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Le Cigref se veut « stratège » face aux géants du Cloud

L’Etat des relations entre les membres du Cigref et leurs grands fournisseurs du numérique, que sont notamment les Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (Gafam), – mais pas seulement – devient une préoccupation majeure pour les membres de cette association, qui regroupe les grandes entreprises et administrations publiques françaises. Un mouvement à regarder par toutes les autres.

Bernard Duverneuil, président du Cigref et Philippe Rouaud, en charge du Club des Relations Fournisseurs au sein de l’Association.

Qu’on soit tous d’accord dès le départ : « Il ne s’agit pas de contrer les Gafam ou autres acteurs américains, mais bien de mettre en place une alternative européenne », m’explique l’un des membres du comité de direction du Cigref, l’association des grandes entreprises et administrations publiques françaises. Et si possible avec l’aide des politiques au plus haut niveau !

Que ce soit Emmanuel Macron comme lors du dernier salon Vivatech : « LEurope peut devenir le leader de la tech car nous sommes en train de construire la tech démocratiquement soutenable. » Ou encore Cédric O lors des 50 ans de Syntec Numérique, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances et du ministre de l’Action et des Comptes publics, chargé du Numérique, que les représentants de l’association rencontreront début juillet.

Ce n’est pas la première fois que le Cigref s’exprime sur ce sujet. Déjà, en juin 2018, il avait adressé un premier avertissement argumenté aux grands fournisseurs IT…

A lire sur Alliancy : Les relations avec les fournisseurs épinglées par le Cigref

Un an plus tard, à l’heure du bilan, ce nouveau rendez-vous n’est pas anodin. Pour tous désormais, acteurs publics et privés, la « voix » de la France dans cette guerre mondiale du numérique doit se faire entendre, et surtout essaimer. Ainsi, les utilisateurs du numérique et les entreprises membres du Cigref ne veulent plus rester captifs, même si Bernard Duverneuil, président du Cigref, reconnaît que : « C’est une bataille longue qui s’annonce pour arriver à un rééquilibrage de la relation avec ces fournisseurs. »

En ce matin de fin juin, le président, par ailleurs directeur du Digital et des Systèmes d’information d’Elior Group, tient donc à partager avec la presse IT les travaux menés par ses membres avec les Gafam et autres fournisseurs de services Cloud. « Il s’agit de mettre en lumière les points de blocage », rappelle-t-il. Pourquoi ? « Ces partenaires et fournisseurs récupèrent une part importante de nos dépenses informatiques, qui ne cessent de croître. Ce sont des partenaires clés ! Mais peu de choses ont avancé dans le bon sens avec eux depuis un an ; les promesses du cloud ne sont pas toujours tenues, sans oublier l’irréversible avancée vers le cloud et le fait que l’on ne peut plus faire marche arrière. Les pratiques de ces partenaires nous amènent à des coûts disproportionnés quant à la valeur fournie par leurs services. Elles font surtout porter aux entreprises ce coût de la conversion au cloud. Nous avons affaire à des gens qui se comportent en chasseurs de primes, qui cherchent d’abord à vendre, plus qu’à vendre mieux. »

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 Un rééquilibrage recherché avec des acteurs de l’open source

Reste que la plupart des modèles d’affaires « trop flous », ne permettent pas d’avoir une vision long terme : « Les coûts de sortie deviennent aussi lourds que les coûts d’adoption ! Nous voyons des entreprises en sortir et aller vers l’open source », poursuit-il. Entre membres, ils ont donc décidé de partager leurs expériences de migration vers d’autres solutions. « On réfléchit ensemble à ces grands projets de migration. Ce sont des stratégies qui peuvent s’avérer intéressantes. La seule question à se poser étant : quelle est la valeur métiers apportée par ces solutions ? Tout est passé au crible… C’est un vrai message de lucidité de la part de nos membres. »

Petite revue des griefs par rapport aux offres Cloud relevées par le Cigref

  • Promesses du cloud loin d’être tenues : offres inflationnistes, pratiques qui visent à vendre ce dont les entreprises n’ont pas besoin ; flexibilité oui, mais à la hausse, jamais à la baisse ! Toujours vendre plus, jamais mieux…
  • Migrations vers le cloud pas toujours positives en termes de qualité : enfermement dans des pratiques qui visent à garder le client dans des modèles captifs, en pénalisant les solutions tierces.
  • Droit de propriété abusif de la donnée : certains fournisseurs font payer l’accès à nos propres données, y compris après avoir payé des outils d’import et d’export… Des données qui sont pourtant celles de l’entreprise…
  • Négociations interminables avec les fournisseurs : leur durée peut aller de 6 à 18 mois pour clore un contrat qui, pour certains, dure trois ans. On est donc en perpétuelle négociation… Nous voulons de la simplicité et des modèles transparents pour aller plus vite.

Les exemples concrets, notamment autour de la problématique du Cloud, ont ensuite été rappelés par Philippe Rouaud, en charge du Club des Relations Fournisseurs créé il y a deux ans. Qui sont-ils ? SAP, Oracle (70 entreprises, environ 150 collaborateurs différents), Microsoft et Salesforce, auxquels ont été ajoutés Google et IBM (à la rentrée) et tout récemment AWS… (« Un nouveau club qui compte plus d’une quarantaine de membres à peine lancé »). « Avec plus de 400 collaborateurs de DSI de grands groupes mobilisés sur nos différents travaux, ces réseaux sont très dynamiques, poursuit Philippe Rouaud. Il y a beaucoup d’échanges d’informations qui se font en vue de mieux négocier avec ces fournisseurs et pour une meilleure gouvernance avec ces groupes », poursuit-il.

A découvrir sur Alliancy : Le carnet d’expériences « Cloud hybride »

Philippe Rouaud tient toutefois à rappeler « ce qui va bien » : « La totalité des interlocuteurs chez ces géants veulent renforcer leurs relations avec le Cigref, mais il reste encore sur un discours très commercial-marketing. Ce qui passe très mal auprès des membres… Les audits de licence également se portent mieux, et ce grâce au cloud, ajoutant pour autant que l’on ne peut pas suivre réellement son budget (AWS, Salesforce), car volontairement, leurs métriques sont complexes. » Comme vous l’aurez compris, il reste encore de « nombreux points de friction rencontrés ou qui ne s’améliorent pas »…

Le Cloud Act, un sujet d’inquiétude

Par ailleurs, insiste-t-il, leurs revenus sont toujours à la hausse : « On ne peut pas baisser le nombre de licences… (Microsoft, Salesforce…) et toute baisse souhaitée peut générer des coûts montant (par exemple à 20 % chez Salesforce)… « Ils affichent tous une volonté systématique d’augmenter leur chiffre d’affaires, sans oublier l’obsolescence logicielle programmée avec fin de maintenance chez Microsoft ou SAP, qui forcent leurs utilisateurs à migrer vers d’autres solutions sans aucune valeur ajoutée alors que le besoin n’existe pas. »

WOW… Cette marche en avant dans le labyrinthe du Cloud mériterait donc d’être étudiée par tous les futurs intéressés, surtout que ces grands fournisseurs ont pris la fâcheuse habitude désormais de s’adresser aux métiers, « ce qui complique évidemment la tâche côté achats et infrastructures pour les DSI… » (autour du Shadow IT notamment). Par ailleurs, la sécurité des données ne serait pas toujours assurée : « Des failles sont apparues chez de nombreux fournisseurs (Microsoft, Salesforce…), sans oublier celles régulièrement liées à la RGPD… ».

Enfin, reste la question récurrente autour des dangers inhérents au « Cloud Act ! » (la DGE devrait sortir une note de recommandations « très attendue » sur le sujet) que bon nombre de ces acteurs tenteraient de minimiser. « Enfin, toutes les négociations sont sans fin, conclut Philippe Rouaud et beaucoup de clauses dans les contrats sont impossibles à faire bouger, et encore moins à retirer. »

 « Les pratiques des grands fournisseurs de Cloud nous amènent à des coûts disproportionnés quant à la valeur fournie par leurs services. »

Pour conclure, le Cigref sent surtout arriver un durcissement des conditions commerciales (Google Suite vient d’augmenter, idem pour AWS…) et un tarissement du marché au niveau des compétences (les salaires que ces géants proposent sont souvent très élevés). D’où l’urgence relevée de trouver des alternatives à ces grands éditeurs : « Nous analysons les offres concurrentes à Oracle JDK, Adobe (outils graphiques), Microsoft et Google (Digital WorkPlace)… Nous voulons informer sur les solutions open source notamment (Cheops Technology, Linagora…)… C’est une motivation très forte chez tous nos membres qui se questionnent vraiment sur le rapport coût/valeur des services rendus de ces fournisseurs. » Un groupe de travail sur « le cloud de confiance » vient ainsi d’être initié.

Pour autant, tous estiment encore que « les alternatives françaises ou européennes ne sont pas la panacée, car beaucoup restent prisonnières de certains modèles. » Toutefois, ils se disent prêts à les soutenir : «  Nous devons faire émerger de nouvelles solutions dans l’open source, la maintenance de solutions existantes, ou chez les petits éditeurs… Afin, a minima, de calmer les ardeurs des grands fournisseurs  pour arrêter l’hégémonie. »

En interne, cela a pour impact de relancer une politique de développement de solutions simples afin de créer des actifs immatériels dont le groupe reste propriétaire. Une solution jugée plus économique parfois. « On matérialise notre savoir-faire, explique Stéphane Rousseau, DSI d’Eiffage. On le voit dans le BTP ou l’automobile notamment. »

Plus largement, toutes les pratiques commerciales de ces éditeurs sont perçues comme une « ponction sur la création de richesses en France », rappellent de concert les représentants présents du Cigref, « au vu des tarifs qu’ils imposent. » Un tel mécontentement serait ainsi en train de monter en Allemagne et aux Pays-Bas, où des actions fortes sont menées également, y compris sur des aspects techniques et juridiques. Le Cigref, qui ne veut plus être une « tribune pour nous vendre la soupe », souhaite afficher un discours sur la stratégie. Reste à trouver écho dans la forêt d’associations représentatives du secteur en France… Ce qui n’est pas gagné !

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