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[Edito] Les aléas politiques marquent-ils une perte d’influence de la France sur le numérique ?

Article mis à jour le 23/09/2024 après la nomination du gouvernement Barnier

Les luttes politiques françaises semblent menacer l’influence que notre pays cherche (péniblement) à acquérir en matière de numérique. La période de trouble vécue au plus haut niveau de l’État est en effet révélatrice : après deux mois d’errance gouvernementale, l’équipe proposée par Michel Barnier est au centre de toutes les attentions. Bien entendu, les médias se concentrent sur les postes les plus « politiques » : Matignon, Bercy, ministère de la Famille ou de l’Immigration… Mais il est évident que les hésitations et les incertitudes n’ont pas non plus aidé à donner confiance dans la trajectoire et les choix qui auront un impact sur l’ensemble de l’écosystème du numérique. Le tout, alors que l’Assemblée elle-même peine encore à trouver ses marques pour désigner de nouveaux leaders sur les questions numériques. 

La place exacte occupée par le numérique dans l’organigramme gouvernemental ne manque pas d’interroger aujourd’hui. En nommant Clara Chappaz, qui dirigeait la mission French Tech, comme secrétaire d’État à l’intelligence artificielle et au numérique, le Premier ministre semble mettre l’accent sur les start-up françaises. L’apparition de l’IA dans l’intitulé du poste de la secrétaire d’État peut certes témoigner de la volonté de prendre au sérieux la révolution en cours, mais on ne peut que rester sceptique face à son rattachement au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Par rapport aux liens passés qui unissaient le numérique au puissant ministère de l’Économie, cette dégradation n’est pas seulement protocolaire (officiellement, le numérique occupe donc le 40e et dernier rang du gouvernement) : elle brouille les messages envoyés par l’État à l’univers de la Tech. Le numérique ne représente-t-il plus l’économie dans son ensemble, mais seulement l’innovation et la recherche ?

Cependant, une autre situation politique mérite également d’attirer l’attention. Celle-ci concerne l’Europe, puisque par une concordance des calendriers, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a elle-même dévoilé il y a quelques jours la liste de ses candidats pour sa nouvelle équipe. Ils doivent maintenant être validés individuellement par le Parlement européen. La position de la France a été au cœur des enjeux dans cette séquence et les arbitrages réalisés pourraient peser fortement sur la politique de l’UE en matière numérique là aussi. Car, la voix de la souveraineté numérique européenne sera dorénavant finlandaise plutôt que française.

L’affaire a été abondamment couverte ces derniers jours : la démission de Thierry Breton de son poste de Commissaire européen, à l’insistance d’Ursula von der Leyen et avec la bénédiction d’Emmanuel Macron, a contribué à changer la place du numérique au sein de la Commission. En effet, c’est Stéphane Séjourné, proche du président de la République, qui doit prendre le siège français au plus haut niveau de l’UE. Or, celui-ci concernera un portefeuille appelé « Prospérité et Stratégie industrielle », clairement orienté vers le renforcement du Marché unique et les enjeux économiques. Le Français bénéficie de l’un des six postes de « vice-président exécutif » de la Commission, soulignant l’importance accordée à son portefeuille, même si les commentateurs mettent en doute le niveau d’influence politique que sa personnalité et son expérience pourraient lui permettre d’obtenir, au-delà de ce titre prestigieux.

En parallèle, c’est bien à une autre vice-présidente exécutive, la Finlandaise Henna Virkkunen, qu’échoie la mission de gérer la « Souveraineté numérique, Sécurité et Démocratie », et à qui reviendra la charge de coordonner les infrastructures numériques et la numérisation de la société.

Dans la précédente commission, Thierry Breton disposait d’un large portefeuille qui liait en profondeur les sujets économiques et numériques, et il collaborait de manière étroite avec la très influente Danoise Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence. La forte personnalité de l’ancien dirigeant d’Atos, si elle a conduit à une opposition de plus en plus ouverte avec la présidente Ursula von der Leyen, a également beaucoup fait pour porter la voix de l’Europe face aux géants du numérique. Elle a aussi mis en avant des réglementations ambitieuses, souvent très techniques. À l’avenir, les messages pourraient être portés de manière bien différente.

En effet, dans son discours annonçant les noms de son équipe, Ursula von der Leyen n’a prononcé qu’une fois le mot « digital » et c’était dans le cadre de l’intitulé de poste d’Henna Virkkunen. En filigrane, il est donc à craindre une séparation plus nette entre les portefeuilles de la Finlandaise, centrée sur une vision politique du numérique, et de son homologue français, orienté vers une vision économique plus traditionnelle. D’autant plus que la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG CNECT), autrefois rattachée à Thierry Breton, devrait passer sous la houlette de la nouvelle commissaire à la Souveraineté numérique. Ajoutons que le parcours de celle-ci est avant tout celui d’une politique : députée européenne depuis 2014, elle a été ministre en Finlande, mais à des postes sans lien avec le numérique (Transport, Administration publique, Éducation). Elle n’a donc pas l’expérience « business » dont se prévalait Thierry Breton.

Pourtant, sa lettre de mission, adressée par la présidente de la Commission européenne, brasse large : IA, quantique, cybersécurité, identité numérique… les sujets ne se pourront donc pas se limiter aux questions de désinformation ou de rapports conflictuels avec les grands réseaux sociaux. Il reste donc à espérer que la nouvelle commissaire saura bien s’entourer et qu’elle créera une relation de travail très étroite avec Stéphane Séjourné, un autre profil avant tout politique, si l’un et l’autre sont confirmés par le Parlement. Car il serait paradoxal que la « Prospérité et la Stratégie industrielle » dont doit s’occuper le Français n’intègre pas, au plus haut niveau, le numérique. 

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