Gilles de Richemond est le Chief Information Officer du groupe Accor. Il détaille en quoi dans sa perception, l’IT au sein du groupe hôtelier est un cœur de métier comme les autres depuis que celui-ci a changé de business model. Et l’impératif de créer une véritable chaine de responsabilité partagée autour de tous les projets de transformation.
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La relation entre l’IT et les métiers est-elle toujours un sujet conflictuel ?
Gilles de Richemond. Cela dépend évidemment des entreprises, qui ont des réalités très différentes à ce niveau. Chez les entreprises pure-players du numérique, la séparation métier/IT est moins nette que dans de nombreuses entreprises aux activités plus traditionnelle. A l’inverse, chez Accor, il était tout à fait naturel que le sujet de l’IT ne soit pas à l’origine vu comme un sujet stratégique, car l’entreprise n’est pas née dans le digital. Pendant longtemps, le groupe était une marque qui réunissait de nombreuses PME de l’hôtellerie, il n’y avait donc presque pas « d’IT corporate » tel qu’on l’entend généralement aujourd’hui. Cela a beaucoup changé ces dernières années. Le groupe Accor a transformé son business model, en se centrant sur les services, plutôt que sur la possession d’hôtels en tant que tels. L’IT est donc devenu un des éléments de valeur très différenciant du groupe. Et cela change tout au niveau de la relation avec les métiers, car l’IT devient en fait un des cœurs de métier de l’entreprise ! Comme le dit Sébastien Bazin, notre PDG, nous ne sommes pas pour autant une entreprise technologique, car notre mission est de fournir une expérience à nos clients et le numérique est une composante de l’offre au même titre que beaucoup d’autres.
Quelle conséquence pour la DSI ?
Gilles de Richemond. D’abord, la DSI ne peut plus être un simple agrégateur de sous-traitants. Si le sujet est stratégique et différenciant, c’est un enjeu de compétences internes. C’est d’autant plus important que s’il s’agit de se mobiliser pour être le fameux « business partner », cela ne fonctionnera que si toutes les compétences ne sont pas sur un plateau en Inde… Par ailleurs, l’IT n’est plus un guichet, une entité qui exécute des projets face à un métier qui passe des commandes. Au contraire, la DSI se met autour de la table avec la même légitimité que les métiers et il n’y a pas de hiérarchisation entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent. Il ne s’agit pas d’avoir une relation de « face à face » : nous sommes maintenant du même côté de la table. Cela se traduit notamment par une organisation de plus en plus en mode agile. La fonction prime sur le grade et sur la hiérarchie traditionnelle. Ce n’est plus le rattachement d’origine dans l’organigramme qui fixe les rôles et les responsabilités.
Cela peut-être vu comme un big bang pour une grande entreprise. Où en êtes-vous ?
Gilles de Richemond. C’est une transformation ambitieuse et nous sommes transparent pour nos équipes en expliquant que nous n’en sommes qu’au tout début. L’objectif est de desserrer progressivement tous les freins qui ont pu se créer dans l’organisation, consciemment ou non.
Par exemple ?
Gilles de Richemond. Un point qui me tient à cœur est de sortir du mode client-fournisseur, dans les relations avec la DSI. Il faut arrêter les éternelles facturations et refacturations internes, qui font que chacun finit souvent par pinailler sur des détails plutôt que de se concentrer sur les aspects structurants de la transformation. Ce n’est pas de cette façon que l’on sera vraiment du même côté de la table !
Voyez-vous d’autres impératifs pour libérer le changement ?
Gilles de Richemond. Il faut développer un mode capacitaire. Changer la relation entre l’IT et les métiers, c’est créer un véritable mix vertueux. Et cela a des prérequis très concrets : qui est assis où ? Et à côté de qui ? Ce n’est pas que symbolique ! S’il n’y a pas de déménagement, c’est qu’il n’y a pas de transformation. Il faut que chacun, quel que soit son activité se retrouve en possibilité de bouger, d’aller voir les autres, pour les comprendre et pour mieux collaborer. C’est aussi cela qui permet d’étirer la chaine de la responsabilité.
C’est-à-dire ?
Gilles de Richemond. Dans une période de transformation exigeante, il est toujours très confortable d’être responsable d’un seul maillon d’une chaine. C’est ce qui conduit que l’on se contente de donner un cahier des charges et ensuite, le sujet devient celui de quelqu’un d’autre, et on s’en désengage. Un tel mode séquentiel fait qu’on se retrouve dans des situations où certains attendent au bout de la chaine en se plaignant, alors que d’autres se sont « débarrassés du problème ». Concrètement, cela revient à rester au port en critiquant le retard d’un navire, alors que celui-ci est en pleine tempête et que son équipage souhaiterait de tout cœur être soutenu et assisté. Pour le métier, monter dans le bateau avec l’IT, en mode agile sur des sprints de 15 jours, change complètement la donne. Toute l’équipe se partage la pression et la réussite. Cela créé une immense solidarité.
Faut-il passer absolument par des méthodologies agiles ?
Gilles de Richemond. Il y a un important aspect méthodologique sur la partie « delivery » en effet. Mais on peut également commencer à entrer dans cette logique sans être en mode agile au sens propre. C’est un enjeu de posture et de feedback entre métiers et IT. Cette vision de bout en bout implique des éléments technologiques mais aussi et surtout de management. Par exemple, la chaine managériale ne peut plus se contenter d’exiger de savoir un coût et un périmètre sur un projet un an à l’avance : il faut qu’elle s’implique pour comprendre ce que signifie la réalisation progressive du projet. Pour passer cette marche, il faudra trouver des volontaires et démontrer par la preuve que ce n’est pas risqué ! La peur du manager est sur l’engagement : mais les certitudes illusoires à long terme de nos anciennes méthodes n’ont jamais empêché les dérapages… Les cycles en V n’ont jamais sorti des projets dans les coûts et les délais annoncés, cela se saurait ! Il faut donc sortir de cette culture de la peur, où l’on cherche avant tout à indiquer des bouc émissaires dès le départ et où l’on déresponsabilise ensuite toute la chaine. L’agilité vient de la responsabilité partagée.
Que surveillez-vous en particulier pour évaluer la réussite de ces changements ?
Gilles de Richemond. Nous regardons de nombreux éléments informels : l’humeur des équipes, les ressentis managériaux… Ensuite les signes de la transformation se voient quand les équipes mixtes IT-métiers se donnent des KPI commun et sortent du modèle où l’IT s’occupe de la qualité de service et le métier du volume d’affaire. Aujourd’hui, nous avons des développeurs qui ont des objectifs en termes de volumes d’affaires et des responsables de l’expérience client qui ont des objectifs techniques de qualité de services. Nous voulons sortir du « reporting pour le chef », afin de se concentrer sur les KPI communs et choisis et qui orientent les décisions quotidiennes des équipes opérationnelles.