Quelles modifications nos environnements de travail vont-ils connaître, alors que l’intelligence artificielle commence à imprégner tous les aspects du quotidien ? Fujitsu, groupe japonais spécialisé dans les services et produits informatiques et électroniques, s’est récemment posé la question dans le cadre de sa propre transformation. Benjamin Revcolevschi, directeur général pour la France détaille les axes de cette réflexion.
| Cet article fait partie du dossier « L’Humain : Clé et verrou de la transformation »
Alliancy. L’évolution des environnements de travail est-elle avant tout un sujet technologique ou organisationnel pour vous ?
Benjamin Revcolevschi. Quand on étudie la transformation des organisations au global, on en revient toujours à un moment donné sur l’influence de l’espace de travail lui-même. La différence est qu’il y a 10 ans on abordait beaucoup la question par l’angle technologique avec le déploiement de nouveaux terminaux, de connectivité… Maintenant, on prend beaucoup mieux en compte l’impact des nouveaux modes de travail, de nouvelles formes d’organisation – notamment plus horizontales – sur le lieu de travail. Cela ne veut cependant pas dire que la technologie n’est plus un sujet ! Elle est aujourd’hui omniprésente pour former le « digital workplace ». L’intelligence artificielle notamment se diffuse partout – qu’on la voit ou non. Dans moins d’une décennie, elle va métamorphoser notre quotidien au bureau. Nous l’avons constaté chez Fujitsu et nous voulons depuis quelques années anticiper au mieux ces changements pour nous, et pour nos clients.
En quoi l’intelligence artificielle affecte-t-elle l’environnement de travail des collaborateurs ?
Benjamin Revcolevschi. Nous avons mené deux études avec le cabinet Pierre Audoin Consultant sur le sujet*, qui font apparaître que ses effets sont perçus à de très nombreux niveaux. 83% des entreprises interrogées voient déjà l’IA comme un changement majeur au niveau des compétences dont l’entreprise va avoir besoin dans les 3 prochaines années. Il va falloir des spécialistes bien sûr, mais les entreprises attendent aussi des évolutions dans la formation des métiers eux-mêmes. Elles y voient également un enjeu d’attractivité et de fidélisation des talents. L’IA va aussi aider à la décision RH.
Un exemple ?
Benjamin Revcolevschi. Chez Fujitsu, nous expérimentons des outils qui s’appuient sur l’intelligence artificielle pour permettre de mieux composer les équipes qui vont travailler sur différents projets. Qu’est-ce qui va être le plus efficace pour réussir une vente ? Comment doit-on optimiser la composition de l’équipe en termes de compétences, d’expériences ? L’intelligence artificielle permet de faire apparaître de nouvelles complémentarités et synergies entre les individus sur lesquelles s’appuyer, même si actuellement nous n’en sommes qu’aux prémices.
Et pour l’espace de travail, en tant que lieu ?
Benjamin Revcolevschi. Sur la forme de l’espace de travail comme sur la façon dont les organisations s’y adaptent, on note l’émergence d’une capacité d’analyse des données – factuelles et comportementales – pour améliorer l’organisation de l’entreprise. Ce sont 70% des entreprises que nous avons interrogées qui préparent des évolutions rapides, sous deux ans, sur les « corporates policies » relatives à l’espace de travail digital notamment. Du point de vue de l’employé, ce ne sont pas forcément des changements majeurs qui vont tout modifier du jour au lendemain sur la façon de travailler au bureau, mais plutôt des évolutions par petites touches. Le premier axe de changement est l’automatisation grandissante des tâches elles-mêmes, quelle que soit notre profession, qui va améliorer la productivité. Si on estime que 20 à 30% du temps des salariés peut être libéré, cela signifie qu’une journée de travail va se dérouler au final complètement différemment. Ensuite, l’intelligence artificielle a un impact en tant que support des usages numériques du quotidien.
Comment cela ?
Benjamin Revcolevschi. Il devient possible de mieux centraliser et animer tous les supports dont ont besoin les salariés en rendant enfin pertinent un « portail de vie numérique » pour le salarié, qui intégrera support informatique, support RH, etc. En complément, l’intelligence artificielle va permettre de démocratiser efficacement à grande échelle la biométrie. Cela veut dire que sur le lieu de travail, la façon de penser les « accès », aux lieux comme à l’information, va changer, à travers une gestion plus fluide des identités, mais aussi des aspects très visibles comme la reconnaissance faciale, etc. En termes de ressenti, cela va être l’un des aspects du changement le plus visible pour beaucoup de salariés. Le secteur financier est en avance sur le sujet, les autres entreprises peuvent s’inspirer de ce qui s’y fait.
L’IA est-elle compatible avec la philosophie de nombreux nouveaux modes de travail, qui parient sur plus d’horizontalité des hiérarchies et d’autonomie des collaborateurs ?
Benjamin Revcolevschi. Que ce soit avec ou sans contrôle vocal, les assistants personnels et les agents virtuels vont se multiplier. On le voit sur les marchés grand public et on sait que les logiques de consumérisation IT dans les entreprises vont les faire se diffuser directement dans les espaces professionnels. Tout comme le « self care » rend un client plus autonome dans son parcours, ces usages d’IA vont rendre le salarié plus autonome dans son quotidien.
Comment les entreprises peuvent-elles accompagner au mieux l’adoption de ces nouveaux usages en leur sein ?
Benjamin Revcolevschi. En ne partant surtout pas d’une réflexion technologique ! Comme je l’évoquais, celle-ci est de nature à être la plus transparente possible. Donc la question numéro un à laquelle il faut répondre est plutôt la définition de l’ambition de l’entreprise en matière de compétences et d’organisation : qui vont être vos acteurs du changement en interne pour votre environnement de travail ? Aller vers plus d’horizontalité est un vrai cap à passer, qui aura une conséquence sur la forme du lieu de travail. Mais cela veut dire prendre le temps de repenser les équipes, l’organisation, l’ouverture vers le client. Comme on l’a vu, à chaque fois, l’IA va changer la donne – mais il ne faut pas inverser les priorités.
* “Workplace 2025 – What will an effective workplace strategy look like when millennials control the boardroom, AI goes mainstream and the traditional office disappears ?” (PAC/Fujitsu – Août 2017) et “Workplace 2025 : The CXO view – How are business and technology leaders laying the foundations for the future digital workplace?” (PAC/Fujistu – Novembre 2017)