Après une année 2024 dramatique, les premiers mois de 2025 n’annoncent rien de bon pour le géant mondial des semi-conducteur, Intel. Une déchéance qui ne manque pas d’envoyer un signal au marché… et de faire réflechir.
Certaines histoires servent pendant des années de symboles pour alerter les organisations sur le danger de se reposer sur leurs lauriers. Pendant la décennie 2010, cela a été le triste honneur de Kodak, cité ad nauseam comme l’exemple de l’entreprise n’ayant pas anticipé un tournant numérique qui l’aura laissée à terre. Pour les dix ans à venir, ce sera peut-être Intel qui souffrira de porter un tel insigne d’infamie.
Le géant américain des semi-conducteurs, cofondé en 1968 par Gordon Moore (qui a donné son nom à la célèbre loi qualifiant l’évolution de la puissance de calcul des ordinateurs), est aux abois. Une situation qui paraissait inimaginable il y a quelques années seulement… et que le boom de l’intelligence artificielle et le succès des acteurs de l’écosystème des puces (Nvidia, TSMC…) rendent, en comparaison, d’autant plus incompréhensible.
Les plans de Pat Gelsinger n’auront pas suffi
Et pourtant ! 2024 a été pour le fondeur une Annus Horribilis comme il s’en fait peu. Valorisée encore à 210 milliards de dollars en janvier, l’entreprise s’est effondrée en moins de neuf mois à moins de 84 milliards, un niveau inférieur à la somme de ses actifs industriels, usines et équipements. Un exploit. La descente aux enfers a coûté son poste au CEO, Pat Gelsinger, « démissionné » par le board en décembre. Il avait rejoint le navire en 2021 pour remettre de l’ordre face aux soubresauts connus par l’entreprise… en vain.
Le plan dévoilé en août 2024 par le dirigeant se voulait un réveil au clairon, avec plus de 15 000 suppressions de postes, l’arrêt du versement des dividendes annuels (3 milliards de dollars jusque-là, excusez du peu) et une baisse de 20 % de ses dépenses Capex… Une thérapie de choc que les marchés avaient regardée avec scepticisme.
Dans la vision initiale de Pat Gelsinger, Intel devait être capable d’être à la fois un acteur majeur du Fabless (la conception des puces sans usines, en s’appuyant sur la sous-traitance) d’un côté, et de la fonderie (la fabrication en tant que telle) de l’autre, sans lier implicitement les deux activités. Mais l’entreprise, déjà en difficulté sur ses fondamentaux technologiques, en n’ayant pas suffisamment pris le tournant des puces pour smartphones, sera passée du même coup, à partir de 2022, complètement à côté du décollage des puces dédiées à l’IA. De quoi laisser Nvidia s’imposer comme le seul « marchand d’armes » dans la guerre de l’intelligence artificielle.
Géant à la découpe
Le paquebot Intel, porté depuis des décennies par le confort d’une omniprésence dans les ordinateurs des particuliers et des professionnels grâce à une alliance de leaders avec Microsoft, n’a pas su tourner assez vite.
Dorénavant, deux autres géants espèrent profiter de cette faiblesse pour se partager la carcasse de l’entreprise emblématique. Broadcom et TSMC étudieraient ainsi chacun de leur côté la possibilité de racheter une part des activités d’Intel. La complémentarité de leurs offres, malgré le fait qu’elles ne soient pas coordonnées, rend la possibilité crédible aux yeux des investisseurs. La rumeur prête aussi à Elon Musk, par le biais de SpaceX, des velléités pour profiter d’une telle « solde ». Vae victis !
Le marché ne croit pas au « Too big to fail »
Mais au-delà du devenir concret des activités du géant, et des conséquences que cela aura pour tout son écosystème, la « fable Intel » met à terre l’idée qu’il existe une logique de « too big to fail » (trop grand pour faire faillite) dans le monde de la tech. Un message à garder en tête pour les « Magnificent Seven », le groupe constitué d’Apple, Microsoft, Amazon, Google, Meta, Nvidia et Tesla, qui domine les marchés boursiers.
Les champions qui voient leurs fondamentaux fragilisés ou qui n’anticipent pas assez les tendances en rapide renouvellement du numérique peuvent devenir à risque en seulement quelques années. Et quand on compare les nombreuses tentatives des autorités antitrust américaines pour forcer un acteur comme Google à se séparer d’une partie de ses activités, on se dit que parfois, le démembrement par les forces du marché s’avère plus rapide, brutal et emblématique que celui espéré par les régulateurs.