Le 25 septembre, Station F résonnait du bruit des échanges entre ETI et start-up à travers l’organisation de deux évènements qui leur étaient dédiés, au niveau national et de la région Île-de-France. Objectifs : pousser les ETI françaises à entrer dans des dynamiques d’innovation et de réinvention plus audacieuses de leur modèles, en s’ouvrant à de nouveaux écosystèmes et notamment aux start-up.
« Vous êtes ETI ou start-up ? ». La question posée à l’entrée du campus Station F (Paris 13e), indique clairement la cible de l’évènement organisée conjointement par la direction générale des entreprises (DGE), le mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), la French Tech et la French Tab et soutenu par Bpifrance. D’ailleurs, seuls 4 journalistes sont inscrits sur la liste « Presse » des organisateurs : les invités attendus sont plutôt les principaux concernés par ce « speed dating » annoncé comme le « 1er évènement national dédié à la rencontre des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et start-up ».
Si plus de 9 ETI sur 10 admettent que le numérique va bouleverser leur activité, seules 45% se sentent en mesure de bien s’y adapter. Les chiffres – dont le second peut inquiéter – a été avancé par Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances, en ouverture de la rencontre. « Tout le monde a compris. Mais il faut maintenant aller plus loin. L’enjeu de cette rencontre est de mettre le piment du « réflexe numérique » dans la solidité de la FrenchFab, pour faire du business durable. Avec cet évènement, nous voulons croiser le coq rouge et le coq bleu (symbole respectivement de la FrenchTech et de la FrenchFab, ndlr) et montrer des témoignages de réussites » a affirmé la ministre. En clair, faire un net appel du pied pour que se crée une dynamique d’écosystème entre des acteurs industriels et des acteurs de l’innovation numérique, qui, malgré la communication gouvernementale, ont encore trop tendance à rester dans l’entre-soi.
Difficultés de communication entre deux mondes très différents
Il semble cependant y avoir encore du chemin pour dynamiser cette approche « écosystème », au service de l’économie des territoires (68% des ETI ont leur siège en région, d’après le METI) et du rebond industriel français (environ 1 ETI sur 3 est une entreprise industrielle et le gouvernement annoncé que 30 000 emplois industriels ont été recréé depuis 3 ans). En effet, les 48 tables de « speed dating » prévues par les organisateurs ne bouillonnent pas d’activité après les discours officiels. Quant aux exemples de réussites, présentant les projets menés par des duo ETI-Start-up, il n’y en aura finalement que deux qui seront vraiment menés en équipe, la troisième ETI n’ayant finalement pas fait le déplacement pour témoigner.
Pour sa part, Christophe Richard, chief technology officer du groupe Ventana (fabrication aéronautique, spatiale, défense ; 500 salariés et 55 M€ de CA) se fait fort de détailler le projet mené sur 3 ans avec la start-up Simsoft Industry : un assistant virtuel pour les opérateurs de fonderie, soutenu par une technologie de commande vocale. « C’est un moyen de rendre plus attractif le métier pour les jeunes employés et les clients, alors que l’on ne parle plus de la profession de fondeur à l’école » témoigne-t-il.
La start-up a apprécié de son côté d’être confronté aux « conditions réelles et bruyantes en usine ». « Un projet qui dure 3 ans, cela parait une éternité dans une relation avec une start-up, mais cela a l’avantage de lui donner aussi de la visibilité sur l’avenir. Et cela prend en compte la difficulté de communication entre deux mondes très différents : nos experts respectifs n’utilisaient tout simplement pas le même vocabulaire » explique Christophe Richard.
Les start-up peuvent-elles transformer les business models ?
Son de cloche relativement similaire, du côté de Pierre George, directeur des systèmes d’information de Demathieu-Bard (BTP, 3685 salariés, 1480 M€ de CA). Le rythme est cependant plus rapide : après avoir rencontré fin 2016 la start-up IBAT, qui lui présente une simple maquette, les deux entreprises se retrouvent 6 mois plus tard pour lancer une application de prise de commande adaptée à un environnement de chantier. Il faut ensuite 3 mois pour que la start-up et l’ETI s’accordent, et un semestre de plus pour mettre l’outil en production dans une première région.
« En tant qu’ETI nous avons un circuit de décision court, mais une autre spécificité est une organisation très horizontale, région par région. Cela permet une montée en puissance progressive pour le déploiement de l’outil. Pour la start-up la mise à l’échelle est donc mieux maîtrisée » explique Pierre George. Du côté de IBAT, on reconnait que les exigences de l’ETI ont permis de s’améliorer au niveau des fonctionnalités de l’outils, de l’interfaçage avec un système d’information d’envergure, et sur les éléments de contractualisation et de service level agreement. Satisfait de l’expérience, Demathieu-Bard a depuis mis en place un processus interne pour sourcer les start-up mais aussi mieux les rendre visible sur les chantiers et aux clients.
Dans le public, face à l’estrade, Stéphane Gervais, directeur de l’innovation stratégique du groupe Lacroix (équipements connectés, 4000 salariés, 468 M€ de CA), fait part d’un avis mitigé : « C’est intéressant, mais 3 ans… c’est long ! A-t-on vraiment tout ce temps devant nous ? Et puis les sujets abordés sont représentatifs d’un problème de fond : les start-up que l’on rencontre proposent surtout la digitalisation de processus ou d’outils, comme dans ces témoignages. Pourtant, ce que j’attends aujourd’hui d’elles, c’est qu’elles se positionnent comme un vrai booster pour challenger mon business model ou permettre d’en créer de nouveaux… Pas seulement d’ajouter un peu de digital dans ce que l’on fait déjà ! »
« Il faut que les ETI cherchent à régler de vrais problèmes »
Cet avis est partagé par Pierre-Olivier Brial, co-directeur de Manutan et président du CLUB ETI Île-de-France.
Avant la grande rencontre coorganisée par la DGE, se tenait en effet le lancement officiel du Club Open Innovation ETI dans le restaurant La Felicita – toujours au sein de Station F, mais de l’autre côté du bâtiment. Ce programme, organisé par le Club ETI île de France (une émanation du METI) et la Région Île-de-France, avec l’accélérateur Creative Valley, vise à faciliter en moins d’un an les synergies entre une sélection d’ETI et de start-up. Avec un objectif : faire émerger des projets très concrets sur ce timing resserré.
A cette occasion, Pierre-Olivier Brial a estimé qu’aider les ETI à se transformer devait être l’équivalent d’une grande cause nationale, vue leur impact sur l’économie : « Il faut coconstruire, avec les législateurs et avec les entreprises innovantes, pour débloquer de multiples sujets. Mais il faut surtout que les ETI cherchent à régler de vrais problèmes… Ceux qui leur permettront de faire face à un Amazon, et pas seulement de mettre en avant un peu d’innovation avec des start-up. Cette première promotion de collaboration qui est lancée aujourd’hui, doit permettre de lutter contre les géants du digital ».
Au programme pour les 6 ETI volontaires* : 6 semaines d’ateliers d’acculturation et d’idéation pour leur permettre d’imaginer un avenir digital, suivies de 4 mois pour lancer des projets réalistes avec une ou plusieurs start-up, en étant accompagnées par un comité de pilotage issu de Creative Valley. Si ces entreprises d’Île-de-France qui se lancent ne semblent pas encore avoir les idées très claires sur ce qu’elles veulent faire émerger de la sorte, la plupart ont conscience que la transformation ne devra pas se faire à la marge. « C’est une opportunité de changer de modèle, même quand on sait que nos méthodes industrielles sont éprouvées : le monde a changé, il faut que l’on change aussi » résume le directeur innovation et stratégie du groupe Fichet (matériels et construction de sécurité, 960 salariés, 125M€ de CA).
Le changement ne sera pas immédiat. Mais cette prise de conscience est le premier pas vers une accélération nécessaire, alors que les ETI ne peuvent mener seules leur transformation.
*Fichet, GCC, Heppner, Institut de Soudure, Manutan, Surys