[Republication – Article écrit au mois de juillet 2016] La conjoncture actuelle n’est pas favorable aux grandes enseignes de la distribution. Aussi, quelles stratégies vont-elles déployées dans les mois à venir, notamment dans le digital, pour faire venir en magasin et inciter le client à acheter… Réponses de Pierre Denis, dirigeant de Retail Explorer.
Le métier de Pierre Denis, expert de la grande distribution, repose sur les bases de données et leur analyse… Dans l’outil Retail Explorer qu’il a créé en 2001, on trouve donc les données mises à jour quotidiennement de trois catégories d’enseignes : celles de la distribution (Carrefour, Leclerc, Monoprix, Auchan…) ; celles des grandes surfaces spécialisées (Castorama, Décathlon, Kiabi, LeroyMerlin…) et, enfin, l’e-commerce (drive et click&collect). Soit pas moins de 37 millions de lignes de produits et prix disponibles en ligne… Sept enseignes (dont Amazon) utilisent aujourd’hui ces datas pour mesurer leur compétitivité au national et par zone de chalandise.
Dans la multitude d’enseignements qu’il annonce lors de la présentation du Panotrade 2016, l’étude annuelle stratégique publi-promotionnelle et prix des grandes enseignes, on apprend ainsi que :
- La guerre des prix s’est transformée en guerre de position. Hors chez Carrefour (notez-le !), les prix du drive sont quasiment les mêmes partout… Les prix restent assez constants sur 2016 et probablement, il en sera de même pour 2017.
- Les promotions (carte de fidélité, lot virtuel immédiat et remise immédiate) ne cesseront de se multiplier sur le deuxième semestre de 2016 et en 2017. En cause : la météo morose qui impacte sur les ventes de bière, d’eau, de crème solaire, de glaces, de meubles de jardin, de maillots de bain… et j’en passe ! Il va leur falloir déstocker…
Pour autant, les enjeux des enseignes passent avant les enjeux des consommateurs (peu de nouveautés, toujours plus de volumes…), et même les programmes de fidélité n’ont plus d’aspérités qui les distinguent… A tel point que la communication sur la fidélité s’efface de plus en plus au profit de l’exploitation de la data ! Dans cette optique d’ailleurs (déstocker/accrocher/conserver), le digital et la radio sont importants, « car un prospectus nécessite un délai de huit semaines pour en disposer et, d’ici à la rentrée, les enseignes n’ont plus le temps », commente Pierre Denis.
- Les stratégies de différenciation des groupes Leclerc (sélection de produits, créativité dans les prospectus, guerre des prix…) et Intermarché (industriel et commerçant local, fruits et légumes moches…) ont payé. Plus original encore, Lidl et Monoprix ont joué sur d’autres leviers pour concurrencer leurs consoeurs et notamment la communication sur les réseaux sociaux.
Au total, Lidl a investi pas moins de 12,3 millions d’euros dans son plan média (1er en France devant Leclerc et Carrrefour) et affiche dorénavant sur Facebook plus de 1,2 million de fans ! De même, sur le 1er semestre 2016, Monoprix, qui compte 380 910 like et plus de 1 million d’abonnés sur Facebook, enregistre un ratio d’engagement de 37 % (Nb de like des posts/Nb d’abonnés)… On voit là que si Facebook semble tenir la corde en termes de présence sur les réseaux sociaux, les enseignes sont quasi absentes de Youtube… « Faire une vidéo ratée, c’est trop dangereux. Les grandes enseignes ne sont pas prêtes à prendre ce risque »…
- Ainsi, la communication digitale s’avère diversement intégrée dans la stratégie de communication des enseignes. Le catalogue « papier » reste toujours aussi puissant (50 % de tous les investissements média des enseignes !), bien que de moins en moins adapté auprès d’un public jeune… Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
Pénétration des catalogues par cible d’âge
- 53 % pour les 15-24 ans
- 73 % pour les plus de 60 ans
(source Isabal 2015)
Usage du mobile en magasin
- 71 % pour les 18-24 ans
- 34 % pour les 55-64 ans
(source Obsoco)
« En fait, les marques auraient tout intérêt à créer des marketplaces, à l’image de ce que vient de lancer Amazon Prime Now (15% de marge), afin de récupérer sur le moyen terme des clients sur le non-alimentaire et ce grâce au digital. De même, il faut jouer la carte du crosscanal, comme peut le faire Carrefour, qui permet aujourd’hui de commander en ligne ses fournitures scolaires que vous récupérez dans leur drive… », illustre l’expert.
Franprix également joue parfaitement la carte de la proximité avec une communication alliant autant le mobile, que son site internet et les réseaux sociaux… Les promotions sont géolocalisées et diffusées sur 500 sites mobiles, quand les courses sont livrées en 90 minutes via une commande sur Cdiscount (même maison). Ah, encore la géolocalisation… le nouveau graal du retail !
L’arrivée d’Amazon Prime Now chamboule tout…
Mais, pour y parvenir, la difficulté est bien réelle : « il faut lier l’intégralité des moyens de communication et les moyens de backoffice », précise Pierre Denis. Et là, les systèmes d’information (SI) et la gestion des multiples et lourdes bases de données de tous ces groupes n’y sont pas…
- L’éclatement du commerce s’accélère avec l’arrivée d’Amazon Prime Now ! « La fragmentation d’achats des clients est une tendance inéluctable », commente-t-il. On peut se demander alors ce que vient faire ce nouvel acteur sur l’alimentaire ? « Il s’adresse à 4 % du marché français, ceux qui se font livrer à domicile… Mais, si c’est un marché risqué pour Amazon, l’Américain a un raisonnement tout autre, autour du digital qui se teste sur trois ans ».
Son idée ? Attirer des clients sur l’alimentaire et par le service avec Prime Now (livraison de ses abonnés Premium, qui paient 49 euros par an, en seulement une heure, sept jours sur sept) pour, dans la durée, en tirer la rentabilité sur le… non-alimentaire. L’idée est simple : on offre la cafetière pour faire acheter les dosettes ! Car le positionnement d’Amazon Prime Now est bien dans le non-alimentaire.
Face à ce nouvel entrant, le risque est donc principalement pour les pure players (Ooshop, Houra, Auchan Direct.fr…) et les enseignes de proximité urbaine (G20, Spar, Carrefour Express, Coccinelle…) face à une clientèle de jeunes urbains pour qui le service compte plus que le prix…
« Les options pour 2016/2017 sont clairement d’aller chercher de la part de marchés en continuant la guerre des prix et/ou des promos, conclut Pierre Denis. Mais les enseignes vont aussi devoir se transformer, même si elles y vont à marche forcée, par manque de visibilité sur le ROI. Et cela passera par la rénovation du SI (même si très complexe) et la création de marketplace (qui est un vrai relais pour le non-alimentaire). »
Les groupes s’organisent autour de la data
Concernant le digital plus globalement, les enseignes attendent encore « la preuve » que ça marche (elles demandent plus au digital qu’au prospectus…). Et si, dans ce secteur, le digital devient un élément important en terme d’image, il représente encore très peu en chiffre d’affaires*. D’où le fait que les actions que l’on peut voir sont multiples et très diverses selon les enseignes.
« Le développement autour du drive, c’est fini !, tranche Pierre Denis. Le nouvel enjeu est aujourd’hui de savoir comment une enseigne peut jouer le non-alimentaire sur le digital pour pousser le client vers l’alimentaire en magasin. »
Le groupe Auchan, qui travaille avec Ysance, a ainsi créé il y a peu, une entité dédiée (Auchan Retail Data), avec une équipe d’une trentaine de personnes dirigée par Olivier Girard, pour gérer ses données en vue notamment de les harmoniser… Chaque pays ayant sa façon propre de collecter les données ! Le groupe récupère pas moins de 2,5 milliards de tickets de caisse par an, enregistre 420 millions de visiteurs annuels, 170 millions sur ses trois sites et s’appuie en outre sur les 12 millions de porteurs de sa carte fidélité… (source LSA). Leclerc serait en train de faire de même…
* Seuls 6 000 sites réalisent plus de 1 million d’euros de recettes par an. Ils représentent 89 % du chiffre d’affaires de l’ensemble du e-commerce en France (source Fevad, 2015).
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