Souvent perçus comme faibles, les communs numériques peuvent néanmoins favoriser des passages à l’échelle significatifs, notamment au sein de l’éducation nationale. Pour être à la fois innovants et inclusifs, ils nécessitent toutefois une stratégie pilotée par l’administration.
Pour étendre des pratiques à tout l’enseignement, les communs numériques sont un atout de taille. « La contribution peut se faire à une échelle globale », précise Emma Gharini, directrice Open Source et communs numériques au sein de la Dinum (Direction interministérielle du numérique). En effet, ces outils sont libres et ouverts, c’est-à-dire communautaires. Il revient aux membres de cette communauté de produire la ressource, qu’elle soit en code ou en données, et de l’entretenir. « Les enseignants créent de la ressource pédagogique, et cette méthode permet de l’améliorer et de la diffuser », explique Emma Gharini, devant une communauté d’acteur de l’éducation, au Salon EducaTech de l’innovation éducative, à la Porte de Versailles (Paris).
Entre la ressource privée et la ressource purement publique, les communs numériques ouvrent une troisième voie de coopération entre ces deux milieux. « La mutualisation permet des changements d’échelle puissants et crée des systèmes économiques qui fonctionnent », indique la membre de la Dinum. En effet, tout le monde, y compris des start-up ou des entreprises, peut bénéficier de ces communs et les enrichir dans le respect des règles fixées par la communauté. « Dans l’administration, ces solutions stimulent l’innovation, contrairement à la création de code fermé, qui renforce les barrières à l’innovation », assure Emma Gharini.
Libres, mais pas faibles…
La notion de partage et d’ouverture est souvent associée à une certaine faiblesse. « On connaît tout, donc on se dit qu’on peut voir la fissure dans le mur de la maison », compare Emma Gharini. Mais selon elle, la force réside justement dans l’aspect communautaire. « La communauté regarde et sera très attentive à ce que, dans cette maison ouverte, tout soit nickel-chrome », ajoute-t-elle. En effet, dans un fonctionnement ouvert, aucun acteur, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’une administration, n’a intérêt à ce que la ressource soit faible. « Il est nécessaire de compter sur plusieurs acteurs pour créer de la résilience. » Cela permet ensuite à l’entité publique d’être souveraine et autonome pour s’assurer de fournir un service grâce au commun.
Dans l’Éducation nationale, travailler sur la pérennité des outils, et donc des données et des savoirs, est un défi majeur. « Il nous est arrivé de financer des solutions pendant trois ou cinq ans, puis de les abandonner ensuite », regrette Alexis Kaufmann, chef de projet logiciels et ressources éducatives libres au ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. « Lorsqu’on éteint la lumière de manière brutale sur des solutions alors que les enseignants s’étaient investis, c’est du gâchis », poursuit-il, notamment lorsque ces solutions venant du privé n’étaient pas interopérables. Certains enseignants s’investissent, en effet, particulièrement dans des projets qui leur tiennent à cœur. « Ceux-là ont une capacité de contribution monumentale aux communs numériques, pour peu qu’il y ait une stratégie, indique Emma Gharini. Quand on a une communauté aiguillée, on libère le potentiel de création de valeur. »
…sobres et inclusifs
Printux est un logiciel permettant aux enfants de primaire d’apprendre, notamment à lire et compter. « C’est un système complet, un OS, conçu par une communauté d’enseignants », explique Alexis Kaufmann, qui ajoute : « Ça part souvent d’un enseignant qui a des compétences numériques et qui crée une solution avec ses élèves. » Fondé il y a presque 10 ans, dans les Hauts-de-France, ce logiciel est libre et ouvert. Il a également été conçu pour être utilisé sur des ordinateurs parfois vieillissants. « Le code de Printux est extrêmement léger », indique Emma Gharini, qui précise qu’il nécessite peu d’énergie et aucune connexion internet, ce qui le rend compatible avec des ordinateurs reconditionnés ou fonctionnant sous Windows 95, encore présents dans certaines collectivités. « Ces logiciels peuvent être écoconçus et représentent un vrai levier d’inclusion numérique grâce au peu de moyens nécessaires pour les utiliser », poursuit-elle. C’est d’ailleurs le rôle de la Dinum de repérer et d’accompagner ces communautés pour leur apporter une certaine culture. Et pas toujours sans difficulté : « On essaie avec notre méthode. Il y a parfois des levées de boucliers de la part des enseignants, mais on s’adapte », ironise-t-elle.