VivaTech est un événement rare : un show amoureux de la technologie, réalisé à grande échelle et avec des moyens conséquents. Chaque année pendant quatre jours, le parc des Expositions, Porte de Versailles, accueille une foule multinationale et des personnalités que l’on a rarement l’occasion de croiser dans l’Hexagone. Les acteurs de la tech en profitent évidemment pour annoncer leurs nouveautés et partenariats les plus marquants. Mais surtout, le salon est un rare moment où l’on peut voir les grandes entreprises et institutions publiques s’afficher ouvertement sur leurs sujets tech : c’est à qui aura le stand le plus marquant, avec la façon la plus originale de marquer les esprits. L’opération séduction bat son plein, tournée vers les professionnels, mais aussi les particuliers, avec une journée qui leur est consacrée le samedi 14 juin. En traversant les allées des différents halls, on ressent – contrairement à la plupart des salons « IT » habituels – un petit effet « Exposition universelle du numérique ». Et l’on voit poindre également une forme de fierté de tous ces acteurs français réunis pour montrer leur savoir-faire et leurs réalisations. Suffisamment rare pour être noté ! De quoi servir enfin de moteur à une « Équipe de France du numérique », lancée officiellement à la veille de l’événement, pour gravir les difficiles sommets des défis européens et mondiaux qui sont devant nous ?
Montrer un peu plus d’enthousiasme ?
La réaction de Jensen Huang, CEO emblématique du constructeur phare de puces IA Nvidia, seul en scène lors de sa keynote d’ouverture grand spectacle au Dôme de Paris, en dit long sur l’électrochoc dont a encore besoin l’écosystème et le public français. Entre un robot invité sur l’estrade avec lui et des séquences quasi cinématographiques sur écran géant (« avec des images entièrement simulées par l’IA »), le dirigeant se heurte cependant à une certaine passivité de son important public. Certes, Jensen Huang n’a pas le caractère et l’image d’un Elon Musk, accueilli comme une rock star par une foule en délire lors de sa propre intervention à VivaTech (c’était en 2023, avant qu’il n’écorne sévèrement son image par son engagement politique auprès de Donald Trump). Le Taïwanais est plutôt l’image du « bon élève sage » de la tech ; sa sempiternelle veste en cuir, façon biker, ne fait pas illusion, quand on voit sa façon de se comporter sur scène, malgré les codes d’un tel exercice. Pour autant, quand il lance à la salle un « Go France ! » après avoir salué les partenariats réussis qu’il noue avec les entreprises et institutions locales, on le sent passablement surpris de ne pas entendre d’encouragements enthousiastes ni même d’applaudissements. Pour preuve, le dirigeant souligne immédiatement le problème, en s’éloignant de son script : « Vous savez que je rencontre votre président Emmanuel Macron tout à l’heure pour annoncer notre partenariat avec Mistral AI… Ce serait bien de montrer un peu plus d’enthousiasme pour l’IA ! ». Alors enfin, comme s’il attendait la permission, et portée par un coin de salle plus mobilisé, le public se lance dans une salve d’applaudissements soutenus. L’anecdote est significative du rapport ambivalent qu’ont de nombreux Français avec les marques de fierté, en particulier entrepreneuriales ou technologiques. Et pourtant, il s’agissait là d’un public de professionnels réunis à VivaTech !
La nécessité d’un futur show de l’Équipe de France du numérique
Cette subtile défiance n’aide pas à porter haut et fort la voix du numérique français sur la scène internationale. Car cette voix souffre qui plus est d’être fragmentée. Le bouillonnement réel d’acteurs innovants et d’associations motivées dans tout l’Hexagone n’est en ce sens pas qu’une source de richesse pour l’écosystème : la difficulté à trancher sur les sujets les plus structurants et à se faire entendre au plus haut niveau hante depuis longtemps les acteurs les plus engagés. Aller à Bruxelles avec 80 groupes d’acteurs différents, c’est l’échec assuré, comme l’a fait remarquer Véronique Torner, présidente du syndicat professionnel Numeum, à la veille de VivaTech. À cette occasion, la dirigeante officialisait le principe d’une « Équipe de France du numérique » qui était teasé depuis plusieurs semaines. Une équipe chargée de chapeauter ces dizaines d’organisations et de servir d’interlocuteur unique, après deux années de travail de préparation. Au-delà du bon sens organisationnel que revêt une telle initiative, on sent également l’envie de créer plus largement de l’envie et de l’engagement autour d’un esprit de corps, à l’image de ce que peuvent provoquer d’autres équipes de France, sportives cette fois. Ce n’est pas pour rien que Bruno Marie-Rose, sprinteur médaillé olympique et directeur de la technologie et des systèmes d’information des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, était de la partie pour l’annonce. Une incarnation sportive servie également par la présence de l’ancien intervieweur vedette Nelson Monfort, emblème s’il en est de la passion pour l’exploit sportif ! L’image sportive est en effet peut-être la dernière à provoquer cet enthousiasme et cette fierté recherchés, comme l’a prouvé l’an dernier la réussite des Jeux.
Les messages d’unité vont maintenant devoir faire leurs preuves. D’autant qu’unir les Français derrière un étendard tech national pourrait être la partie la plus facile de l’épreuve. En effet, comme le rappelle Véronique Torner elle-même, le match suivant arrivera bien vite : fédérer autour d’une équipe européenne du numérique qui parvient à dépasser les aléas d’un marché qui n’a d’unique que le nom, et les difficultés à faire émerger des champions européens qui pèsent. Bien sûr, un tel succès ne pourra pas venir seulement de l’écosystème : les rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi ont bien rappelé l’effort politique et réglementaire qu’il fallait fournir au niveau de l’Union européenne pour enrayer un déclin économique annoncé. Pour autant, attiser les états d’esprit des décideurs et du public à tous les niveaux, sur la légitimité de la tech française et européenne à s’imposer, reste une étape indispensable. Et pour y parvenir, il faut des symboles. VivaTech en est un, mais l’anecdote Nvidia est là pour nous rappeler que cela ne suffit pas. Alors, l’Équipe de France du numérique fera-t-elle son propre show l’an prochain sur la grande scène de VivaTech pour montrer que le cap a été franchi ? On ne peut que l’encourager.