[Edito] Le futur de l’IA aux législatives ? Circulez, il n’y a rien à voir

Interdire les smartphones aux enfants avant 11 ans et les réseaux sociaux avant 15 ans. C’est peu ou prou la place indigente réservée au numérique sur la scène politique ces derniers jours. Sujette au chaos à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, la semaine a avant tout tourné au psychodrame médiatique pour le personnel politique. Entre affrontement d’appareil, « trahison » et ralliements, elle a laissé peu de place aux discussions programmatiques, à moins de 3 semaines de ces nouvelles élections précipitées. 

Dans sa conférence de presse du 12 juin, Emmanuel Macron a fait un tour d’horizon des grands enjeux de cette période. Réforme de l’assurance chômage, projet nucléaire, influence russe, situation en Nouvelle-Calédonie… les thèmes abordés ont été, pour le coup, des sujets politiques de fond. Il est d’autant plus dommage que le numérique ait été aux abonnés (quasi) absents : « Le gouvernement aura à prendre des décisions claires pour protéger nos enfants [des écrans] » a-t-il ainsi surtout mis en avant. 

Pourtant, exactement au même moment, l’écosystème de la tech française vibrait à l’annonce d’une nouvelle levée de fonds monumentale de Mistral AI. Avec ce tour de table de 600 millions d’euros, la jeune pousse française de l’IA générative explose le plafond de verre souvent évoqué dans l’Hexagone des « grosses » levées de fonds. Et le tout, en à peine une année d’existence, avec à la clé une valorisation portée à 6 milliards. Que l’on soit d’accord ou non avec l’importance de la « valo » sur la scène de l’innovation, le signal est clair : l’IA est le sujet d’avenir structurant pour notre économie. Il interroge aussi comment nous allons faire société, demain. Un thème on ne peut plus politique, donc. Mais quels candidats auront le loisir d’aborder ce sujet complexe dans les quinze prochains jours ?

Personne ou presque. Il est de toute façon difficile d’attendre des clarifications sur un sujet complexe, assez éloigné du quotidien de la politique politicienne qui va animer les prochains jours… Le sentiment d’urgence et d’agitation dû à la proximité de l’échéance électorale va faire le reste. Mais de façon plus globale, les représentants français semblent aussi paralysés face à l’accélération technologique en cours et incapables de formaliser une vision d’avenir d’une société intégrant l’IA – avec ses forces, ses dangers et ses bouleversements le travail, les rapports sociaux, et l’information… 

Alors oui, on entendra sans doute, ça et là, des arguments présentés en faveur de la souveraineté numérique. Ne serait-ce que parce qu’avec le succès du Rassemblement National aux élections européennes, le thème de la souveraineté pointe sur le devant de la scène. Mais vu par le RN, la souveraineté se retrouve défensive, associée à une peur du monde et de l’autre, plutôt que comme un moyen de porter l’excellence à l’international par exemple. Et dans le mix de souveraineté du parti nationaliste, le numérique n’est finalement que portion congrue. Doit-on rappeler qu’il s’agit d’un des rares partis à ne pas avoir accepté de pitcher devant l’écosystème numérique pendant la campagne des européennes ?  

La levée de fond de Mistral AI, a été réalisée auprès de BNP Paribas, mais également Nvidia, Salesforce ou IBM, sous la houlette de la société de capital-risque américaine General Catalyst. Et cette approche offensive, pour construire un champion et aller à l’international, garantit pour autant « le maintien de l’indépendance de l’entreprise, qui reste entièrement sous le contrôle des fondateurs » a précisé Arthur Mensch, le dirigeant co-fondateur. Alors, de quelle souveraineté numérique veut-on vraiment parler ? 

Dans la législature actuelle, les députés familiers des enjeux numériques n’étaient pas nombreux. Espérons qu’après le 7 juillet, leur nombre ne se soit pas encore réduit au profit de ceux se concentrant sur des thèmes populistes et des passions simplificatrices. Car c’est bien cette Assemblée nationale qui va être dans le dur des décisions face aux changements majeurs apportés par l’intelligence artificielle durant les cinq ans à venir.