Innover, collaborer et échanger efficacement : trois façons de créer un avantage compétitif à l’heure où les flux immatériels deviennent plus importants que les actifs.
Récemment, le cabinet Kéa & Partners, en partenariat avec la DGE et l’Observatoire de l’Immatériel, organisait une conférence sur la valorisation des biens immatériels de l’entreprise, qu’elle possède parfois sans même le réaliser. Pourtant, à l’heure de la transformation numérique à marche forcée, cet ensemble de ressources permet d’ouvrir les yeux sur son « patrimoine » en se réappropriant l’histoire de l’entreprise pour mieux préparer le futur ; redonner du sens à sa stratégie et faire émerger une nouvelle discipline.
Alors, quelles sont les clés de succès ? Avoir l’esprit pionnier… L’interdisciplinarité… et l’expérimentation (test & learn, droit à l’échec…), listent les experts présents, rappelant que « La France sous-investit dans ses actifs immatériels, tel un réseau de distribution international, le design…, par rapport à l’Allemagne. L’investissement ne s’appliquerait donc pas au bon endroit !
De fait, la chaîne de valeur se déforme et va davantage vers la conception, la stratégie de marques et la distribution. De même, les actifs immatériels des individus deviennent cruciaux.
Pour illustrer ces problématiques, trois personnalités étaient invitées : André Gorius, directeur intellectual Assets Valorization chez Solvay (chimie) ; Emery Jacquillat, PDG de Camif-Matelsom ; Et Alain Prost, ex-PDG de Maison Lejaby et La Perla.
« Chez Solvay, nous avons pris conscience que l’immatériel est un vrai capital. Nous mesurons régulièrement le taux d’engagement de nos 30 000 collaborateurs. La dernière enquête a eu lieu l’an dernier. En fonction des résultats, un certain nombre d’actions sont mises en œuvre (formations, mises en réseau…). C’est un des indicateurs qui nous suivons très précisément, explique André Gorius. On regarde aussi vers l’extérieur : on sait caractériser un certain nombre d’actifs, par exemple la création de valeur en matière responsable et durable. Les idées viennent autant des chercheurs, des opérateurs que des clients… L’alimentation de ce pipe vient de l’immatériel et le client est au centre des discussions. Nos business units sont globales et autonomes, dans un mode collaboratif interne et externe. L’open innovation, ce n’est pas un mot, mais une politique globale. »
Chez Maison Lejaby, en difficultés lourdes lors de la reprise, Alain Prost reconnaît que l’entreprise possédait un véritable savoir-faire : « L’innovation, le progrès… avaient toujours été son credo. Il fallait le réveiller pour s’en sortir. On a monté un projet de marque, redonner une vision, du rêve… On a pris le temps de faire ce travail en profondeur avec l’équipe. Ce fût le premier moment de fédération de tout le personnel pour aboutir à un projet qui concernait toute l’entreprise de façon ensuite à monter un business plan chiffré, développer une nouvelle communication interne, puis externe ».
Après huit plans sociaux consécutifs, derrière chaque personne, il y avait beaucoup de peurs psychologiques, de blocages qu’il a fallu atténuer au fur à mesure. « Il fallait redonner confiance ! », explique le dirigeant, face à un personnel très « disparate » : « Avec d’un côté, les anciens issus d’une entreprise française et paternaliste ; ceux qui avaient été embauché par les Américains, puis ceux embauchés par les investisseurs… » Tous ces aspects immatériels lourds étaient passés au travers de sa vision lors de la reprise.
La fusion de ces populations se fera autour d’une problématique spécifique : « On a lancé un nouveau produit Made in France, très haut de gamme, qui a été un vrai succès. Ceci a redonné de la confiance. On a ouvert une boutique à Paris et on a travaillé sur de nouveaux matériaux avec les fabricants. L’innovation, vers le premium et le luxe, a été le fil rouge de la relance. On a créé des cercles de discussion dans les services, puis interservices. Chacun est venu avec ses idées pour redonner vie à la société. Les gens se sont remis à communiquer. La difficulté par la suite a été d’entretenir ce lien. »
Qualité, made in France, fabrication durable !
A la Camif-Matelsom, Emery Jacquillat qui avait repris à la fois la marque et sa base client en 2008, est également parti sur l’héritage des valeurs, et a relancé la Camif sur internet… Cette fois également, la difficulté a été de « redonner confiance » aux fournisseurs, aux salariés, au territoire… « On a inscrit au cœur du projet une étude d’impact sur nos clients, nos actionnaires, les fournisseurs et fabricants français », explique-t-il.
Le modèle d’impact construit a permis d’avoir le soutien de toutes les parties prenantes. La société a ensuite pu compter sur ses clients et fournisseurs et le soutien du territoire… « Pour créer notre centre de relation client et l’entrepôt logistique, nous avons obtenu l’appui financier de la région. »
La proposition de valeur est affichée : il s’agissait de trouver un modèle qui fasse sens par rapport aux clients historiques et sur les « biens de la maison » de qualité. « Nous sommes allés chercher près de chez nous des produits de qualité. Cette démarche a été gagnante ! », raconte Emery Jacquillat. Sur le site, on peut aujourd’hui localiser les fabricants sur une carte de France et choisir la proximité. A tel point, qu’avec les clients et les collaborateurs, le patron fait régulièrement le Tour de France de ses fabricants… Des vidéos que l’on retrouve sur le site dans la rubrique « Les coulisses de la fabrication française ».
En parallèle, un processus d’innovation ouverte (open innovation) est mis en place en 2014 : encore une fois clients, collaborateurs et fournisseurs travaillent ensemble sur les produits de demain. Ainsi est né le « Cinlou », le 1er bureau connecté fabriqué en France. « C’est devenu le best-seller du rayon « bureau » de la Camif », précise le dirigeant.
Aujourd’hui, le site internet compte 300 000 clients actifs, y compris les « seniors ». Désormais, l’entreprise cherche à enrichir le parcours client. C’est pourquoi a été mis en place « la Camif près de chez vous », soit la mise en relation des clients entre eux. Vous voulez tester le canapé de votre voisin acheté à la Camif ? Allez-y !
En parallèle, la Camif-Matelsom a opté pour B Corps, une certification destinée aux entreprises qui mettent « l’efficacité de l’entreprise privée au service de la résolution d’enjeux sociétaux ». Et Emery Jacquillat compte même inscrire prochainement dans les statuts de l’entreprise « l’objet social étendu », qui concernera notamment la consommation plus responsable et la production locale. L’idée est que le consommateur devienne acteur en « changeant le monde de l’intérieur. L’entreprise aussi peut être un puissant levier de transformation de la société ! » conclut-il. La Camif Matelsom est depuis quelques années une entreprise rentable.
Les « mots » de l’immatériel* : pour mieux s’en saisir
Complexe, théorique, abstrait… Mais de quoi parle-t-on quand on parle de biens immatériels dans l’entreprise ? C’est le but de cette étude qui vise à aider l’appropriation de cette sémantique par les dirigeants. 300 personnes ont été interrogées sur deux points : définir ce que sont les actifs immatériels de façon à évaluer ces champs sémantiques de l’immatériel aujourd’hui et établir des recommandations pour les acteurs de l’écosystème (vulgarisation, cohérence des termes, appropriation de cette sémantique) pour une meilleure prise en compte de ces actifs immatériels (soit le capital humain, le savoir-faire, la créativité, les relations avec l’écosystème, le bien-être au travail, la relation client, le management, la marque, la propriété intellectuelle, la réputation, l’innovation, la stratégie…).
* Rapport téléchargeable sur le site de l’Observatoire de l’immatériel
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