Lettre (secrète) d’un jeune demandeur d’emploi à son futur employeur

Réagissant à une enquête Ipsos, notre chroniqueuse Diane Rambaldini imagine comment un jeune professionnel pourrait faire comprendre le fossé des attentes entre son employeur et lui.

Quel est le rapport entre Franck Dubosc et l’emploi des jeunes ? Aucun à priori, si ce n’est que ce dernier a beaucoup fait réagir après avoir lu sur Instagram une lettre écrite par une pédiatre américaine, simulant ce qu’un enfant dans l’adolescence aurait envie d’exprimer à ses parents sur cette période turbulente ; lettre que je me suis laissée aller à imaginer mais cette fois de la plume d’un demandeur d’emploi entre 18 et 30 ans à l’attention de son futur employeur…

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« Cher employeur, voici la lettre que je t’écris mais que je ne posterai jamais ni sur un fil de réseau social ni dans une boîte à lettres jaune.

[Le travail, une valeur essentielle mais à tout prix]

Pas toujours mais souvent, chaque fois qu’on se rencontre, je sens comme un désarroi qui t’empoigne. On ne se comprend pas. Ce n’est pas un problème de vocabulaire, mais d’aspirations. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Une enquête Ipsos de 2024, réalisée avec l’école d’ingénieurs Cesi auprès de jeunes de 18 à 28 ans et de dirigeants d’entreprise comme toi, confirme que 86% d’entre vous répondent que notre génération, la Z, est vraiment différente de la précédente, les « Y » nés entre 1980 et 1994.

Tu as souvent l’impression que je suis fainéant, que je ne me « foule pas », que j’en fait le minimum sans trop d’investissement, ou pire que je joue les dilettantes. S’il est vrai que j’apprécie les tâches d’une autre manière, je peux t’assurer que le travail est bien pour moi une source d’épanouissement et une valeur essentielle dans ma vie…. mais pas à n’importe quel prix !

Il n’est pas justifié de s’acharner sur une tâche qui ne le mérite pas à mes yeux, qui ne rapporte pas plus qu’elle soit faite comme je la ferais ou comme toi tu la réaliserais. C’est ma façon d’apprécier les choses.

Quand toi tu penses « plus », moi je pense « mieux ».

Quand toi tu penses « performance », moi je pense « rationalisation »

Et si tu attends que je le fasse pour « briller », je trouve que c’est inutile et une perte de temps. Tu ne vas pas m’augmenter chaque fois que je me donne à 1000% surtout si c’est tout le temps, non ?

Et si vraiment tu estimes qu’il faut creuser une tâche et que je n’en prends pas le chemin, alors c’est à toi de me l’expliquer. J’ai besoin d’être accompagné plus que « cheffer ». C’est comme ça qu’on peut travailler ensemble, et pas l’un contre l’autre. Mais pour ça, je dois voir que tu me montres l’exemple et que tu fais mieux que moi.

Et je le clame haut… oui des causes m’intéressent ! Si tu me fais révolutionner le monde, alors je peux t’assurer que je peux te suivre jusqu’au bout de ce monde. Il y a tant à faire pour améliorer le quotidien…

J’y reviendrai, mais je ne veux pas travailler pour n’importe qui et n’importe comment. J’ai besoin de quête de sens bien plus que de réussite.

Ça veut dire quoi d’ailleurs « réussir » ? Si c’est faire 60 heures de travail par semaine, tronquer des moments en famille ou avec les amis, gagner de l’argent sans pouvoir en profiter, on a effectivement un gros dilemme d’aspirations !

[L’équilibre vie privée et vie professionnelle, la nouvelle quête]

Réussir pour moi, c’est trouver un équilibre serein entre ma vie professionnelle et personnelle. La même enquête Ipsos en fait part. Nous les moins de 30 ans ne le démentons pas. Nous sommes moins enclins à sacrifier notre équilibre vie professionnelle/vie personnelle. L’as-tu lue d’ailleurs cette enquête ? Ce serait tellement bien… Ça nous permettrait peut-être de mieux lier… une fois… au moins une fois.

Entendons-nous bien. J’apprécie que tu me donnes ma chance.

Mais j’ai besoin de flexibilité, de souplesse.

Le carcan d’horaires et de temps de travail m’étouffent. J’ai besoin de changer d’activité à l’envie mais je te rassure, je finis toujours dans les temps. C’est juste que si j’éprouve de la fatigue à 15h, j’aimerais pouvoir faire une séance de sport ou autre qui n’exige pas de moi un temps de concentration ; comme j’aimerais pouvoir retravailler à 23h jusqu’à 2 heures du matin si ça me chante, sans qu’on me parle de déconnexion obligatoire. Je ne suis jamais déconnecté d’ailleurs. C’est un prolongement de moi-même…

Voilà un sujet aussi sur lequel il y a un gouffre entre nous. Tu me reproches d’être toujours sur les écrans mais tu es pourtant ravi que je maîtrise les arcanes des réseaux sociaux et des IA génératives. Faudrait savoir…

Je n’ambitionne pas forcément de monter tous les échelons de ton entreprise et gagner un salaire à 5 chiffres ! Faut être réaliste dans la vie. Quelle chance que cela arrive ?! C’est bien de rêver mais il faut avoir les pieds sur terre. Je ne sais pas si tu le sais ça aussi, mais depuis 1945, c’est la première fois que le travail pour la génération d’actifs actuelle ne permet plus de changer le niveau de vie. Le niveau de vie continue d’augmenter mais tellement doucement que le sentiment d’élévation, de progrès et d’ascension sociale qui toi t’animait ne signifie pas grand-chose pour moi. Et la volatilité des salaires entre le début de vie active et de fin est extrêmement faible pour les salaires médians. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le PR*!

Je me souviens de mes cours de Philo pas si lointains et pour reprendre un concept Rousseauiste : À quoi bon passer ma vie à la gagner ? À quoi servent mes efforts ?

Profiter du temps dont on dispose dès la première heure, c’est le meilleur chemin pour être à peu près heureux. Et puis c’est peut-être mieux pour la planète, non ?

Tu devrais y réfléchir… même si je peux comprendre que je t’énerve à réagir ainsi, toi qui te bats pour remplir tes objectifs et/ou faire fructifier ton entreprise.

[L’entreprise, un tremplin plus qu’une fin en soi]

J’ose espérer que mon argumentaire te fait comprendre que tu m’intéresseras davantage le jour où tu me parleras de « projet de vie » plus que d’ « évolution de carrière ». Je ne suis pas, comme beaucoup de jeunes nés après 1993, attachés à l’entreprise. Tu dois m’en vouloir mais pourquoi tant d’attachement à l’entreprise ? Ta génération et celle de mes parents et amis de mes parents m’amusent beaucoup à encenser les organisations pour lesquelles elles travaillent, tout en les conspuant. Y’a pas un peu d’hypocrisie là-dedans ?

Moi, j’imagine difficilement travailler pour une entreprise qui ne correspond pas à mes valeurs. Pour moi, il est là le choix. Et le jour où j’estime que mon salaire ou mon poste ne me correspondent plus, je m’en vais si tu ne peux pas renchérir. Je ne vois pas en quoi c’est dramatique. Nous ne sommes pas mariés ! Un projet de vie, ça transcende l’entreprise.

Malgré tout, je conviens que je ne sais pas encore tout. Peut-être que je me trompe…

Aurais-je les mêmes aspirations en pleine crise économique, avec un taux de chômage à 12% ? Peut-être pas… je ne sais pas.

Je vais grandir, connaître de nouvelles responsabilités, créer mon entreprise et faire partie de la Start-up Nation, … peut-être te comprendrais-je un peu mieux et toi pareillement.

Mais pour le moment, je campe sur mes positions… alors accepte les au moins pendant un temps.

Ton futur (ex) employé »

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Sur ces quelques mots, je tiens premièrement à rassurer les jeunes lecteurs qui ne se reconnaissent absolument pas dans cette lettre. C’est normal… tendance ne veut pas dire unanimité.

Deuxièmement, je suis moi-même de la génération Y. Vous en comprendrez ce qui vous plaît…

Troisièmement, il paraît que nous sommes toujours la génération ratée de la précédente. Alors chers chefs d’entreprise et toutes les générations avant Z, profitez encore un peu de votre retour de vacances, criez dans la nature, ça va passer…