Louis Goffaux, DSI de l’ETI industrielle Labeyrie Fine Foods, qui compte 4500 collaborateurs sur une vingtaine de sites, partage ses chantiers pour l’année à venir et revient sur les principales tendances de la transformation cloud de son organisation.
Louis Goffaux interviendra lors de la keynote d’ouverture animée par Alliancy du IBM Virtual Cloud Forum le 3 février.
Alliancy. Comment ont évolué vos convictions sur le cloud depuis vos premiers projets ?
Louis Goffaux. L’histoire du cloud a démarré pour nous dès 2012, sur des sujets bureautiques, que l’on a appelé plus tard collaboratifs. Il nous a fallu quand même prendre un peu de temps pour étudier ce que cela impliquait, notamment face aux problématiques de maîtrise des infrastructures. A partir de cette première expérience, s’est posée la question de toutes les autres applications non critiques, de la paie jusqu’à la gestion des temps, en passant par les notes de frais, qui pouvaient passer par le SaaS. Cela n’a pas été trop difficile pour tous les sujets qui n’étaient pas synchrones avec le système d’information opérationnel, c’est-à-dire celui de notre activité industrielle.
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Depuis 2016, nous nous sommes posé la question des infrastructures elles-mêmes, avec des interrogations importantes sur le réseau et la téléphonie. La maîtrise de ces sujets est extrêmement importante pour nos usines. Nous avons donc mené une démarche d’harmonisation et de simplification, à travers des sujets comme la bascule VoIP et un annuaire unique multi pays. Nous avons élargi ensuite cette approche de simplification à toutes les infrastructures en nous appuyant sur la virtualisation. De manière générale, notre conviction a systématiquement été de simplifier la gouvernance de l’entreprise en parallèle de notre transformation cloud.
Quels sont vos plus gros chantiers 2021 ?
Louis Goffaux. Ma priorité 2021 reste l’enjeu majeur d’acculturation plus large des utilisateurs à la culture informatique et à la culture de la donnée. Nous savons que tout ce qui va permettre d’améliorer la qualité des données et des processus, de sortir de l’effet « boite noire » de l’IT, va peser dans nos réussites futures. Ce n’est pas parce que les générations les plus jeunes sont nées avec des outils numériques entre les mains qu’elles comprennent vraiment comme ceux-ci fonctionnent. Ils sont à l’aise avec l’usage, mais pas avec le détail de ce qu’implique ces capacités numériques. Dans une entreprise, cela pose problème car la donnée est aujourd’hui tout aussi importante que la qualité intrinsèque d’un produit. Il faut pouvoir transmettre l’information efficacement, en interne comme aux clients, à tous les niveaux. Et trop de collaborateurs ne comprennent pas le rôle du système d’information dans l’équation.
En la matière, le cloud est un argument à double tranchant. Son effet positif est que la donnée est facilement disponible de partout, mais en retour, il dispense aussi trop souvent de chercher à bien comprendre comment il fonctionne et les conséquences que cela peut avoir. En tant que DSI, quand on échange avec le Comex cela peut être un point fort d’incompréhension, avec un décalage qui existe entre la perception des usages et la perception « hardware » traditionnelle.
Et en termes de chantiers technologiques ?
Louis Goffaux. Aujourd’hui, nous avons un important sujet sur l’ERP, que nous allons achever d’ici deux mois. Nous ne voulions pas changer les fondamentaux de notre architecture pour cet ERP Oracle, et nous avons donc choisi de mener un déploiement en cloud privé avec IBM. De manière plus générale, les gros dossiers 2021 sont liés à nos schémas de simplification juridique et opérationnelle. Si l’on résume, nous voulons aller clairement vers plus d’excellence opérationnelle et gagner en rapidité et en productivité… Ce sont des projets de transformations industrielles, avec notamment un mouvement vers l’IoT et une montée en gamme dans nos usines. Nous avons pu voir, en matière d’excellence opérationnelle, l’effet de nos choix cloud passés dès le début de la crise sanitaire. Nos call centers ont ainsi pu basculer dans un fonctionnement à distance en moins de 3 heures pour servir les équipes commerciales notamment.
Par ailleurs, nous avons toujours de nombreux enjeux de mobilité sur toute la France, avec plus de 500 personnes en perpétuel déplacement dans nos équipes, et cela a aussi été adressé par le cloud pour plus de souplesse dans les usages et d’efficacité au quotidien. Sur ce sujet de l’excellence opérationnelle, notre regard se tourne aussi vers les applications qui sont utilisées dans nos usines. C’est un chantier important car nous avons des problématiques de latence, notamment. Comment la réduire, sans avoir des bandes passantes énormes et sans faire croitre le réseau ? Ce sujet devient critique aujourd’hui dans notre transformation cloud. Cela n’a rien de comparable de traiter les données d’un ERP avec la volumétrie impliquée par le pilotage de machines-outils.
Quel regard portez-vous sur les tendances « edge computing » qui accompagnent la transformation cloud ?
Louis Goffaux. Dans le monde agroalimentaire, on commence à voir des projets intéressants. C’est normal car dans ce secteur d’activité nous sommes souvent organisés en sites très éclatés éloignés des grandes zones urbaines, avec beaucoup d’enjeux de réseaux et d’harmonisation. Nous estimons qu’un cap va être franchi sans doute en 2021 ou 2022 dans la prise en main de ces technologies… Cependant, nous allons rester prudents car ces tendances ont un impact direct sur le système d’expédition, les lignes de production, les opérations… Elles touchent le cœur de notre activité et de nos revenus. En ce sens, nous recherchons plus que jamais des références clients pour échanger. Nous sommes une ETI industrielle, nous essayons donc d’être à la fois dans une bonne logique d’innovation, mais nous ne voulons pas « essuyer les plâtres ». Sur de tels sujets, nous demandons donc à voir in situ ce qu’il est vraiment possible de faire. Pas question de se limiter à des présentations par slides.
Quelles sont les autres tendances que vous surveillez et qui pourraient avoir un impact sur votre stratégie cloud ?
Louis Goffaux. Nous sommes en veille permanente. Il y a des sujets qui ne peuvent pas être ignorés en matière de stratégie cloud. Sur la sécurité par exemple, nous investissons énormément sur la partie technique. C’est le nerf de la guerre, cette maitrise de la sécurité. Mais de manière générale, la tendance actuelle reste que les grands opérateurs de cloud ont acquis la bonne maturité pour proposer des niveaux de sécurité qui sont très satisfaisants. Cela a un prix toutefois et il faut savoir s’y retrouver parmi leurs options, pour définir celles qui sont essentielles pour l’entreprise par rapport à d’autres, en ayant une gestion fine du risque.
Existe-t-il des sujets ou des promesses dont vous ne voulez plus entendre parler ?
Louis Goffaux. Je reste pragmatique. Je n’écoute pas toutes les promesses qui me disent que demain tout fonctionnera parfaitement et que le cloud va complètement transformer l’entreprise en claquant des doigts. C’est un équilibre à trouver entre prudence et innovation, dans la façon d’utiliser les nouveautés annoncées par les opérateurs. Les plus grands d’entre eux proposent des offres qui sont industrialisées, qui tiennent la route et qui servent bien au quotidien. Cela n’empêche pas de regarder du côté des petits acteurs très innovants sur des sujets de spécialité : nous l’avons par exemple fait pour notre système de réseau. Cela permet souvent d’avoir un très bon rapport qualité-prix et de garder le lien avec de nouvelles idées.
Au final, j’aimerais surtout ne plus avoir besoin de revenir sur les problématiques d’opacité des prix. On regrette encore et toujours qu’il n’y ait pas une plus grande lisibilité. C’est devenu tout aussi difficile de s’y retrouver dans le cloud aujourd’hui qu’avec les pires exemples du on-premise d’antan. Pourtant, dans notre modèle de coût, cela fait plusieurs années que nous pilotons le budget de la DSI sur un modèle de refacturation interne à la consommation. Le cloud est donc venu s’intégrer assez naturellement avec ce fonctionnement bien approprié à notre évolution rapide avec des acquisitions presque tous les ans et des réorganisations régulières pour s’adapter en permanence au marché. Il n’y a donc pas eu de choc budgétaire sur cette transformation.