L’autonomie technologique européenne passera-t-elle par les solutions d’IA ? 

 

La domination des entreprises numériques américaines est telle que l’Europe ne peut que composer avec, dévoile le dernier rapport de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Pour autant, les startups européennes ont un créneau restant et juteux : celui des solutions d’IA.  

 

“L’idée d’une indépendance technologique totale à court terme en Europe n’est ni réalisable ni nécessairement souhaitable”, affirme Hugo Le Picard. L’auteur du dernier rapport de l’Institut français des relations internationales (IFRI) remet en question l’enjeu européen de dépasser la domination des “Big Tech” (Google, Apple, Meta, Amazon, Microsoft), sur l’IA générative (IAG). D’abord, en dénonçant l’impossibilité de s’émanciper de l’industrie technologique américaine bien rodée. La domination américaine est structurelle, elle s’étale sur toute la chaîne de valeur de l’IA générative. L’infrastructure cloud, clé de voûte de l’IAG, est largement contrôlée par trois acteurs, Amazon Web Services, Microsoft Azure et Google Cloud, qui ont investi 68% du marché mondial à grand renfort d’investissements. Les canaux de distribution, qui permettent la commercialisation des solutions d’IA, sont, eux aussi, sous la mainmise des Big Tech : Google Play et App Store partagent 95 % du marché en Europe et dans le monde (hors Chine). Les entreprises de tech européennes, majoritairement des startups, dépendent non seulement de ces canaux pour leur croissance mais aussi des plateformes publicitaires, elles aussi, sous le joug des géants numériques. Dans un marché mondial de la publicité aujourd’hui largement numérisé, estimé à 933 milliards de dollars en 2024, Google, Meta et Amazon captent 61 % des recettes (hors Chine).

 

“L’IAG pourrait représenter pour l’Europe soit le levier de son renouveau, soit l’accélérateur de son déclin” 

 

Ainsi, la loi du plus fort s’applique : un tel ascendant américain explique l’insuffisance d’une simple régulation européenne pour permettre l’émergence d’un leader européen autonome. D’autant plus qu’il existe aussi des faiblesses structurelles du côté du Vieux Continent. Les capacités d’investissements y sont réduites et le marché européen est fragmenté, séparé par des barrières linguistiques et culturelles. Cela diminue la chance pour les acteurs européens de diffuser leurs services à grande échelle. Le risque étant que l’Europe rate le virage de l’IA et subisse un décrochage technologique et économique durable. Rappelons que l’IA générative représente une opportunité de transformation économique majeure. Elle pourrait ajouter jusqu’à 4000 milliards de dollars à l’économie mondiale, soit 1,5 fois le PIB de la France ! “L’IAG pourrait représenter pour l’Europe, soit le levier de son renouveau, soit l’accélérateur de son déclin”, énonce durement Hugo Le Picard. Notre continent est en effet affaibli, sa croissance stagnant depuis 2008. La productivité des entreprises technologiques américaines a augmenté de 40 % depuis 2005, tandis qu’elle ne progresse pas en Europe, et la diffusion de l’IA générative pourrait accentuer ce déclassement.  

 

Les bénéfices de la concurrence américaine 

 

Face à cette alternative, l’Europe doit trouver les solutions pour développer sa technologie. Puisque s’affranchir des Américains n’est pas possible, autant profiter des avantages émanant de leur contrôle. Les Big Tech fournissent des services essentiels à l’innovation et à la croissance des startups, comme les crédits cloud. Ces crédits, permettant d’utiliser gratuitement les infrastructures informatiques des géants américains, sont une ressource indispensable aux PME. Cependant, il reste important de souligner que ces crédits ont été conçus comme des instruments de dépendance à long terme, puisqu’il est complexe et coûteux de migrer vers un nouveau fournisseur d’infrastructure. Il s’agit donc d’une aide à l’innovation européenne uniquement à court terme, mais irremplaçable. D’autres bénéfices, moins léonins, découlent néanmoins de la position dominante des acteurs américains. Si le constat mondial est celui d’une hégémonie des Big Tech américaines, entre elles, les entreprises se livrent une lutte incessante. La course aux investissements en est le symptôme le plus flagrant. Leurs dépenses en infrastructures ont bondi de 66 % au dernier trimestre 2024 par rapport à l’année précédente. Les géants technologiques, hantés par la crainte de manquer la prochaine révolution technologique, ne se permettent pas de ralentir la cadence, malgré les risques de surcapacité 

 

Les solutions d’IA, l’opportunité européenne 

 

Par ailleurs, cette lutte féroce crée un effet d’aubaine pour l’Europe. Les États-Unis jouent selon les règles de la concurrence : pour tenter de prendre les parts de marché de son voisin, les entreprises baissent leurs prix. Elles proposent ainsi des conditions d’accès à leurs outils favorables à l’écosystème technologique européen. Les startups peuvent donc facilement développer des solutions innovantes. Et c’est sur ce segment précis que les startups européennes doivent se développer : les solutions d’IA. L’essentiel de la valeur économique de l’IAG réside en effet dans l’adaptation des modèles aux besoins spécifiques des différents secteurs. Bonne nouvelle, l’Europe est reconnue pour son expertise sectorielle, grâce à des filières industrielles de pointe comme l’automobile. Deuxième chance européenne, ses contraintes locales, linguistiques et législatives sont des barrières à l’entrée naturelles pour des acteurs étrangers. Ainsi, le marché européen des applications d’IA resterait probablement à l’Europe, sachant que le marché américain, caractérisé par un pouvoir d’achat élevé et une forte propension à adopter rapidement les technologies, représente une source de revenus substantielle pour les solutions d’IA européennes. D’un point de vue pragmatique donc, l’Europe aurait intérêt à abandonner, à court terme, sa quête illusoire d’autonomie technologique, notamment en termes d’infrastructure, pour se concentrer sur le développement d’un vivier de startups excellant à adapter l’IAG en solutions concrètes et commercialisables. “Cette approche présente un double avantage : elle réduit significativement les coûts de développement tout en accélérant les cycles d’innovation, une application pouvant être conçue et testée en quelques mois seulement”, insiste Hugo Le Picard. L’Europe peut donc encore se tailler la part du lion dans les bénéfices générés par l’IAG. 

 

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