Les nombreux opposants au compteur communicant Linky trouveront dans le rapport annuel de la Cour des comptes des arguments allant dans leur sens. Dans le chapitre consacré au sujet, la Cour réclame notamment que l’Etat pilote les actions permettant de valoriser les contributions de Linky à la maîtrise de la demande d’énergie.
| Cet article fait partie du dossier « Linky, le compteur de toutes les attentions »
A l’heure où nous publions un dossier exclusif sur Linky dans son ensemble, le rapport annuel de la Cour des comptes publié ce mercredi 7 février sort des conclusions on ne peut plus « dures ». « Les gains que les compteurs intelligents peuvent apporter aux consommateurs sont encore insuffisants. Ce sont pourtant eux qui justifient l’importance de l’investissement réalisé », critique les sages de la Cour des comptes, qui se sont penchés sur ce dispositif déployé en France depuis 2010. C’est un compteur très coûteux pour les consommateurs, qui n’en voient pas assez les bénéfices.
Plus spécifiquement, ils jugent qu’il faut améliorer « les moyens mis en place pour permettre à l’usager de connaître sa consommation détaillée, préalable à toute action de maîtrise de la demande d’énergie ». Tout est dit.
On ne peut qu’aller dans leur sens en l’état du déploiement. L’installation de 35 millions (et non 39) de compteurs connectés Linky en France d’ici à 2021 (et non 2024) nécessitera un investissement de 4,1 milliards d’euros (et non 5,7). Un coût peut-être avantageux pour Enedis qui déploie ces compteurs certes, dont le financement revient « à 130 euros par appareil et par usager ». Cette somme est payée à chaque facture qu’il reçoit, avec « un différé tarifaire au coût excessif », précise le rapport. Or, « Ce différé constitue une avance faite par Enedis, remboursée par les consommateurs à partir de 2021. Le taux d’intérêt de cette avance est de 4,6 % », explique la Cour. Enedis a pu financer cette avance à de meilleures conditions… Au final, selon le calcul des sages, l’opération représenterait une marge de 2,8 % pour le distributeur, « correspondant à un surcoût pour les usagers de 506 millions d’euros sur la période 2014-2031 ».
Là où la Cour des comptes est encore plus tranchée, c’est lorsqu’elle précise « le système n’apportera pas les bénéfices annoncés pour la maîtrise de la demande d’énergie ». De fait, après avoir enquêté longuement sur ce sujet ces dernières semaines, ces compteurs supposés rendre « plus lisible la consommation électrique d’un foyer » ne le font pas encore.
La faute à Enedis ?
NON, car le distributeur n’est pas responsable de la partie « aval compteur ». Il doit même sur ce sujet rester le plus neutre possible face à tous les acteurs de chaîne énergétique capables d’agir au-delà du compteur. Et ils ne sont pas les plus réactifs pour sortir leurs offres… Parmi eux, on trouve en priorité les fournisseurs traditionnels d’énergie (EdF, Direct Energie, Engie, Total Spring…) ; mais également, les acteurs historiques de l’électroménager ou de la domotique (Legrand, Bosch, Miele, Somfy…), les opérateurs de télécommunications (Orange…), les enseignes de la distribution (Cdiscount, Leclerc…), La Poste ou, encore, les start-up (Hello Watt…) pour des services liés à la gestion de la consommation notamment, mais pas que…
OUI, car Enedis n’a pas tout fait pour accélérer le développement de cet écosystème « aval compteur » dès le démarrage du projet en 2010. D’une part, il aurait dû communiquer davantage sur la prise TIC dont dispose ce compteur et tout le potentiel qu’elle offre. D’autre part, il aurait pu bien plus rapidement mettre à disposition certaines de ses données pour avancer sur le sujet de l’efficacité énergétique avec d’autres acteurs.
Résultat : il est très difficile aujourd’hui de connaître et mieux de disposer d’offres nouvelles en lien avec la recherche d’une maîtrise de sa consommation électrique. Mais, surtout, il est très difficile de comprendre ce que tout cela pourrait nous apporter… C’est, en effet, « un véritable parcours du combattant pour avoir des informations simples » !
Au-delà, la Cour des comptes reproche un défaut de pilotage de la part de l’Etat, de la part de l’Etat et d’Enedis, en ce qui concerne pédagogie et communication… avec une mauvaise prise en compte des inquiétudes des consommateurs en matière de risque sanitaire et de préservation des données personnelles.
« Plus les services autour du compteur vont se développer, plus Linky sera promu auprès des consommateurs. » Lire l’entretien exclusif avec Bernard Lassus, directeur du programme Linky
La cybersécurité, un sujet maîtrisé
A ce sujet toutefois, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire et alimentaire) a conclu à deux reprises à une « très faible probabilité » pour que les champs électromagnétiques des compteurs aient des conséquences sur la santé.
D’autre part, concernant les données personnelles, je vous renvoie à notre article sur ce point. Nous avons justement souhaité en savoir plus sur cette question et considérons, qu’en la matière, Enedis a largement joué la carte de la prudence concernant son compteur communicant. Guillaume Bellier, responsable cybersécurité pour le système Linky, est revenu largement pour nous sur les particularités de cette approche.
Ce point est confirmé par Loïc Guézo, Cybersecurity Strategist de l’éditeur japonais Trend Micro. Cet expert met également en lumière l’approche différente au niveau de la conception même du système : « Celui-ci a été pensé il y a près d’une quinzaine d’années. Il est donc bien loin des systèmes IoT en vigueur aujourd’hui, encore peu mâtures en matière de cyber-sécurité ». Un point que reconnaît volontiers Guillaume Bellier : « Le système Linky utilise des protocoles plus classiques, non spécifiques au monde de l’IoT, de type « https », dont les tenants et aboutissants sont mieux maîtrisés. Il a ainsi été possible de s’appuyer sur du TLS* pour sécuriser les échanges ».
Toutefois, pour aller plus loin et avoir une multitude d’avis contradictoires, vous pouvez écouter les débats parlementaires de décembre 2017 sur le sujet Linky.
« Le coût du compteur Linky sera neutre pour les consommateurs » promet le directeur du programme chez Enedishttps://t.co/okZeyz40VY pic.twitter.com/JkNlhIiCva
— franceinfo (@franceinfo) 7 février 2018
Cédric Villani, premier Vice-Président de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (Opecst), lors des tables-rondes sur les enjeux des compteurs communicants (Commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale et Opecst), reconnaissait d’ailleurs : « Sur la question des données, il y a une tension qu’il faut assumer, expliquer et résoudre, entre la nécessité de préserver la vie privée des citoyens et l’intérêt de mettre en commun certaines données pour certaines tâches. »