Lionel Chaine (Bpifrance) « S’organiser en équipes autonomes est le seul moyen de gérer la complexité et l’incertitude »

En 2019, Lionel Chaine, avait exposé sa vision d’une organisation distribuée et agile pour améliorer massivement la relation entre la DSI et les métiers. Devenu DSI de Bpifrance, il a accepté de revenir sur ce que la crise a changé, ou non, dans ses conviction.

Priorités  des dsi face à la crise Cet article est extrait du guide « Nouvelles priorités de la DSI  : face à la crise , quels messages stratégiques porter au Comex ? » Découvrez les autres témoignages de DSI.

Alliancy. À quel point la crise sanitaire et la période de confinement du printemps 2020 ont-elles mis à l’épreuve les modes d’organisation « agiles » qui se sont diffusés ces dernières années dans les entreprises ?

Lionel Chaine, DSI de Bpifrance,

Lionel Chaine, DSI de Bpifrance

Lionel Chaine. En tout premier lieu, je préfère le terme d’organisation « distribuée » à celui « d’agile », car ce mot est souvent utilisé à tort et à travers. Ensuite, il y a plusieurs aspects à cette question. Pendant cette période complexe, j’ai eu l’occasion de voir à la fois comment les équipes de La Poste, qui étaient déjà en mode distribué, dit « agile à l’échelle », et celles de Bpifrance, que je rejoignais alors et où cette culture était en cours de déploiement, se sont adaptées à la situation.

Ainsi, au sein de La Poste, la cinquantaine d’équipes qui étaient déjà engagées dans ces modes de fonctionnement n’ont pas du tout été affectées par le confinement, et celui-ci n’a fait en quelque sorte qu’augmenter la vélocité de transformation vers ces modes de travail.

Et pour Bpifrance ?

Lionel Chaine. Du côté de Bpifrance, l’urgence d’agir en soutien à l’économie et à aider le plus rapidement possible les entreprises en difficulté a été également un déclic pour entrer de plain-pied dans une logique de production en « MVP » (produit minimum viable, ndlr). Il y a eu immédiatement le sentiment qu’il fallait collectivement identifier et se concentrer sur les indispensables, afin de produire davantage de valeur, le plus rapidement pour nos clients. C’est-à-dire piloter le minimum vital, piloter par la valeur, et ne pas se concentrer sur les « nice to have », qui ne sont finalement pas de vrais combats. Et c’est au final bien ce dont il est question quand les organisations recherchent de l’agilité. Là aussi, le confinement a été l’occasion d’avancer à grands pas sur ces sujets structurants.

Pour autant, certaines de vos convictions ont-elles été remises en question ?

Priorités  des dsi face à la crise Lionel Chaine. Ces modes d’organisation placent forcément l’humain au centre. C’est ce qui permet d’assurer la collaboration et la cohésion de modes de travail qui ne laissent rien au hasard.

C’est également ce qui fait dire par exemple à des experts des méthodologies agiles que chaque membre d’une équipe doit être présent à quelques mètres les uns des autres, l’efficacité de la méthode se réduisant à mesure que la distance entre eux augmente. Cette croyance a explosé en vol, car les mois que nous venons de traverser nous ont forcés à établir des relations uniquement digitales.

Nous avons vu la façon dont les gens interagissaient entre eux changer. Depuis, il nous faut réfléchir fondamentalement à donner un caractère « phygital » à ces modes d’organisation. Les réunions et les salles elles-mêmes doivent se transformer, alors que les usages des équipes ont pris de nouvelles tournures depuis le printemps 2020. Beaucoup de personnes recherchent « l’ambiance » d’une salle de réunion commune, mais ne veulent pas pour autant sacrifier l’efficacité de travail qu’elles ont réussi à atteindre grâce au digital, y compris à distance. Nous testons donc beaucoup de nouvelles formes de réunions hybrides.

Quelles sont vos priorités pour les mois à venir ?

Lionel Chaine. Une conviction que nous avons rapidement eue chez Bpifrance est que nous ne souhaiterions pas retourner dans « l’avant », depuis le déconfinement. Nous devons profiter de cette période pour nous reconfigurer en fonction des enseignements de ce que l’on a vécu.

[bctt tweet= »#NUMEP #DSI – @lionelissy (@bpifrance) « Les modes d’organisation distribués ouvrent de nouveaux champs de performance.» » username= »Alliancy_lemag »]

Nous aimerions donc une organisation avec des équipes « blue et green [1] », qui soit pertinente au regard des modes de travail distribués, en présentiel et à distance. Il nous faudrait de ce fait réinventer des cérémonies et des moments qui permettraient de partager du sens commun, entre les équipes, entre l’IT et les métiers, et ce, quelles que soient les circonstances. En effet, lors d’un bouleversement comme nous avons connu dernièrement lors du confinement, le problème n’est pas le même pour des équipes qui se connaissent déjà bien, que pour celles qui se lancent dans un nouveau projet. Il y a d’ailleurs eu très peu d’on-boarding de nouvelles équipes et de partenaires durant cette période. Pour le moment, nous devons faire en sorte que les nouvelles équipes formées tissent leurs liens lors de trois ou quatre semaines en présentiel, car l’on ne peut pas sauter d’étapes sans risques. Mais de manière générale, il faudrait réfléchir aux nouveaux liens phygitaux à créer en permanence. La logique n’est pas de faire un focus sur le télétravail, comme on l’a beaucoup entendu ces dernières semaines : il faut aller plus loin et interroger profondément les modes de fonctionnement de l’organisation.

Quel regard peut porter un Comex sur cette dynamique ?

Lionel Chaine. La période du confinement a une nouvelle fois démontré que l’innovation fonctionne bien sous la contrainte. Et je pense que de nombreuses directions générales se sont naturellement demandé : Comment avez-vous réussi à mener autant de projets incroyables en urgence pendant la crise ? Et comment reproduire cela dans d’autres circonstances ? Les modes de travail distribués apportent des réponses en ce sens. Et là aussi, la Covid-19 a prouvé aux Comex qu’il était possible d’adopter rapidement ce type de nouveau fonctionnement. Aujourd’hui, Bpifrance est l’un des cœurs du réacteur pour aider les entreprises dans la reprise économique.

L’accélération du pilotage par la performance prend une dimension encore plus essentielle. Or, les modes d’organisation distribués ouvrent de nouveaux champs de performance. De plus, les équipes s’y retrouvent tout autant que les clients. Beaucoup d’organisations ont pu avoir un sursaut pendant le confinement en pilotant leur activité par la valeur, mais désormais la priorité est de rendre cela durable, car les crises écologiques et économiques laissent présager beaucoup de nouveaux défis à relever à l’avenir. Et en la matière, s’organiser en équipes autonomes et en mode plateforme est aujourd’hui le seul moyen pour les entreprises de gérer la complexité et l’incertitude du monde dans lequel nous évoluons.

[1] Référence au modèle de déploiement DevOps « Blue / Green » impliquant la mise en place de deux infrastructures en parallèle afin d’éviter toute interruption de service.