[Regards croisés] Crise et écosystème : un nouveau cap pour les stratégies de plateforme ?

Trois contributeurs réguliers d’Alliancy reviennent sur l’évolution de leur vision en matière de plateformisation des organisations, en éclairage aux nouvelles priorités des entreprises face à la crise.

Priorités  des dsi face à la crise Cet article est extrait du guide « Nouvelles priorités de la DSI  : face à la crise , quels messages stratégiques porter au Comex ? » Découvrez les autres témoignages de DSI.

Dorian Marcellin, avec la contribution de Jean-Baptiste Courouble, Gérard Guinamand et Laurent Rousse

Gérard Guinamand, chief data officer d’Engie, Laurent Rousset, directeur des opérations digitales du Groupe Adecco, et Jean-Baptiste Courouble, directeur des systèmes d’information de l’Agence centrale des Organismes de sécurité sociale (Acoss)

Parmi les priorités des entreprises en pleine transformation, les dernières années ont vu progressivement émerger de nombreuses stratégies de plateformisation. Cette volonté d’ouverture sur son écosystème pour apporter plus rapidement des réponses aux nouvelles attentes de ses clients s’est également accompagnée d’une dynamique d’ouverture de plus en plus importante des systèmes d’information d’un point de vue technologique.

Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la crise provoquée par le nouveau coronavirus n’aura pas brisé cet élan, comme l’ont révélé à la fois notre enquête et nos interviews. L’expérience du confinement aura cependant permis d’élargir encore la définition de ce que peut être une plateforme aux yeux des entreprises.

C’est pour clarifier la nature de ces changements qu’Alliancy a demandé à trois contributeurs réguliers de ses comités éditoriaux de décrire ce qui avait été remis en question ou validé, dans leur vision de la plateformisation. Représentant des structures aux profils variés, chacun d’entre eux avait eu l’occasion en 2019 d’intervenir lors d’événements organisés par Alliancy sur le sujet de l’entreprise plateforme. Quelques mois plus tard, ils détaillent leur ressenti sur la situation.

De la logique purement business au concept « sharing »

Priorités  des dsi face à la crise « Avant la crise, nous évoquions le sujet de la plateformisation dans une logique purement business. Les choix technologiques qui étaient faits, comme l’APIsation des systèmes, l’étaient dans l’idée de mieux travailler avec des start-ups par exemple, pour proposer de nouveaux services qui n’étaient pas dans notre cœur de métier », décrit ainsi Jean-Baptiste Courouble, directeur des systèmes d’information de l’Agence centrale des Organismes de sécurité sociale (Acoss) qui pilote le réseau des Urssaf.

« Aujourd’hui, cette vision s’enrichit dans l’optique d’atteindre une relation sans couture avec les prestataires, par exemple dans une logique de “DSI étendue”. En effet, la crise a montré l’importance de fluidifier les échanges entre tous les acteurs qui interviennent dans la chaîne de valeur des organisations, alors que beaucoup ont dû fonctionner en mode dégradé pendant des mois. De nombreuses DSI s’appuient sur des acteurs externes, il ne faut plus que cela entraîne des échanges chaotiques », note-t-il.

[bctt tweet= » .@GerardGuinamand @ENGIEgroup « Aujourd’hui, notre “new normal” est bien de tirer profit de ce que la #DSI a pu réaliser en matière de plateforme data et de structuration de nos #SI avec le #cloud. » #NUMEP » username= »Alliancy_lemag »]

Un point de vue partagé par Laurent Rousset, directeur des opérations digitales du Groupe Adecco, qui estime que la DSI se retrouve plus que jamais au centre du jeu pour penser les plateformes de demain au regard de la crise. « Il y avait ces dernières années le sujet de fonddes API avec un angle “technico-business”. Il faut dorénavant aller beaucoup plus loin. La crise a montré nos interdépendances sur un modèle “domino”, ce qui oblige à faire sortir l’entreprise de sa tour d’ivoire et de penser différemment la construction de son écosystème global. Ce n’est pas qu’une question de start-up à associer aux projets ! C’est une préoccupation qui doit concerner autant la thématique RH que la supply chain », insiste-t-il, en précisant qu’en la matière, la DSI ne peut plus se contenter d’être un simple facilitateur technique, mais qu’elle doit aussi avoir à cœur de porter une ambition de transformation plus globale.

[bctt tweet= »Jean-Baptiste Courouble (Acoss) « Notre vision s’enrichit dans l’optique d’atteindre une relation sans couture avec les prestataires, par exemple dans une logique de #DSI étendue. » #NUMEP » username= »Alliancy_lemag »]

C’est le concept de « sharing » ou d’économie du « share » que nos contributeurs mettent le plus en avant pour qualifier la philosophie des changements à impulser. Les entreprises, pour beaucoup fragilisées par la crise à différents niveaux, doivent éviter la tentation du repli sur soi pour au contraire penser leur plateformisation comme le moyen de mieux échanger avec leurs paires, afin de suppléer leurs faiblesses et de faire profiter aux autres de leurs forces. « Sur la dimension RH, il est ainsi possible de se projeter sur du partage de compétences dans une logique de vraie entreprise étendue, qui peut aller jusqu’au partage entre filières, plutôt que seulement au sein de l’entreprise. Avec la crise, l’accès aux compétences va être plus important que jamais. La logique de plateforme doit permettre de le faciliter », prend pour exemple Laurent Rousset.

Capitaliser sur les projets de plateformisation existants

Trading de data, mutualisation de moyens, désilottage des organisations… la pression que la crise met sur les dirigeants pour innover en matière de fonctionnement d’entreprise plaide en la faveur de la conception de plateformes qui ne se limitent pas à être des connecteurs techniques entre plusieurs services numériques. Ce renouveau peut cependant s’appuyer naturellement sur les multiples initiatives qu’ont pu déjà mener les entreprises ces dernières années, comme le rappelle Gérard Guinamand, chief data officer d’Engie.

« On ne se dit jamais “allons plateformiser l’entreprise !”. Le moteur principal a historiquement été celui du business des services. Chez Engie, nous avons dû par exemple apporter des réponses en consortium à des appels d’offres, à la fois en matière de compétences et de technologies. Cela nous a poussés à beaucoup plus penser en mode “écosystème” », souligne-t-il. « Et aujourd’hui, notre “new normal” est bien de tirer profit de ce que la DSI a pu réaliser en matière de plateforme data et de structuration de nos SI avec le cloud. C’est d’autant plus facile que ces choix passés ont démontré leur pertinence en termes de continuité d’activité pendant le confinement notamment. Maintenant, nous devons créer un élan pour étendre ces modes de fonctionnement à tous les métiers, sur des sujets très opérationnels qui permettent de piloter différentes activités de l’entreprise à distance. Le board d’Engie a bien conscience que le sujet doit sortir de l’IT et concerner toute l’entreprise, et qu’il est possible de capitaliser sur ce qui a déjà été fait. »

Les formes exactes que prendront ces nouveaux tournants de plateformisation dans les prochains mois restent évidemment à définir avec plus de précision. Mais en termes de convictions, au moins une émerge immédiatement : les dirigeants d’entreprise auront besoin que leur DSI s’engage à partir de maintenant sur ces sujets en allant bien plus loin que les sujets des API ou des seules infrastructures.