Les expéditions du Club Open prospective permettent aux membres d’échanger sur les thèmes qui impactent le futur des entreprises, et plus largement notre société. Cette année, Alliancy a rejoint ses explorateurs de la prospective dans leurs aventures, direction « l’intrapreneuriat ». Retrouvez les enseignements issus de ces expéditions, à travers les grandes enquêtes du Club Open prospective, disponibles sur Alliancy.
Cette fois, nous sommes entrés davantage dans le « concret », en abordant un point central : comment sélectionner et surtout financer les projets d’innovation ? Comment les grandes entreprises peuvent-elles en effet effectuer les bons choix de partenariats parmi la masse de startups en France, mais aussi dans le monde ? Dans quels domaines spécifiques investir et comment assurer un retour sur investissement ?
Qui n’a jamais rêvé en effet d’investir sur le futur Blablacar ou Doctolib ? Si les initiatives ne manquent pas, peu en revanche aboutissent à un tel succès (la France compte moins de dix licornes en 2019, quatre ne faisant pas débat sur leur statut de licorne : Doctolib, Blablacar, Deezer et Meero[1]). Beaucoup d’appelé.es pour peur d’élu.es : 50 % des entreprises créées disparaissent avant d’atteindre leur sixième année d’existence ! Dès lors, quel modèle adopter pour investir de façon pérenne dans l’innovation ?
C’est sur cette réflexion que Georges Nahon, ex-CEO d’Orange Silicon Valley, a lancé la journée, suivi ensuite de Jean-David Nitlech, Partner au sein d’Iris Capital, de Denis Barrier, cofondateur et CEO de Cathay Capital, puis de Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale, Président du fonds ISAI. Trois investisseurs inspirants accompagnés de trois startuppers engagés qui ont animé notre après-midi de workshop. Une journée au cours de laquelle tout le monde s’est investi à fond !
[1] Les Échos, juin 019 – https://start.lesechos.fr/startups/actu-startups/combien-compte-t-on-vraiment-de-licornes-en-france-15396.php
Sommaire de l’enquête
[Partie 1] L’exemple de la Silicon Valley
Introduction
En 2018, les startups françaises ont levé un total de 3,203 milliards d’euros l’année dernière, soit près d’1 milliard de plus que l’année précédente (2,3 milliards en 2017)[1]. Preuve que la FrenchTech continue d’attirer. En revanche, fait surprenant, le nombre d’opérations a quant à lui légèrement baissé avec pour conséquence d’augmenter considérablement le ticket moyen (4,8 millions d’euros en moyenne). Et 2019 s’annonce déjà comme une nouvelle année record : au 1er semestre, 2,7 milliards d’euros ont été levés par 342 startups, soit 38 % que l’année dernière à la même époque[2]. Au-delà des startups, c’est tout l’écosystème français de l’innovation qui bat des records. Toutefois, parmi la masse de projets d’innovation proposés, lequel(s) choisir ? Comment effectuer le choix d’investissement pertinent pour l’entreprise ? Difficile parfois de détecter les idées les plus pertinentes, et qui aboutiront à un projet concret et apporteront une réelle valeur ajoutée.
En 2018, quelque 14,7 milliards d’euros ont été investis par les acteurs français du capital-investissement dans 2 200 startups, PME et ETI, dont la majorité (84 %) sont basées en France[3]. Un volume de financements qui confirme l’attractivité de l’hexagone et auquel doivent s’ajouter pas moins de 1 323 décisions d’investissements étrangers. La course à l’innovation est lancée et la France apparaît plus que jamais comme une terre fertile en innovations.
Reste désormais à – bien – choisir dans quels projets investir. Quelle est la meilleure innovation pour mon entreprise ? Où et comment la trouver ? Quel modèle d’investissement (et quel montant) choisir ? Comment associer grand groupe et startup ? Autant de questions stratégiques auxquelles il est parfois difficile de répondre pour une grande entreprise. Pour effectuer le bon choix, elles peuvent néanmoins s’inspirer du modèle de Venture Capital.
[1] Maddyness, janvier 2019 – https://www.maddyness.com/2019/01/03/maddymoney-bilan-2018/
[2] Source : Medium, https://medium.com/@AdrienChl/bilan-et-analyse-des-lev%C3%A9es-de-fonds-1er-semestre-2019-97ef9608fb0e
[3] Baromètre 2018 publié par France Invest – https://www.businessfrance.fr/decouvrir-la-france-article-le-capital-investissement-francais-bat-de-nouveaux-records
[Partie 1] L’exemple de la Silicon Valley
Apple, Google, Facebook, Netflix, Tesla… La Silicon Valley regroupe quelques-uns des groupes les plus puissants du monde, véritables porte-drapeaux d’un modèle de croissance ultra rapide et de succès économique mondial.
À l’inverse, les startups, quant à elles, délaissent la région de San Francisco du fait du coût élevé de la vie mais aussi de leur difficulté à se positionner par rapport à ces géants de la Tech comme l’explique Georges Nahon, ex-CEO d’Orange Silicon Valley : « Les géants s’attaquent à tous les domaines transformant considérablement le paysage économique, à l’image d’Amazon dont l’impact sur la grande distribution a causé la faillite de marques historiques telles que SEARS. »
Le capital risk : un très bon baromètre de ce qu’il se passe
Le 2e trimestre 2019 a été extraordinaire, notamment grâce à l’introduction en bourse de quelques licornes américaines dont Uber. Aujourd’hui, force est de constater que la plupart des investissements portent sur le software car le domaine permet de passer à l’échelle rapidement et de bénéficier des effets réseau. La santé est également en forte croissance à travers la HealthTech, grâce à l’arrivée de l’IA et du machine learning.
Toutefois, malgré ces réussites, la situation n’est pas nécessairement au beau fixe. La course aux acquisitions s’accélère car impossible d’obtenir des technologies critiques sans acheter des équipes. Or les profils spécialistes en cybersécurité manquent cruellement sur le marché lié à l’explosion récente du cloud, IoT, IA, ML et data analytics : près de 3 millions de postes sont à pourvoir dans le monde[1] ! Résultat, 80 % des entreprises françaises éprouveraient ainsi des difficultés à recruter un expert en interne.
En conséquence, on rachète plutôt des entreprises car elles possèdent les talents et équipes formées. Par exemple : IBM, Salesforce, Oracle… font beaucoup d’acquisitions. En parallèle, les entreprises n’hésitent pas à revendre leur portefeuille de startups lorsqu’elles doivent se renouveler comme General Electric. « Quand les entreprises vont mal, elles se débarrassent de leurs actifs non stratégiques. Or le Corporate VC n’est pas considéré comme stratégique car avec le temps se crée une divergence avec objectif principal du Venture Corporate, explique Georges Nahon. Le futur est entre HYPE et HOPE. »
[1] Selon une étude publiée en octobre 2018 par (ISC)²
Les cinq technologies fondatrices
- Intelligence artificielle (IA) et machine learning (ML)
- 5G
- Blockchain
- Réalité augmentée, virtuelle et mixte
- New space : satellites et lanceurs peu chers et réutilisables.
Innovation, corporations et startups
Quelle est la différence entre le comportement d’un VC (venture capital) et d’une entreprise ? Un VC sur 10 est couronné de succès. Or une entreprise a besoin qu’un projet croisse de façon gérable, cadrable et non de façon ératique !
Peut-on émuler le modèle VC dans une entreprise ? Non, on ne peut pas reproduire le même modèle mais il faut avoir des ambitions à la hauteur de ce que l’entreprise peut reconnaitre et récompenser. La culture s’impose alors comme un levier de réussite majeur : alors que les transformations ne cessent de s’accélérer, il est indispensable de savoir composer avec « plus de propos et moins de hiérarchie » ! « Sans la bonne culture, il va y avoir une érosion des talents et un manque d’innovation car les meilleurs partiront à la concurrence », poursuit Georges Nahon.
Investir dans les startups est une façon de faire une préacquisition car on pense pouvoir l’acheter après pour faire croître son activité. Or les véritables entrepreneurs possèdent des qualités qui ne s’apprennent pas et qui relèvent de leur ADN.
Or les entreprises ne peuvent pas se comporter comme une startup dont les possibilités d’action vont souvent bien au-delà de leur périmètre habituel et qui n’ont pas les mêmes problématiques financières. Les startups n’ont pas d’autre choix que de se concentrer sur la vitesse pour trouver un produit qui convienne au marché. Or les grandes structures ne peuvent donner la priorité à la vitesse. « La Silicon Valley est un système qui expérimente constamment avec une majorité d’échecs. Mais les entreprises sont-elles prêtes à se comporter de cette manière ? Il faut essayer, réessayer, changer les modèles, d’investisseurs… et embrasser plein de grenouilles pour trouver un prince ! »
Néanmoins, les entreprises perdent souvent leur vision et ne parviennent pas à transformer leurs connaissances en impact. Elles doivent faire la paix avec l’incertitude. C’est pourquoi elles ont besoin de personnes créatives et des soldats et que ces deux mondes là vivent en paix et interagissent. Elles ont besoin de dissidents comme Steve Jobs ou Elon Musk qui s’attaquent à l’establishment ! Voilà ce que sont les fondateurs et entrepreneurs. « Les industries sont développées par des gens de l’extérieur qui pensent que tout est possible et non par des gens de l’intérieur qui pensent que tout est impossible ! »
Les 3 principaux leviers de croissance pour un grand groupe
1. Trouver la compatibilité entre aujourd’hui et demain : structurer, organiser, formater pour qu’il y ait adhésion entre l’existant et l’inexistant.
2. Il faut des artistes et ça s’organise différemment selon les cultures existantes dans l’entreprise pour être le plus proche possible du CEO. Les entreprises structurellement ont beaucoup de difficultés à adopter les idées qui viennent d’ailleurs.
3. La récompense. Voilà pourquoi il est intéressant d’envisager des acquisitions : pour diversifier les équipes et notamment intégrer des profils créatifs dans l’entreprise.
[Partie 2] De VC à CVC : sourcer la meilleure innovation
Qu’est-ce qui attire l’attention d’un VC ? Une équipe, la traction et un marché donnant beaucoup d’espace de développement, notamment à l’international. « Nous sommes impliqués au jour au jour auprès des dirigeants pour les accompagner mais pas dans les opérations de l’entreprise. Nous sommes des investisseurs ! On cherche un asset innovant pour créer une survaleur en peu de temps. On cherche un marché donnant un espace de développement. Aujourd’hui, la technologie change le monde », présente Julien David Nitlech, Partner au sein d’Iris Capital.
Identifier et soutenir les meilleures innovations
Investir, c’est bien, mais investir bien, c’est mieux. Et pour y parvenir, il est bien sûr nécessaire de bien étudier les dossiers. Certains points plus particulièrement requièrent une étude plus approfondie.
- Des marchés à signaux mixtes et complexes : concurrence, barrières à l’entrée ou règlementation
- Innovation market-driven versus product-driven : ce modèle d’innovation est-il disruptif et durable, la market place va-t-elle attirer les utilisateurs… ?
- Type de croissance et levier : nice-to-have versus must-have
Le point de vue de Denis Barrier, Cofounder et CEO à Cathay Capital
« La vraie difficulté est de voir le potentiel et de ne pas investir dans des petites startups qui font les choses à la marge sans rien changer du tout. Au niveau du deal flow, on s’intéresse moins à l’idée qu’aux conditions de succès. On identifie des sujets grâce à une connaissance industrielle. On connecte les écosystèmes. Le point important, ce sont les conditions de succès. Nous devons être convaincus de la manière dont il est possible de mettre en place les choses et de faire en sorte que ça marche. Nous étudions alors tous les points qui permettent d’aller vite : l’entrepreneur, le projet, les partenaires, la traction, le deal flow, le budget, la gouvernance, les niveaux de délégation… Quand toutes ces conditions sont allouées, on prend les décisions. Il y a un acte de confiance fort, il y a la liberté et il y a la responsabilité ensuite. Il ne s’agit pas des startups vs les grands groupes : on a besoin des uns et des autres. Pour innover, changer le cœur de certains produits, les grands groupes ont besoin des startups et nous regardons alors quelle est la bonne dans l’écosystème. Ça marche sur la confiance, il faut avoir envie de travailler ensemble, d’interagir… Ce lien de confiance est clé car nous sommes dans un métier d’investisseurs et d’entrepreneurs. Donc le risque existe ! »
Le VC : un mode de fonctionnement complémentaire
Le rôle d’un corporate est de créer un produit, le vendre, le faire croître et payer ses employés
Un investisseur place des fonds, fait grandir l’argent et le produit et restitue l’argent. Face au changement de paradigme apporté par les startups, le corporate ne sait plus comment innover. Or il faut anticiper l’avenir du groupe. Le rôle du corporate est alors de penser à son avenir, à celui de l’investisseur et à celui du marché.
« On se rejoint avec le corporate dans le deal flow : plus on vous connaît, plus on va faire de l’investissement ciblé. Aujourd’hui, en tant que corporate vous devez adresser, maintenir l’innovation, parfois investir, passer. Et dans le monde actuel qui s’intensifie, il va falloir trouver un modèle durable en aidant des sociétés à scaler dans un écosystème qui va de plus en plus vite. Selon nous, voilà le modèle vertueux », affirme Julien David Nitlech, Partner au sein d’Iris Capital.
Ainsi, VC et entreprises peuvent ainsi collaborer en toute complémentarité grâce à un partage de dealflow, des investissements cadencés ou communs et une mise en relation ciblée.
Le point de vue de Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale, Président du fonds ISAI
« Très clairement, le jeu de ce métier est d’investir avant que tout le monde s’intéresse à un sujet mais pas trop tôt non plus sinon on ne pourra pas démontrer son potentiel. Le bon timing est de démontrer que quelque chose va arriver vite et pas que ça va arriver un jour car certains produits arrivent sur le marché 10 ans après. Donc on a aucune stratégie établie mais un opportunisme forcené. Il est toutefois à noter que l’expérience de VC ayant drivé des entreprises dont le capital est majoritairement tenu par des corporate reste extrêmement faible. »
[Partie 3] Quels sont les critères d’investissement ?
Après une matinée intense et une pause déjeuner bien méritée, l’après-midi était dédié aux ateliers. L’occasion pour les participants de mettre en pratique les riches enseignements reçus le matin et de se glisser à leur tour dans la peau d’un investisseur. Une mise en pratique dans des conditions proches du réel puisque trois « vrais » entrepreneurs, startuppers sont venus pitcher leur projet :
- Mickaël Kissous, président fondateur de KidiWee
- Aymard de Scorbiac, fondateur et CEO de NOrder
- Elliott Siegler, cofondateur et président d’AmazingContent
Chaque groupe a alors dû évaluer le potentiel de chaque projet et leur attribuer un budget « virtuel » selon leur classement. Si plusieurs critères peuvent et doivent être pris en compte, certains doivent être analysés avec précision pour établir au plus juste la « valeur » et « le risque potentiel » de l’investissement. Parmi lesquels :
- La maturité et la taille du marché
- La scalabilité
- La monétisation
- Les avantages concurrentiels
- La marge
- La valorisation
- La gouvernance et l’équipe
- Le degré d’innovation
Ressources
Vidéo
Jean de La Rochebrochard, CEO Kima Ventures (fonds d’investissement de Free, Xavier Niel)
https://www.youtube.com/watch?v=pd1tc83uHyg
Blog
- https://medium.com/@Domingues_David
- https://blog.feedspot.com/venture_capital_blogs/
- https://articles.bplans.com/17-venture-capital-blogs-you-should-be-reading/
- https://medium.com/startup-grind/all-the-venture-capital-fundraising-bloggers-you-should-be-following-6ea9817039c4