Gilles Lévêque (ADP) : « L’Agilité n’est pas une baguette magique »

Gilles Lévêque est le directeur des systèmes d’information du Groupe ADP et également administrateur du Cigref. Observant l’évolution des relations entre la DSI et le reste de l’entreprise, il met en garde contre les mots à la mode et les caricatures qui opposeraient les organisations formelles de type « client-fournisseur » à « l’agilité ».

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Alliancy. A quelles conditions la DSI est-elle vraiment le « business partner » des métiers ?

Gilles Levêque – ADP

Gilles Lévêque, directeur des systèmes d’information du Groupe ADP et également administrateur du Cigref

Gilles Lévêque. Très honnêtement, le sujet est un vieux serpent de mer, et le fait est que le terme « Business partner » veut tout et rien dire ! De nombreux acteurs utilisent le terme à tort et à travers. La réalité en 2020, est que les métiers ont majoritairement compris l’apport de valeurs que pouvaient avoir les fonctions informatiques et digitales pour leurs activités. La conscience globale du numérique a évolué et donc la relation au quotidien entre la DSI et le reste de l’entreprise a évolué. Mais je crois aussi que chaque entité dans l’entreprise a ses propres problèmes de relation avec le reste de l’organisation, ce n’est pas typique de l’IT : la DRH n’a-t-elle pas le même problème ? Le marketing ?

Posons alors la question autrement : quelles sont les spécificités de l’IT qui peuvent impacter selon vous cette relation ?

Gilles Lévêque. Un des aspects de l’IT est d’être une entité très transversale, qui s’implique dans l’entreprise à la fois sur des aspects très régaliens, comme la sécurité et les outils cœur de métier, mais aussi aujourd’hui sur la vision stratégique global et l’avenir de l’entreprise, à travers les enjeux de transformation numérique. Or, dans le même temps, la DSI s’adresse à des verticaux et se retrouve dans des situations d’arbitrages qui peuvent devenir conflictuelles. Pour assumer une telle position, il faut une gouvernance claire et un ancrage fort avec le comex, pour permettre la bonne répartition des masses budgétaires, en ligne avec les objectifs de court, moyen et de long termes.

Numérique en pratique guide Comment percevez-vous cette responsabilité budgétaire par rapport aux différentes positions des métiers ?

Gilles Lévêque. Je suis détendu lors des négociations budgétaires : je ne fais pas de l’informatique pour le plaisir de dépenser de l’argent sur des sujets informatiques. Dans ma perception, ce n’est pas le budget de l’un ou de l’autre, c’est « notre budget à tous » car nous sommes tous partis prenantes pour faire avancer l’entreprise. En revanche, cela implique d’être particulièrement transparent. On a trop souvent reproché à la DSI d’être une boite noire, avec des acteurs autocentrés sur eux-mêmes… Il était grand temps ces dernières années d’ouvrir la boite.

Comment ?

Gilles Lévêque. Chez ADP, nous avons formalisé et clarifié une nouvelle organisation, qui soit plus évidente pour les métiers et qui permettent de bien mieux les associer aux échanges. Nous avons identifié douze domaines IT chacun piloté à la fois par un dirigeant IT et un dirigeant métier.

Faut-il absolument sortir de relations de type « client-fournisseur » et aller vers de nouvelles formes d’agilité ?

Gilles Lévêque. Je pense surtout qu’il ne faut pas tomber dans la caricature. La posture client-fournisseur n’est qu’une manière de formaliser la relation et de fixer des règles du jeu. Elle ne doit pas cacher que tout le monde partage les mêmes objectifs: le développement de l’entreprise. Ce n’est pas mieux de se cacher derrière le terme de « business partner » et de maintenir un flou artistique ! L’agilité est à la mode et son influence positive sur le fonctionnement des organisations est réel. Mais ce n’est pas une baguette magique ! L’agilité a surtout une influence sur la gestion des priorités, d’accélérer le dialogue et de piloter l’efficacité réelle des investissements… mais elle reste difficile à généraliser à l’ensemble de l’organisation Quand on reproche à une DSI d’être un empêcheur de tourner en rond, c’est souvent un manque de compréhension des besoins de robustesse de sécurité et de cohérence par toutes les parties prenantes. L’agilité n’est qu’une partie de la réponse., il y a forcément des tensions, ce n’est pas dramatique en soi, C’est même source de progrès tant que cela reste maitrisé, il ne faut pas trop s’en émouvoir.

Comment garde-t-on sous contrôle une relation qui est naturellement sous tension ?

Gilles Lévêque. Il n’y a pas de recettes toutes faites pour améliorer la relation. Le sujet le plus évident à traiter est celui de l’exemplarité du DSI lui-même, qui doit être le premier acteur d’un lien fort et d’une proximité avec les métiers. Ensuite, au niveau managérial, je demande d’intégrer de vrais rôles « d’account manager » comme il y a dans les sociétés de services, qui amènent une vision global pour un client, fût-il interne comme c’est le cas pour un domaine métier : connaitre ses difficultés et sa vie quotidienne, parler le même langage… Enfin, il s’agit d’encourager les équipes à bien choisir leurs combats : il faut leur demander d’être avant tout affirmées et résilientes sur les sujets importants, comme la sécurité et la fiabilité, et de résister à la dispersion. A partir de là, il est possible d’être dans une culture du compromis sur les autres sujets, ce qui sera agréable aux métiers. Un exemple symptomatique c’est ainsi le « shadow IT ». Dans ma vision, ce n’est pas un sujet aussi problématique qu’il a pu être décrit par le passé, car les équipes métiers qui avancent seules sur leurs projets grâce au shadow IT se heurtent rapidement aux difficultés de l’industrialisation et de la maintenabilité au meilleur coût. Si cela reste dans des proportions raisonnables, cela peut même être une expérience pédagogique intéressante permettant de mieux faire comprendre mieux nos enjeux et notre métier !