehors des flagships ?
La digitalisation représente des investissements, alors qu’un ROI chiffré n’est pas toujours évident à déterminer. Sur nos 500 magasins, ces investissements vont entrer en concurrence avec la modernisation des caisses ou le merchandising… C’est pourquoi il faut mettre en place une culture de tests itératifs et de « fail & learn », pour sélectionner les projets qui seront les plus déterminants.
D’où la création de la cellule innovation de Gémo, début 2014 ?
Rattaché au marketing, en tant que responsable innovation, je suis le seul membre de cette « cellule » car le sujet est par nature transverse : je suis l’agitateur mais tout le monde doit participer dans l’entreprise. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas d’intérêt à avoir un « département digital » dans l’entreprise. Tous les services sont concernés et doivent traiter le sujet ensemble.
Le groupe Eram est une société créée en 1927 et restée familiale depuis, est-ce un avantage dans le cadre d’une telle transformation ?
Le groupe a toujours innové sur les matières et les procédés de production. L’avantage de l’entreprise est de pouvoir dérouler sa vision stratégique en s’appuyant sur sa solidité financière et sa stabilité au niveau du capital. L’enjeu reste d’entraîner tous les collaborateurs dans le mouvement. Il était donc nécessaire de valider ces nouvelles démarches avec des gains rapides. C’était l’objet du manteau connecté que nous avons sorti en 2014, puis des tee-shirt connectés dévoilés cet été. Fin 2014, nous avons accéléré en lançant Overlay, une application de digitalisation des catalogues, qui permet de faire le lien entre l’usage papier et l’achat Web, en profitant du meilleur des deux mondes. Le sujet n’est pas seulement la digitalisation du magasin, c’est toute l’enseigne et ses produits qui doivent franchir le pas.
Est-ce que ces projets sont parvenus à créer l’émulation que vous espériez, en interne ?
Nous voyons de plus en plus de participation aux nouveaux projets. Pour continuer à diffuser cette culture de l’innovation, nous ouvrons un « innovation lab’ » qui permettra à chacun de proposer et tester des innovations plus facilement. Par contre, de telles démarches demandent du temps et une animation au quotidien pour être pérennisées. C’est aussi mon rôle. L’impact RH est énorme, pas tant sur l’adoption des nouvelles technologies en elles-mêmes, car les gens sont souvent plus geek qu’on ne le pense, mais sur la nécessité de changer sa façon de penser pour accompagner le client et ses usages.
Avez-vous d’autres projets qui visent à renforcer la convergence entre physique et numérique ?
Notre stratégie est de penser avant tout à des solutions simples pour améliorer l’expérience des clients. Si le digital peut renforcer cela, alors tant mieux, mais il ne s’agit pas de faire du digital pour du digital. Nous avons ainsi mené l’hiver dernier notre projet « Cloud » en interne. Le terme est à la mode mais il s’agissait là avant tout de mettre en place un entrepôt central pour tous nos produits, permettant à chaque magasin de les avoir tous en échantillons de test et de favoriser l’in-store réservation, avec une livraison sans frais en 48h.
Ce n’est qu’ensuite que nous avons décidé d’aller encore plus loin, avec le « Digi-Cloud », en proposant des bornes digitales en magasin, associées à des smartphones, tablettes et phablettes, pour permettre aux vendeurs et clients de gérer cela en direct depuis les rayons. Les taux de transformation sont excellents.
Quelles clés de transformation retenir, à partir de toutes ces expérimentations ?
Il faut éviter les effets d’annonce, tout en faisant le maximum de pédagogie vis-à-vis des nouveaux usages proposés. Il faut aussi prendre le temps de ne pas se tromper, se méfier des effets gadgets, tout en sachant aller vite : multiplier les tests, c’est ne pas se mentir sur les résultats, et abandonner ce qui n’est pas satisfaisant. A ce titre, la phase de récupération de données des expérimentations et les analytics sont essentiels pour tirer les bons enseignements. Le moteur est de se dire que « magasin connecté » est devenu un pléonasme, vu l’évolution sociétale : tout comme un expresso ne saurait plus être servi sans carré de chocolat, le magasin ne peut plus être dissocié du numérique.