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Les collectivités territoriales et la DSN : retour sur un choc de transformation numérique

Le groupement d’intérêt public de modernisation des déclarations sociales (GIP-MDS) a pour mission d’être le portail unique pour les formalités administratives sociales de l’ensemble des employeurs français. Elisabeth Humbert-Bottin, son directeur général, analyse l’effet qu’a eu sur les collectivités territoriales la transformation numérique de la déclaration sociale nominative (DSN) achevée en 2022.

Le passage à la déclaration sociale nominative (DSN) a-t-il été une transformation numérique importante pour les collectivités territoriales ?

Instaurée par la loi de simplification de 2012, la transformation amenée par la DSN est éminemment numérique : elle a inversé le paradigme qui prévalait jusque-là, en permettant de capter l’ensemble des données relatives à la paie venant des employeurs, mois après mois. C’est une harmonisation qui a rationnalisé la coexistence passée de plus de 75 formalités auprès de France Travail, de l’Urssaf, de la CPAM… en une déclaration numérique unique de la part des employeurs.
Le secteur privé a dû franchir ce cap dès 2017, mais dans le secteur public, la transition ne s’est faite qu’à partir de 2019 et s’est achevée en 2022 : près de la moitié des collectivités territoriales n’ont franchi le pas qu’il y a deux ans. Rappelons que celles-ci composent l’essentiel des employeurs de la fonction publique ! Et effectivement, pour beaucoup d’entre elles, cette transformation a été très conséquente.

Toutes les collectivités sont-elles égales face à cette nouvelle pratique de déclaration permise par le numérique ?

Nous avons récemment mené une enquête auprès de 2 900 déclarants du secteur public, dont 2 700 étaient issus de la fonction publique territoriale. Parmi eux, plus de la moitié étaient des petites collectivités de moins de neuf agents, comparables donc à des TPE. Certains employeurs sont évidemment beaucoup plus grands, avec des centaines d’emplois, mais ils sont beaucoup moins nombreux. Dans tous les cas, contrairement aux acteurs du privé, les collectivités voient leur pratique de la paie, et donc de la DSN, compliquée par la coexistence en leur sein de trois statuts : les fonctionnaires d’une part, les employés de droit privé d’autre part, mais aussi un grand nombre de contractuels, qui partagent des réalités avec les deux précédents.

Dans ce contexte, il est réjouissant de voir que plus de 86 % de ces employeurs territoriaux se déclarent satisfaits du passage à la DSN, un niveau comparable à celui du privé. En moyenne, ils se disent cependant moins confiants en termes de niveau de maîtrise, par rapport à leurs homologues du privé. Si l’on entre dans le détail, on note que ce sont surtout les grandes collectivités de plus de 500 agents qui sont les moins satisfaites. Les petites collectivités, elles, sont très contentes et se déclarent plus en maîtrise Parmi les principaux avantages mis en avant, les acteurs du secteur public insistent sur la simplicité des transmissions, les gains de temps pour les équipes de gestion de paie et de comptabilité, ainsi que sur la sécurisation de la paie.

Cette transformation ambitieuse est donc maintenant derrière elles ?

Les indicateurs montrent que les collectivités ont su s’emparer du sujet pour le mener à bien. Mais il reste du travail. Les employeurs du privé peuvent ainsi aujourd’hui régler en ligne leurs cotisations après avoir fait leur DSN. Cette faculté n’est pas encore offerte aux collectivités. Ce sera pourtant nécessaire pour aller au bout de la simplification et de la logique « tout-en-un » de cette réforme. De la même façon, tout n’est pas encore homogène pour certaines procédures, par exemple sur le circuit d’emploi des personnes en situation de handicap. Il reste donc encore de nombreuses harmonisations à mener.

Toutefois, malgré la superposition des corpus, on peut dire que les collectivités ont fait un excellent travail de fond. La transformation numérique de la DSN s’est ainsi accompagnée pour 60 % d’entre elles d’une modernisation de leurs outils et de leurs processus, avec à la clé une réorganisation assez forte. Quand cela a été mené de cette façon, la DSN a eu un impact très positif sur le fonctionnement quotidien des collectivités. C’est d’autant plus nécessaire que les organisations doivent également absorber la nouvelle « gymnastique » que représentent les régularisations de déclaration à faire au fil de l’eau en DSN. Cela peut mettre une pression importante sur les services, qui n’étaient pas habitués à ce rythme et cet alignement des régularisations par le passé.

On notera par ailleurs qu’il y a eu assez peu de moyens consentis pour la formation aux enjeux et usages de la DSN. Ni les éditeurs de logiciels, ni les collectivités elles-mêmes n’ont consacré beaucoup de moyens pour gérer la transition, qui a pourtant dû se faire dans un temps plus court que pour le secteur privé. Heureusement, les collectivités ont pu profiter de la documentation plus fournie et des retours d’expérience des entreprises qui les avaient précédées. Et les éditeurs de logiciels avaient appris de leur côté comment mieux travailler avec le GIP-MDS.

L’un des leitmotivs du GIP-MDS est l’importance de la qualité des données pour la modernisation des déclarations sociales. Quelles sont les différences entre les collectivités et le monde du privé en la matière ?

Déjà, il est clair que l’installation de la DSN a contribué à renforcer la qualité des données de la paie… L’effet le plus direct est de réduire les erreurs pour les salariés. Par ailleurs, la généralisation et l’unification progressive du Compte-Rendu Métier (le rapport permettant à l’organisme ou à l’administration concernée de faire un retour aux déclarants en cas de suspicion d’erreur, NDLR) conduisent à l’enrichissement de toutes les données pour un employeur. Cela crée un effet de traction sur la qualité des données. C’est un travail de longue haleine mais fructueux qui pousse à clarifier les notions pour les organismes, et donc à normaliser : les collectivités vont donc de plus en plus avoir de la visibilité sur ce qu’est vraiment une donnée de qualité, bien définie, utile… La qualité de la donnée est essentielle puisque in fine ces données aliment les droits sociaux comme la retraite, le chômage, l’assurance maladie, etc.

Il faut également noter que souvent, les déclarations qui concernent les agents fonctionnaires n’ont pas le même degré de précision sur certains sujets, par exemple pour les absences, car il n’y a pas le système des IJ comme dans le privé. Ces informations spécifiques n’étaient donc pas isolées dans les systèmes d’information des collectivités. À l’avenir, récupérer ces degrés d’information se fera progressivement et elles gagneront en précision. Tout le monde a intérêt à ce que cela s’améliore, afin de bénéficier d’indicateurs de comparaison utiles, sur les rémunérations moyennes, la parité, l’absentéisme, le turnover… Plus les données de chacun seront de qualité, plus ces indicateurs partagés auront du sens.

Quelles nouvelles transformations d’avenir doivent aujourd’hui considérer les collectivités, selon vous ?

La gestion de la paie est encore le parent pauvre de la modernisation de très nombreuses organisations. C’est dommage. Au sein des collectivités, ce sujet très technique n’intéresse pas les élus, contrairement à d’autres plus attractifs dans le cadre de la transformation numérique. Malgré tout, il faut maintenant que les collectivités puissent capitaliser sur le travail important mené sur la DSN. En particulier, elles doivent aller au bout du « Dites-le-nous une fois ». En effet, il persiste encore des formalités qui ne sont pas intégrées dans la déclaration unique en ligne ; or, c’est tout le sens du numérique de pouvoir achever la convergence.

L’avenir permettra aussi d’innover en s’appuyant sur une véritable base de connaissances pour les employeurs, réalisée grâce aux centaines de types de données rattachées à la DSN. Avec les usages des entreprises depuis 2017 et plus récemment ceux des collectivités, nous disposons aujourd’hui d’une banque documentaire très intéressante. Dès le lancement du projet en 2013, nous avons cherché des moyens technologiques pour faciliter l’accès à cette connaissance. Aujourd’hui, nous voulons permettre l’interaction en langage naturel avec cette base, en utilisant l’IA générative. L’IA doit aider à rendre le vocabulaire et les textes d’information de tous les organismes et administrations plus digestes et facilement accessibles.

Enfin, on peut également espérer que ce mouvement de transformation initié avec la DSN nous amène plus profondément vers une remise en question des processus des organisations pour gagner en efficience… Par exemple, la répartition des rôles entre ordonnateurs et comptables date d’une autre époque ! Ne serait-il pas intéressant de la revisiter enfin ?

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