Pionnière de la découpe textile, Lectra aspire aujourd’hui à être une figure de proue dans l’industrie 4.0, grâce à l’intégration de l’IA et de la data. Thierry Caye, Chief Technology Officer de l’entreprise, évoque les défis de cette transformation.
Lectra vit une transformation majeure. Numéro un mondial de la découpe de textile dans l’industrie de la mode et de l’automobile grâce à ses machines automatisées, l’entreprise, basée près de Bordeaux, se transforme en éditeur de solutions software as a service (SaaS). Cette nouvelle branche a désormais surpassé l’activité historique en termes de revenus, seulement 7 ans après la création des premiers logiciels. Un changement de paradigme important, tant en interne qu’auprès des clients, pour cette entreprise qui souhaite être à l’avant-garde de l’industrie 4.0.
L’année 2023 a marqué un tournant pour Lectra. Pour la première fois, le chiffre d’affaires repose davantage sur les ventes de produits SaaS que sur celles des machines de découpe. Comment cette transition, d’un industriel à un éditeur de logiciels, est-elle accompagnée en interne ?
C’est une transformation qui s’étale sur plusieurs années pour affirmer notre ambition d’être une entreprise engagée dans l’industrie 4.0. D’importants investissements ont été nécessaires, car cette transformation touche l’ensemble de l’entreprise. Nous avons accompagné les équipes R&D avec de nombreuses formations, et formé également les équipes commerciales pour les acculturer à ces nouveaux produits. Nous avons par ailleurs lancé un plan data et mis en place un data hub l’an passé pour faciliter la collecte et le partage des données. La data est clé. Nous avons aussi établi plusieurs partenariats avec TextileGenesis pour renforcer la traçabilité des produits, Six Atomic pour la conception via l’IA générative et AQC, spécialiste du contrôle qualité basé sur l’IA.
Selon vous, où en sommes-nous dans cette transformation vers l’industrie 4.0 ?
Il existe une différence entre les industriels et certains sous-traitants. Aujourd’hui, chez nos clients, la maturité n’est pas encore atteinte. J’ai l’impression que nous ne sommes qu’au début, particulièrement dans l’industrie de la mode, même si nous avons déjà amorcé cette transformation en investissant dans des bases comme le cloud, la data, et l’intelligence artificielle. Cependant, l’industrie automobile est la plus avancée, car la productivité y est cruciale. Elle a compris l’importance de l’automatisation des processus. Un gain matière de 1 % sur chaque siège auto produit pendant cinq ans peut rapporter des centaines de milliers d’euros sur l’ensemble du programme.
La gestion des données est cruciale dans la transformation numérique d’une entreprise. Un manque de “gouvernance data” peut-il freiner la transformation de l’industrie ?
Effectivement, les données sont souvent fragmentées dans l’industrie. C’est pourquoi nous travaillons sur la collecte et l’analyse de ces données. Nous nous interconnectons aux ERP (progiciels de gestion intégrés) des clients pour agréger des données liées aux commandes, comme les volumes, les tailles de vêtements, les patrons, ou les informations sur les matières. Nous travaillons aussi sur notre propre collecte de données à partir de nos machines de découpe, notamment pour la maintenance prédictive.
Certains estiment qu’avec l’émergence de l’IA et de l’IA générative, nous sommes déjà entrés dans l’ère de l’industrie 5.0, axée sur les interactions homme-machine. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une forte tendance à intégrer l’IA générative dans des POC (preuves de concept) qui échouent souvent. Je pense que l’IA générative deviendra intéressante lorsqu’elle sera combinée à l’IA traditionnelle. C’est cette dernière qui sera plus disruptive, car elle a déjà prouvé sa capacité à améliorer la productivité en interne. Certes, elle est plus complexe, mais elle permet de résoudre des problématiques combinatoires. Elle peut être testée avec des systèmes de récompense sur le modèle d’apprentissage automatique continu. C’est là que je perçois les plus grands changements. Nous pourrons aussi combiner les deux technologies en connectant un LLM pré-entraîné à de l’intelligence artificielle. Je ne peux pas encore vous révéler de cas d’usage précis, mais selon moi, nous ne sommes pas encore dans l’industrie 5.0. Cependant, l’IA pourra créer certaines nouvelles interactions homme-machine dans l’ère 4.0.
Comment cette transformation numérique de l’industrie pourrait-elle contribuer à la transition écologique ?
L’IA va nous permettre d’améliorer la productivité et l’efficience en optimisant les algorithmes, notamment pour la partie combinatoire. Dans nos métiers de la découpe de textiles, les économies de matière première représentent des gains écologiques. En réduisant l’utilisation de tissu, nous réduisons notre impact en termes de RSE (Responsabilité sociale des entreprises). Grâce à la digitalisation de nos machines de découpe et à la création de jumeaux numériques, nous adaptons les découpes aux machines appropriées pour maximiser les économies. Ce sont les différents algorithmes qui nous permettent d’obtenir ces résultats et de réduire les déchets.
Crédit Photo : Lectra