Lionel Chaine est le directeur des systèmes d’information de la branche Services Courrier Colis du groupe La Poste. Ce dernier connaît depuis 2016 une transformation organisationnelle majeure qui a pour objectif de créer de nouveaux services. Pour le DSI, celle-ci passe par une amélioration notable de la relation avec les métiers, à travers une méthodologie de travail agile, à l’échelle de toute l’entreprise.
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Alliancy. Quelle perception avez-vous de l’évolution de la relation IT-Métiers durant cette dernière décennie ?
Lionel Chaine. L’évolution a été rapide. Il y a cinq ans, on parlait encore de MOA et MOE partout. Or, aujourd’hui, cette vision disparaît. La relation devient beaucoup plus directe entre l’IT et les métiers. Tout le monde le sait : dans un monde où il faut s’adapter beaucoup plus vite, on ne peut plus mener les projets sur plusieurs mois avec de nombreux intermédiaires. Le déploiement de services et leur time-to-market doivent s’accélérer.
Nous avons donc dû changer de méthode de travail car tout ce que l’on doit construire aujourd’hui est beaucoup plus complexe. Notre organisation traditionnelle était basée sur des silos métiers, chacun reposant sur son propre système d’information. Aujourd’hui, la disruption est tellement forte sur nos activités, et en particulier pour la branche Services Courrier Colis, que nous devons créer de la transversalité.
De nos jours, une tournée de facteur, c’est beaucoup plus que la distribution du courrier. Et le client ne voit qu’une seule entreprise, « La Poste », et ne s’intéresse pas à notre découpage organisationnel. Il nous faut offrir les services de manière globale, tout en les mettant mieux en oeuvre et plus vite. C’est un changement de business model majeur pour le groupe. Nous avons besoin plus que jamais de l’intelligence collective de tous les collaborateurs pour le mener à bien.
Comment faites-vous émerger cette intelligence collective ?
Lionel Chaine. Nous utilisons la méthode Scaled Agile Framework (SAFe) pour y parvenir par « petits pas ». Ce sont 800 personnes qui travaillent pour le moment de cette manière, par l’intermédiaire de six trains. Nos métiers deviennent product owners et leurs responsabilités dans les projets augmentent dans le cadre des sprints de 15 jours que nous menons. Leurs engagements sont pris « en live » devant les équipes durant les cérémoniels prévus par la méthode. Pour faire émerger l’intelligence collective, il faut sortir des vieux cahiers des charges qui diluent les responsabilités, pour permettre au droit à l’erreur d’être porté positivement par tous, IT et métiers. C’est une mise en tension généralisée.
Quelles sont les étapes ? Par quoi commencer ?
Lionel Chaine. L’agilité est avant tout une question d’état d’esprit. Nous avons donc d’abord dû faire une grande réflexion sur notre « Why ? » C’est-à-dire, « pourquoi l’entreprise se transforme ? ». Nous avons aussi changé notre posture créative pour libérer les énergies et la parole. Il fallait sortir du parti pris de « command & control » qui prévalait. Pour y parvenir, nous avons mis en place des instances d’abrasion créative qui permettent la confrontation d’idées, et des instances de résolution créative, pour prendre des décisions collectives même quand tout le monde n’est pas tout à fait d’accord.
Ensuite, nous avons mené un travail préliminaire pour construire un système d’information unique urbanisé, à partir de « pizza teams » de cinq à six personnes. Nous avons créé de la sorte 34 socles : le simple fait de synchroniser ces derniers risquait de nous faire retomber dans nos vieux travers ! C’est d’ailleurs pour changer nos façons de faire que nous avons sélectionné la méthode SAFe en 2016, parce qu’elle était open source et plutôt éprouvée. Nous avons commencé à l’implémenter sur un premier train. Puis sur plusieurs. Enfin, nous avons mis en place la fonction Portfolio, qui permet de gérer la capacité de la demande. Nous avons appliqué la méthode pour notre propre transformation : nous avons donc créé un train nommé « Métamorphose » afin de mettre en place nos changements organisationnels.
Quelle a été la perception côté métiers ?
Lionel Chaine. Tous les acteurs métiers nous l’ont dit : c’est à la fois hyper exigeant et hyper engageant pour eux. L’IT a montré la voie car il y avait un besoin très fort, mais il a fallu ensuite embarquer métier par métier. En toute logique, cela a commencé par ceux qui étaient structurellement les plus disposés au changement, notamment les « nouveaux services », mais il ne fallait surtout pas s’en contenter. Nous sommes très fiers aujourd’hui que même le métier le plus historique, celui du courrier, ait rejoint la démarche. Tout le monde se forme pour être certifié SAFe. La plus grande peur côté métiers était la perception d’un manque de visibilité à long terme. Autrement dit : « Est-ce que la commercialisation dans un an du produit sera bien faite ? » À travers nos multiples sprints, la réflexion porte sur un horizon 10 semaines. Cela a été un effort de pédagogie pour leur faire comprendre qu’il fallait troquer une pseudo-certitude à un an – car quels projets ne dérapent pas sur une année ? – à une véritable certitude sur trois mois. En effet, nous tenons nos engagements à 86 90 % sur trois mois. L’autre adaptation majeure, c’est que ce délai n’est pas négociable, il faut donc adapter les contenus. Cela remet la notion de valeur au centre, avec un fort enjeu de priorisation, car chaque train est multimétiers. C’est dorénavant le collectif qui priorise, et cela permet de sortir des arbitrages ingrats entre donner la priorité à un métier ou un autre. Lors des premières sessions, certains product owners des métiers ont eu des sueurs froides, ils se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas assez précis et clairs en termes de valeur… et donc que leur ambition était décalée à 10 semaines plus tard ! Cela n’arrive qu’une fois : les présentations se sont grandement améliorées par la suite. C’est une amélioration qui a tiré tout le monde vers le haut tout en réduisant fortement nos coûts, mais cela passe par une grande discipline personnelle et collective.
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