Toutes les grandes entreprises françaises n’ont pas encore pris conscience de l’enjeu stratégique du big data, qui n’est pas une question technologique. Tel est le point de vue de François Bourdoncle, président de la société FB&Cie et co-fondateur d’Exalead.
Alliancy, le mag. Les entreprises françaises ont-elles bien pris conscience des enjeux autour du big data ?
François Bourdoncle. Il faut être clair, les grands groupes français n’ont pas encore tous pris la mesure de la révolution industrielle que représente le big data. Ils estiment qu’il s’agit en grande partie d’une question de technologie. Mais le big data n’est pas tant une révolution technologique qu’un bouleversement complet du fonctionnement des entreprises. Elles passent d’une organisation en silos à une structure transversale, où les informations circulent mieux et sont largement partagées. Cette révolution va mettre à mal nos industries si elles ne réagissent pas. Car tous les nouveaux usages sont basés sur l’analyse des données. La question n’est pas de dire : « Je vais donner un coup de jeune à mon business historique grâce au big data », mais : « comment vais-je répondre à des concurrents qui maîtrisent l’analyse de donnée et seront bientôt en capacité de détruire mon business ».
Quels conseils donneriez-vous à une entreprise souhaitant évoluer vers le big data ?
Encore une fois, il ne faut pas commencer par appréhender le big data comme une question technologique. Il s’agit d’abord d’une nouvelle organisation de l’économie et d’une nouvelle stratégie où l’usage client est au cœur du business. Il faut donc que ce soit la direction elle-même qui soit moteur dans cette transformation numérique. C’est au PDG et à ses collaborateurs les plus proches de se pencher sur la question et éventuellement de recruter de nouvelles compétences si nécessaire. Il faudrait plus souvent faire siéger des responsables expérimentés dans l’industrie du numérique dans les conseils d’administration. Une fois que le cap est donné, les projets technologiques peuvent alors être lancés. Pour résumer : devant le défi du big data, les dirigeants doivent se dire que c’est leur problème à eux, et pas celui de leurs équipes.
En juillet 2014, vous avez présenté au gouvernement un plan big data, dont l’ambition était de faire de la France un leader dans ce domaine, face notamment aux géants américains. Où en est le développement de ce plan ?
Nous sommes aujourd’hui en phase opérationnelle du plan. La feuille de route que nous avons établie a été rendue publique en janvier 2015. C’est une étape importante car elle donne de la visibilité aux mesures que nous préconisons et aux projets industriels qui en découlent. Je rappelle que ce plan compte quatre volets importants. Le premier est le volet industriel. L’objectif est de favoriser les échanges entre les grands groupes français autour du big data et de mettre en lumière des projets lancés par certains industriels. Tous les deux mois nous organisons des « points d’étape » de projets big data présentés par ces entreprises. Nous suivons pour l’instant trois ou quatre projets dans des domaines aussi divers que l’assurance, l’énergie ou les transports. Ces projets, labélisés « plan big data », sont étudiés et présentés à d’autres acteurs du secteur. Nous les faisons travailler par petits groupes afin de favoriser les échanges. Et les retours sont très positifs. Les expériences des uns, viennent nourrir les réflexions des autres.
Et les autres volets ?
Le deuxième volet, dit « régalien », doit faire de l’État un exemple dans le domaine du big data, en lançant de grands projets dans les domaines de la santé et de l’emploi. Cela avance. Nous travaillons notamment avec le ministère de la Santé et la CNAM autour de l’exploitation des données de santé. De même, nous collaborons avec le ministère du Travail et Pôle Emploi autour des données de l’emploi. Nous étudions par exemple comment fluidifier le marché de l’emploi grâce aux outils numériques. Nous voulons également développer les compétences du big data via un volet éducation et formation. Dans ce domaine, nous sommes en train de réunir différents acteurs, notamment des universités et des écoles d’informatique, pour donner une impulsion aux cursus autour du big data. Il y a un gros déficit de compétences en France et il faut réellement faire décoller ces formations.
Le quatrième volet concerne l’adéquation du big data avec la Loi Informatique et Libertés. N’est-ce pas un domaine plus difficile à faire avancer ?
C’est effectivement un domaine sensible. Mais nous travaillons efficacement avec la CNIL sur ce sujet. L’idée n’est pas de changer immédiatement la loi mais d’adopter une logique de « certification de processus » et de « label éthique » autour des solutions big data. Cela permettra aux industriels qui y auront recours, de promouvoir une approche éthique de l’utilisation des données personnelles et d’en faire un atout concurrentiel, notamment à l’exportation. En début d’année, nous avons organisé une première matinée de travail autour de l’écosystème de la mobilité en milieu urbain, et notamment des voitures connectées. Il y avait une cinquantaine de représentants, notamment des constructeurs automobiles, mais aussi des assureurs ou des logisticiens. Ils ont échangé sur l’utilisation des données de manière transversale, c’est-à-dire partagée par différents acteurs pour assurer un même service. Cette rencontre a été un franc succès. Elle a permis à des acteurs qui ne se connaissaient pas forcément de se rencontrer. Et certains se sont rendus compte qu’ils s’autocensuraient plus que nécessaire dans l’usage des données des voyageurs. Nous allons poursuivre ces rencontres en 2015.
Il était également question de mettre en place un ou plusieurs centres de ressources technologiques permettant aux startup d’accéder aux données de grandes structures, publiques ou privées, ainsi qu’aux infrastructures nécessaires pour les exploiter, comme les moyens de calcul. Où en est cette création ?
L’appel à manifestation d’intérêt a été lancé par la DGE l’été dernier. Cet appel d’offres a été dépouillé en novembre. Il s’appelait « challenges big data » et propose donc de récompenser des start-up ayant un projet particulièrement innovant à accéder à des ressources de grandes entreprises ou d’institutions publiques pour les aider dans leur projet. Il y a cinq centres de ressources en cours d’élaboration dont deux à Paris. Un de ces centres de la capitale est déjà opérationnel depuis novembre 2014 et est dédié au secteur des assurances. Il est sponsorisé par le groupe Axa.
Pour aller plus loin
Découvrez les échanges du diner de la rédaction « Data Intelligence » autour de François Bourdoncle et 12 dirigeants de grandes entreprises et découvrez les 50 acteurs à suivre dans le Guide du big data :