Grâce notamment à un pôle académique de grande qualité, la Suisse crée et essaime de jeunes pousses partant à la conquête des pays voisins, dont la France fait partie. D’autres types d’entreprises parviennent elles aussi à rayonner à l’étranger.
Selon le World Digital Competitiveness Ranking, qui mesure la capacité des économies à adopter les technologies numériques pour assurer leur transformation économique et sociale, la Suisse se classe à la 5e place mondiale (sur 64 pays étudiés au total). Pour parvenir à cette place enviée (la France est 27e), l’atout principal de la Confédération helvétique repose sur la qualité de sa main-d’œuvre et de son système éducatif.
Si l’on en croit l’édition 2025 du classement effectué par la société londonienne Quacquarelli Symonds, qui réalise une évaluation des universités et grandes écoles dans le monde, l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) apparaît comme la meilleure université d’Europe continentale (7e place du classement mondial). Et si l’on poursuit l’étude du classement européen, on s’aperçoit que la Suisse positionne également l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) dans le top dix, juste derrière l’Université PSL (Paris Sciences & Lettres) qui se hisse à la 9e place. Par ailleurs, selon une étude publiée par l’Office européen des brevets (OEB), la Suisse possède le deuxième plus grand nombre de brevets académiques par habitant en Europe. Avec 772 brevets académiques par million d’habitants, elle arrive en deuxième position derrière le Danemark (800 brevets). Une fois de plus, l’EPFZ se distingue, avec 2 219 brevets déposés, devant l’EPF de Lausanne (1 697 brevets) et l’Université de Zurich (930 brevets).
Une excellence académique propice à la création de start-up
C’est dans ce contexte d’excellence académique que se sont créées un certain nombre d’entreprises suisses dans le secteur du numérique. C’est le cas de Nexthink, issue d’une technologie développée par le Laboratoire d’intelligence artificielle de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Cofondée en 2004 dans la banlieue proche de Lausanne par Pedro Bados, Patrick Hertzog et Vincent Bieri, Nexthink est spécialisée dans les logiciels de pilotage de l’expérience numérique des collaborateurs. L’entreprise compte aujourd’hui plus de 1 200 clients à travers le monde. Outre la Suisse, elle est également basée aux États-Unis (Boston) et compte 9 bureaux à travers le monde, dont un situé à Paris (lire l’interview d’Olivier Sanchez, country manager France de Nexthink). Autre entreprise ayant un lien très étroit avec l’EPFL : Resilio. La société accompagne les entreprises sur tous les aspects liés à leur démarche numérique responsable : la formation, le conseil et l’évaluation des impacts environnementaux de leurs services numériques. Elle a été cofondée en 2022 par Frédéric Bordage (cofondateur de GreenIT.fr) et 10 autres associés, dont huit étudiants de l’EPFL investis depuis 2019 dans une association estudiantine de leur école, Zero Emission Group. La jeune pousse Virtuosis, qui propose un outil d’analyse de la voix permettant de prévenir les risques d’épuisement professionnel, a elle aussi développé des liens académiques privilégiés. Sa cofondatrice, Lara Gervaise a effet conçu le concept de Virtuosis lors de sa thèse à l’EPFL. Elle a également collaboré avec des psychologues de l’Université de Neuchâtel pour développer et affiner le modèle d’intelligence artificielle sur lequel repose sa solution.
Lara Gervaise est par ailleurs très présente en France, notamment auprès des services de l’Élysée qui la sollicitent pour l’organisation du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Cet événement, qui change chaque année de lieu, se déroulera début février 2025 à Paris. Il rassemblera des chefs d’État et de gouvernements, des dirigeants d’organisations internationales, de petites et grandes entreprises, ainsi que des représentants du monde universitaire, des chercheurs, des organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile. « Outre l’Élysée, je suis également en lien avec le ministère de la santé français, car notre solution les intéresse beaucoup, que ce soit d’un point technologique (dans le cadre du système de santé français), ou d’un point de vue économique (pour que nous nous installions en France). D’une manière plus globale, la proximité de la langue, et donc de la culture, entre la Suisse romande et la France est un atout. Les relations commerciales s’en trouvent facilitées. Par ailleurs, l’image de la Suisse à l’international est une image de sérieux et de rigueur », note Lara Gervaise.
Des entreprises de service numérique (ESN) actives à l’étranger
Dans la catégorie des entreprises de service numérique (ESN) dont la présence dépasse les frontières suisses, le groupe ELCA se positionne comme un prestataire indépendant de services et de solutions informatiques. Avec plus de 2 200 experts spécialisés dans le conseil, la cybersécurité, le cloud, la data, l’IA et l’intégration de progiciels pour tous les secteurs, la société possède des bureaux, entre autres, à Zurich, Genève, Berne et Bâle, ainsi que des centres délocalisés en Espagne, en Italie, à l’île Maurice et au Vietnam. Autre exemple d’ESN dont l’activité s’exporte hors de Suisse : Qim info. L’entreprise a été créée en 2004 par trois ingénieurs issus de l’IT, avec la volonté de changer la manière dont sont perçues les entreprises de services numériques. Les trois lettres de « Qim » signifient d’ailleurs « Qualité, Ingénierie et Méthode ». En 2021, après avoir conquis le bassin suisse romand puis alémanique grâce à ses 600 consultants, Qim info ouvre une nouvelle agence, côté français, à Annecy. Quant à la société de conseil Amaris, créée à Genève en 2007 par deux Français, Olivier Brourhant et Olivier Tisseyre, elle emploie aujourd’hui plus de 7 600 collaborateurs dans plus de 60 pays répartis sur les cinq continents.
Avec plus de 1 000 clients dans le monde, elle intervient dans quatre domaines principaux : les systèmes d’information et le digital, les télécoms, les sciences de la vie et l’ingénierie. Elle est présente en France depuis 2008 à Lyon (sa première filiale française) puis à Paris, Lille, Marseille et Nantes. « Les entreprises suisses sont en général très spécialisées, là où les groupes français sont plus généralistes. Les offres peuvent être en cela assez complémentaires. Par ailleurs l’offre de délégation d’ingénieurs / consultants est moins présente en Suisse car le droit du travail est beaucoup plus souple et permet de mieux adapter la demande au besoin. Néanmoins, le manque de compétences dans de nombreux domaines fait éclore avec succès ce type de service », déclare Romain Duriez, Directeur de la CCIFS (CCI France Suisse).
Fintech suisses : un rayonnement international
Les start-up suisses qui s’exportent, notamment en France, sont nombreuses. C’est le cas par exemple de la fintech B-Sharpe. Créée en 2006 par Jean-Marc Sabet, elle est présente en France (Lyon) depuis 2021. Elle offre aux particuliers et aux entreprises des solutions de couverture du risque de change. Toujours dans le secteur financier, la jeune pousse suisse Wecan Group se spécialise, elle, dans le développement de solutions blockchain pour la sécurisation des données des institutions financières. Elle a notamment créé une série de produits destinés à assurer le respect de la vie privée grâce à sa propre blockchain qui alimente des systèmes de messagerie et un réseau social confidentiel. En 2022, elle a fait partie des cinq sociétés sélectionnées par le Swave pour rejoindre son programme d’incubation. Situé à la Grande Arche de la Défense, le Swave est issu d’un partenariat entre le secteur public et institutionnel (préfecture des Hauts-de-Seine, France Fintech…) et le secteur privé (Société Générale, MasterCard France, Exton Consulting…).
Son offre d’incubation est dédiée à l’accompagnement des fintechs et des insurtech. Il faut dire que la Suisse se distingue de ses voisins européens par son écosystème de start-ups spécialisées dans la blockchain et les cryptos. Initiée dans la ville de Zoug (près de Lucerne), la « Crypto Valley » a notamment vu naître l’Ether, la cryptomonnaie native d’Ethereum. La Crypto Valley rayonne désormais dans tout le pays, et hors de ses frontières, avec près de 1 300 sociétés spécialisées dans ce domaine, dont Bitcoin Suisse (située à Zoug) et Bity (Neuchâtel). Dans le secteur de l’immobilier, l’entreprise Wüest Partner se positionne depuis 1985 comme une société de conseil indépendante spécialisée en expertise, conseil ESG et solutions digitales. Disposant de bases de données, d’algorithmes et de modèles liés au marché immobilier, elle propose des solutions de gestion immobilière ainsi que des outils de vente et de conseil pour les prestataires de services immobiliers. Basée à Zurich, Berne, Genève et Lugano, Wüest Partner possède également des bureaux à Paris, Lisbonne, Francfort, Berlin, Munich, Düsseldorf et Hambourg.
Cybersécurité : un secteur riche en initiatives
Le portrait des entreprises suisses du numérique qui s’exportent ne serait pas complet sans le volet cybersécurité. Selon le Radar 2024 des start-up cybersécurité en Suisse, publié par Wavestone, la plupart des start-up suisses se concentrent dans deux grands pôles technologiques : Zürich et Lausanne. Cette tendance de longue date s’explique par la présence dans ces deux villes des écoles polytechniques fédérales suisses (ETHZ à Zürich, EPFL à Lausanne). « Ces universités offrent un soutien en termes d’infrastructure, mais aussi des opportunités de collaboration avec les étudiants et les laboratoires. En contrepartie, la propriété intellectuelle est partagée entre les start-up et les universités. Ce modèle est un succès pour l’économie régionale, en garantissant un bon équilibre entre investissement et recherche », peut-on lire dans le rapport. 42 start-up (entreprises ayant leur siège social en Suisse, avec moins de 50 salariés et moins de 7 ans d’activité) font partie du Radar de Wavestone.
Parmi elles se trouvent Calvin Risk, plateforme permettant le recensement et l’analyse de risques de manière centralisée, mais aussi Lakera, qui édite des solutions de sécurisation de l’IA générative (notamment contre l’injection de prompts et l’extraction de modèles), Agnostic Intelligence (plateforme de gestion des risques des tiers) et Ystorian (plateforme d’inventaire de sécurité en temps réel).
Enfin, un acteur historique – Infomaniak – mérite lui aussi d’être mentionné dans la catégorie « Cloud provider ». Créé en 1994, Infomaniak a successivement été un club d’informatique, un magasin d’ordinateurs, un fournisseur d’accès Internet avant d’être un prestataire. L’entreprise emploie plus de 260 personnes à Genève et Winterthour, créant des solutions cloud, de streaming et des outils collaboratifs en ligne exclusivement en Suisse, sans délocalisation. Infomaniak se distingue par son engagement en faveur de l’écologie, de la protection de la vie privée et du soutien à l’économie locale. Elle utilise exclusivement de l’énergie renouvelable et construit ses propres centrales solaires et centres de données basés en Suisse. Accréditée par l’ICANN, la société compte parmi ses clients des millions d’utilisateurs, dont des banques, des évènements majeurs et plus de 3 000 radios et chaînes TV à travers l’Europe.