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Le management par le jeu : un nouveau moyen de motiver les salariés ?

Vincent Belliveau, Directeur général EMEA, Cornerstone OnDemand

Le management par le jeu : un nouveau moyen de motiver les salariés ?

Vincent Belliveau, Directeur général EMEA, Cornerstone OnDemand

Et si le travail devenait un jeu comme Candy Crush, avec des points à gagner, des niveaux à compléter, des récompenses… C’est ce qui est en train de se produire avec la ludification des applications et des processus professionnels. L’objectif : renforcer la motivation des salariés et surtout leur productivité…

On parle beaucoup de ludification (ou gamification) du travail depuis quelques temps. Ce concept, qui consiste à introduire une dimension ludique dans le monde de l’entreprise, n’est pas vraiment nouveau. Cela fait plus de vingt ans que L’Oréal, suivi par beaucoup d’autres, utilise le  » serious game  » dans ses processus de recrutement, à des fins de sélection. La dimension ludique favorisant l’acquisition des connaissances, les  » serious games  » sont aussi très présents dans la formation : depuis des décennies tous les pilotes d’avion sont formés sur des logiciels de simulation de vol qui ne sont rien d’autres que des jeux (d’ailleurs commercialisés en tant que tels).

Ce qui est plus nouveau, c’est l’évolution vers une ludification du travail lui-même, c’est-à-dire de tout ou partie des tâches quotidiennes réalisées par les salariés. La chose est désormais possible et d’autant plus facile que l’outil de travail est numérique : il enregistre tout, mesure, permet de quantifier des tâches qui ne l’étaient pas jusque-là. En ludifiant les applications et les processus professionnels, on cherche à transformer cette quantification généralisée en gain de performance et de productivité. Et c’est une tendance de fond : selon Markets and Markets, le marché de la ludification pourrait atteindre 5 milliards de dollars en 2018. Gartner prédit pour sa part qu’en 2014, 70% des 2000 plus grandes organisations mondiales auront recours à la ludification pour doper la productivité de leurs employés.

Pourquoi un tel engouement ?

Simplement parce que les entreprises cherchent par tous les moyens à motiver et à entretenir dans la durée la motivation de leurs salariés, gage d’implication et donc de productivité. La ludification des outils et processus de travail joue précisément sur les mécanismes primaires de la motivation : nous avons tous en nous, à un degré plus ou moins développé, l’envie de gagner, de battre l’adversaire et, quand il n’y a pas d’adversaire désigné, de nous surpasser à nos propres yeux. Transformer des tâches répétitives ou fastidieuses en jeu, c’est remplacer la contrainte par un défi que chacun s’approprie et relève – pour le fun, par goût pour la compétition ou parce qu’il y a quelques chose d’intéressant à gagner. L’avantage ? Comme c’est un jeu, on s’y prête de bien meilleure grâce que si c’était une injonction venant de la hiérarchie…

Pour autant, cette solution est-elle applicable à tout et à tous ? En matière de ressources humaines, un recours sans discernement à la ludification du travail peut rapidement tourner à instaurer un climat de compétition de tous contre tous, avec pour conséquence désastreuse la stigmatisation et donc la démotivation des moins bons joueurs. Un des pires exemples qu’on puisse citer est cette enseigne de distribution américaine qui a mis en place un  » jeu  » où une lumière rouge s’allume au-dessus de la caisse des caissiers qui ne scannent pas les articles assez vite. Le but du  » jeu  » : garder la lumière au vert pendant toute la durée du travail. Quelle que soit la récompense à la clé, le principe en choque sans surprise plus d’un.

Quels domaines d’application ?

Ce n’est bien entendu pas sous cette forme que la ludification peut contribuer à la motivation des salariés et à la performance de l’entreprise. A condition de respecter un certain nombre de règles éthiques et managériales, les applications et méthodes ludiques sont en revanche pertinentes et créatrices de valeur dans tous les domaines où il faut encourager la collaboration, par exemple les ventes et les processus d’innovation.  Dans le management des équipes de vente, les entreprises ont longtemps accordé une grande importance à la performance individuelle. On sait aujourd’hui, notamment grâce aux récents travaux du Corporate Executive Board, que les équipes de ventes B2B les plus efficaces sont celles où le collectif et le relationnel prennent le pas sur la performance de l’individu isolé, aussi performant soit-il dans l’exécution de ses tâches. Inciter les commerciaux à collaborer au travers d’outils ludiques, sur le réseau social interne par exemple, a toutes les chances de donner de bons résultats.

De même, dans tous processus de créativité et d’ouverture du processus d’innovation, une dimension ludique – sous forme de concours en équipe, par exemple – encouragera les collaborateurs à s’impliquer davantage dans la recherche de solutions en activant des mécanismes d’émulation et non de simple compétition. Ce n’est pas un hasard si Gartner prévoit qu’en 2015, 50% de l’innovation des entreprises sera  » gamifiée « .

Enfin, la ludification paraît une méthode particulièrement adaptée dans les contextes de changement et de transformation où l’enjeu est de favoriser l’adoption de bonnes pratiques. Par exemple, on peut très bien imaginer, dans le cadre de la mise en place d’un portail achats, un système de bonus ou de récompenses pour les directions qui respectent le mieux les contrats cadres (pour les achats de voyages, de fournitures, etc.).

Les conditions sine qua non du succès

On commence à avoir suffisamment de recul pour constater que les initiatives de ludification qui donnent les résultats attendus présentent trois points communs :
– Une conception très soignée, tant dans les aspects graphiques du jeu que dans le scénario (la mécanique de jeu) et l’intégration dans les processus de travail existants. C’est la condition de base pour que le projet soit accepté par les salariés.
– La transparence sur les objectifs – Le management doit être soit clair sur la finalité poursuivie ainsi que sur le dispositif d’évaluation qu’implique tout système de récompense/gratification, individuel ou collectif. C’est aux managers d’expliquer en amont aux collaborateurs pourquoi ce jeu est mis en place et comment il fonctionne. ..
– Des récompenses non stigmatisantes – Toutes les enquêtes sur la motivation des salariés montrent que l’argent, même s’il est important, n’est pas le principal ressort de la motivation. Les récompenses pécuniaires, qui ont tendance à  favoriser l’individualisme, ne sont pas forcément les plus adaptées. Quel que soit le type de gratification choisi, il faut être assez adroit pour que la récompense des uns ne stigmatise pas les autres.

Les outils numériques rendent beaucoup de choses possibles en matière de ludification. L’erreur serait de croire que les outils et la technologie suffisent. Dans un contexte où l’organisation du travail est de plus en plus fragmentée et où les salariés s’interrogent de plus en plus sur le sens de ce qu’ils font au quotidien, la dimension humaine est au contraire plus importante que jamais. Dans une démarche de ludification, qu’elle concerne la formation, un processus spécifique ou la recherche d’innovation, le rôle des managers, notamment des managers de proximité, est absolument central. Pour que leurs collaborateurs s’impliquent et gagnent, c’est d’abord à eux de jouer le jeu !

 

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