Notre chroniqueur invité Frédéric Bardeau, détaille à quel point l’IA générative change la donne pour les interfaces auxquelles nous sommes habitués au quotidien. Alors, les « incantations bravaches » sur l’usage général, peuvent-elles se traduire en réalité au bureau ?
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Pionnier de l’IA à Stanford, Andrew Ng, également cofondateur de Coursera et de DeepLearning.Ai, compare l’IA à la “nouvelle électricité”, tandis que d’autres affirment que “GPT is a GPT”. (ChatGPT est une “General Purpose Technology”, une technologie à usage général). Derrière ces formules choc qui pourraient sembler être des boutades ou des incantations bravaches, se cache une réalité incontestable : l’intelligence artificielle est multitâche, multi-contexte, pervasive et ubiquitaire. Une technologie “enabler”, un levier de démultiplication de forces (“empowerment”) comparable à un “exosquelette pour l’esprit” (Jules White de l’Université Vanderbilt aux États-Unis), un ensemble de “collègues digitaux” qui travaillent pour vous, une “boîte à outils” ; les métaphores et les analogies abondent pour décrire les “super pouvoirs” qu’apporte l’IA, et surtout ceux qui sont directement liés à la dernière vague de solutions d’IA dites “génératives”.
Des barrières à l’entrée, mais…
Mais ce qui est, à mon avis, le plus intéressant, ce n’est pas la nature même ou les degrés supplémentaires apportés par ces “super pouvoirs”, c’est leur caractère accessible et universel qui découle directement du fait que leur “interface femme/homme-machine” (IFHM) repose sur le langage naturel. C’est cela qui change tout et qui est inédit. L’humanité s’est dotée de langages et de langues pour communiquer, acquérir et stocker des connaissances, développer des compétences, de la science, des techniques et s’outiller ainsi d’une interface puissante avec le monde, la conscience, les autres. Depuis l’origine de l’informatique et jusqu’à présent, les IFHM se sont sophistiquées mais jamais à ce point. Après les panneaux de commande physiques avec des câbles et des interrupteurs, les interfaces en ligne de commande (CLI), puis les interfaces graphiques (GUI) ont apporté une accessibilité énorme et ont transformé les ordinateurs en outils personnels pour toutes et tous. Puis Internet, le Web, la reconnaissance vocale, le Cloud, les interfaces spatiales (AR, VR, MR) ont également largement contribué à rendre l’information, la communication, le stockage, la puissance de calcul, les interactions plus fluides. Mais il restait des limites importantes à l’usage de certaines fonctionnalités, à la compréhension de certains processus et la nécessité de disposer de compétences de base ou d’un support “technique” rendait inaccessible beaucoup de “super pouvoirs” à la plupart des personnes.
Cette époque est désormais révolue. Non pas qu’il ne reste pas des problématiques clés de fractures numériques et que les outils d’IA génératives apportent des solutions magiques et universelles à toutes les personnes qui voudraient s’en saisir. Bien sûr qu’il reste des barrières à l’entrée : il faut être connecté, équipé, formé à l’usage des matériels et des logiciels de base, disposer de compétences (littératie et numératie), etc. Mais il est incontestable que la capacité à agir et l’autonomie des utilisateurs et des utilisatrices de solutions d’IA génératives sont désormais démultipliées par l’accessibilité à travers du langage naturel et la multimodalité de services comme ChatGPT, Gemini, Copilot et consorts. Et ce n’est que le début : l’interrogation au clavier et à la voix, déjà très performante dans un grand nombre de langues et de dispositifs (mobiles, tablettes, ordinateurs, objets connectés, etc.), va s’améliorer encore. La nécessité de disposer de solides bases pour donner des instructions claires et opératoires à ces modèles (pensée algorithmique, prompt engineering) va s’estomper au fur et à mesure que les systèmes d’IA vont nous “accoucher” de nos besoins et nous aider à les formuler correctement pour les exécuter. C’est une perspective d’autant plus réjouissante que pour la première fois dans l’histoire, elle est nativement inclusive, multilingue et universelle. Wikipédia était déjà une étape décisive dans l’accès aux connaissances, leur partage, leur mise à jour, etc.
… des « super pouvoirs » largement disponibles
Quelle nouvelle étape incroyable et quelles perspectives de démocratisation de l’accès et de l’usage des machines, de leurs capacités et de cas d’usages personnels, professionnels, créatifs s’ouvrent aujourd’hui grâce au langage, à la voix, au texte… Grâce aux IA génératives, je suis devenu un peu graphiste, un peu développeur, un peu analyste de données, j’ai accès à énormément d’informations car les modèles sont couplés avec des moteurs de recherche, avec Wikipédia, des bases de données scientifiques, des services tiers. L’État, les ONG, les entreprises vont proposer des modalités plus naturelles et fluides pour accéder à leurs informations, leurs produits et leurs services. Qu’on soit illettré ou analphabète, quelle que soit la langue que l’on parle, quel que soit son handicap, son identité, son âge (“Apprend-moi l’informatique quantique comme si j’avais 12 ans”) nous allons pouvoir disposer, enfin, de tous ces “super pouvoirs”. Plus besoin d’avoir un “geek” sous la main et d’en dépendre, plus besoin de cherche un tutoriel puisque l’outil est son propre “tuto”, plus besoin de demander à un homme quand on est une femme en difficulté avec un usage, les chemins sont de nouveaux ouverts, il ne reste plus qu’à les arpenter.
La littérature scientifique démontre déjà que ces technologies sont accessibles et universelles et qu’elles bénéficient davantage aux personnes fragiles et peu qualifiées qu’aux personnes déjà dotées fortement en compétences et en capital culturel et financier. L’intégration de ces IFHM en langage naturel à d’autres interfaces spatiales ouvrira encore plus de possibilités. En dehors d’usages médicaux spécifiques pour certaines personnes, je n’ai personnellement pas besoin ni envie de voir se développer des implants de puces dans les cerveaux pour ouvrir de nouvelles possibilités d’interfaces cerveau-machine : le décodage de mes ondes cérébrales suffira et en attendant l’interface par la pensée, j’ai bien assez de possibilités car j’ai désormais accès aux machines par le langage naturel.