Vitales pour le commerce de détail, les prévisions de vente évoluent. Les distributeurs affinent leurs calculs et intègrent de nouvelles données provenant de multiples sources. Les outils informatiques s’adaptent.
Chez Casino, les prévisions de vente portent sur 8 millions d’articles. Le distributeur alimentaire français doit, en conséquence, anticiper les commandes et les stocks nécessaires aux 20 000 références de son assortiment et ce, pour chacun de ses 400 hypermarchés et supermarchés. Chez l’américain Walmart, le numéro un mondial de la distribution, les prévisions portent sur… 440 millions de Sku’s * !
En back-office, ce sont des dizaines de millions d’opérations que les systèmes informatiques doivent effectuer pour établir les prévisions de vente et déterminer ainsi les commandes à passer. Tout l’enjeu de ces calculs, c’est évidemment leur précision. Plus ils sont justes, moins les magasins manqueront des ventes du fait de ruptures en rayon, moins ils auront de « casse » (produits périmés à jeter) et moins ils auront de stocks dormants qui plombent la trésorerie. On parle ici de plusieurs dizaines – voire de centaines – de millions d’euros par an pour les plus grandes enseignes. Avec la crise qui sévit depuis 2008, les distributeurs sont à la recherche de solutions pour réduire leurs coûts et augmenter leurs ventes, sans pour autant se lancer dans une guerre des prix inévitablement coûteuse. L’amélioration des prévisions de vente en est une. « Les enseignes doivent davantage faire parler les données disponibles », confirme Olivier Girard, directeur général secteur distribution et services chez Accenture.
Face à l’e-commerce
Un besoin encore plus fort depuis que les enseignes en dur doivent aussi faire face à la concurrence des e-commerçants. « Les Web-marchands ont des stocks sur un ou deux entrepôts seulement, voire pas du tout, quand ils hébergent d’autres e-marchands dans leur galerie marchande. En face, les distributeurs du monde physique stockent les produits dans chacun de leurs magasins. Pour rivaliser, ils doivent avoir des niveaux de stocks optimisés », explique Joannès Vermorel, le fondateur de la société Lokad, qui établit des prévisions fondées sur une méthode de calcul novatrice pour plusieurs grands noms de la distribution.
Une dernière raison pousse les distributeurs à améliorer la qualité de leurs prévisions, comme l’explique Philippe Sauvadet, consultant avant-vente chez l’éditeur français de solutions de prévision DynaSys : « Le cycle de vie des produits, alimentaires ou non, est de plus en plus court. De ce fait, les prévisions basées sur les historiques de vente sont moins pertinentes. Résultat, il faut aujourd’hui des outils informatiques capables de générer des prévisions par analogies, c’est-à-dire en rapprochant le nouveau produit d’un autre déjà connu et voisin en termes de famille, de prix et de clientèle cible. » Une vraie nouveauté.
A l’écoute des… réseaux sociaux
Traditionnellement, en effet, les prévisions sont calculées sur la base des historiques de vente remontant des magasins. Schématiquement, cela consiste à regarder à combien d’unités un produit s’est vendu sur une période de l’année précédente, pour prévoir à quelle quantité il s’écoulera pendant la même période de l’année en cours. Problème, les ventes d’un produit sont polluées par une quantité d’événements non récurrents. Le prix du produit ou sa recette ont-ils été modifiés l’an passé ? La météo lui a-t-elle été particulièrement favorable ? A-t-il été en promotion ou profité d’une mise en avant spécifique dans le magasin ? Autant de questions auxquelles il faut répondre. Et encore la liste n’est pas exhaustive.
« Les prévisions sont efficaces à condition que l’outil informatique reçoive, en plus des historiques, le maximum de données susceptibles d’avoir influencé les ventes ou de les influencer à l’ avenir », prévient Samuel Goillon, directeur de la prévision et de l’analyse de la performance commerciale chez Casino. Aussi, depuis quelques années, les enseignes d’hypermarchés et de supermarchés, les chaînes spécialisées, sans oublier les e-commerçants, injectent, dans leurs outils informatiques, des informations « exogènes » pour affiner leurs prévisions.
Parmi celles-ci : les prévisions météo, le plan promotionnel, les lancements de nouveaux produits, les projets d’ouverture de magasins concurrents dans leur zone de chalandise… Depuis peu, les distributeurs commencent même à introduire, timidement, dans leurs systèmes, des données extraites des réseaux sociaux. « Si un internaute déclare, sur Facebook, qu’il adore un produit et qu’il est suivi par plusieurs milliers de “followers”, un mois plus tard, cela vaut de l’or pour les prévisions », illustre Philippe Rechaussat, consultant supply chain chez l’éditeur américain JDA Software.
Toutes ces évolutions ont évidemment de multiples effets sur l’architecture des outils informatiques. À commencer par la formidable quantité de données supplémentaires qu’ils doivent désormais mouliner, pour enrichir les historiques. Illustration : un hypermarché qui possède 15 000 références – hors non-alimentaire – et qui veut corréler les ventes des articles ne serait-ce que deux à deux, se retrouve avec 225 millions de combinaisons à calculer et à trier, car toutes ne sont pas pertinentes. Un objectif qui était inatteignable il y a quelques années. Heureusement que le cloud computing est passé par là. « Il permet d’accéder à une puissance de calcul presque infinie, désormais mise au service d’algorithmes très puissants qu’on ne pouvait pas activer jusque-là », témoigne le directeur des systèmes d’information d’un grand distributeur français. Après la puissance, la question du coût de location de cette nouvelle capacité de traitement se pose. Là encore, l’évolution va dans le bon sens. « Le cloud computing a divisé par cent le coût de la puissance de calcul par rapport à l’époque où les distributeurs devaient acheter et entretenir leurs serveurs », chiffre Joannès Vermorel.
Fiabilité et ergonomie
Mais, plus que la puissance de calcul, c’est la complexité nouvelle à laquelle les outils informatiques doivent s’adapter qui est le véritable défi, de l’aveu unanime des directeurs informatiques et des éditeurs de solutions. Car, si les données exogènes sont indispensables pour compenser les imprécisions des historiques, il faut encore que l’outil qui établit les prévisions puisse les récupérer… Or, elles sont disséminées dans les systèmes informatiques des services concernés dans l’entreprise (marketing, trade, achats, finances…) et bien sûr dans les archives numériques des chefs de rayon en magasins. C’est tout le défi de la prévision collaborative.
Pour corser la chose, ces données sont stockées dans des outils répondant à des formats multiples, du simple fichier Excel à des modules prévisionnels intégrés dans l’ERP, en passant par des solutions « métier » achetées ou développées en interne, au coup par coup, au gré de la croissance de l’entreprise. À cela, il faut ajouter que les distributeurs ont souvent plusieurs outils de prévision correspondant aux différents types de produits qu’ils commercialisent. Avec, à la clé, un ensemble souvent hétérogène, comme en témoigne Pierre Jeanne, directeur organisation et systèmes d’information de l’enseigne Cultura : « Il y a peu, cinq à six outils traitaient de la prévision chez nous, afin de répondre aux différents rythmes de réassorts de chacun de nos quatorze métiers, papeterie, livres, disques, vidéos, loisirs créatifs… »
L’éclatement des données entre plusieurs services et plusieurs systèmes pose deux problèmes principaux. C’est d’abord un handicap en matière de réactivité : il faut récolter les données aux quatre coins de l’entreprise, puis les réconcilier. C’est aussi un risque pour la fiabilité des informations. « Jusqu’à présent, nous devions intervenir manuellement pour corriger les prévisions afin d’intégrer les données exogènes, avec tous les risques d’erreurs que cela suppose », prévient Pierre Jeanne. En réponse, ce dernier vient d’opter pour l’outil de prévision de DynaSys, qui automatise ces opérations et se substitue aux anciens modules.
L’arrivée de nouveaux utilisateurs des solutions de prévision – les équipes des services fournisseurs des données exogènes – soulève aussi la question de l’ergonomie des outils. Il les faut plus conviviaux pour répondre aux besoins d’une population peu habituée à manipuler des systèmes lourds. Interfaces graphiques, capacité à agréger et désagréger facilement les données à tous les niveaux, les outils ne peuvent plus avoir la raideur qui était la leur tant qu’ils s’adressaient uniquement aux statisticiens et aux approvisionneurs venus de la supply chain. Une attente que Philippe Sauvadet résume d’une formule : « Les utilisateurs veulent retrouver la simplicité d’utilisation d’Excel, la puissance en plus. »
Les distributeurs formulent un dernier vœu concernant leurs outils de prévision : qu’ils expliquent davantage les résultats auxquels ils arrivent. Une opacité que regrette Samuel Goillon, chez Casino : « Dans les systèmes, nous avons accès aux algorithmes, mais pas à la manière dont chaque paramètre, historique, données exogènes, règles de gestion, y est pondéré ou influence le résultat. » Preuve qu’il existe encore des perspectives de développement pour les éditeurs…
* Sku’s : les stock-keeping units sont les références d’un assortiment multipliées par le nombre de sites (magasins, entrepôts) où elles sont présentes. À ne pas confondre avec le nombre de références qui comptabilise une seule fois le nombre de produits différents dans l’assortiment.
Le client aussi veut savoir
A quoi le téléphone portable sert-il aux clients en magasin ? Réponse : à mieux s’informer sur les produits qu’ils ont sous les yeux, et ce de plusieurs manières. La prise de photo du produit a ainsi été l’usage numéro un, en novembre 2012, pour 6,3 millions de possesseurs de smartphones (+ 33 % sur un an), révèle la toute dernière étude MobiLens publiée par ComScore. Et plus l’achat est réfléchi, plus l’acheteur s’appuie sur cet outil…
Cet article est extrait du n°2 d’Alliancy le mag – Découvrir l’intégralité du magazine