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Malgré les tensions, les licornes rêvent leur rentabilité à l’international 

[Série Risques & International 2/5] Alors qu’une baisse des financements a été observée dans la tech et dans un contexte de tensions internationales autour des réglementations numériques, les licornes visent la rentabilité. Elles n’en oublient pas pour autant de s’implanter à l’étranger pour devenir des leaders mondiaux. 

Depuis New York, Frédéric Viet lance : « Nous souhaitons accélérer le développement aux États-Unis, d’où mon récent déménagement ». Le directeur des ventes de la licorne Aircall, fournisseur de solutions de téléphonie d’entreprise sur le cloud, se félicite de la position dominante de son entreprise en Europe et souhaite en faire autant outre-Atlantique. Une expansion internationale que poursuivent les licornes françaises malgré un contexte international défavorable, entre tensions géopolitiques, y compris sur le numérique, et baisse des investissements. Selon le baromètre de Tikehau Capital, une chute des montants des levées de fonds de près de 34 % a été observée en 2023 sur une large zone Europe et USA. 

Maintenir ses ambitions malgré tout. 

En manque de moyens pour investir, certaines licornes parties à l’étranger ont dû réduire la voilure. C’est notamment le cas de Back Market, contrainte de se séparer de 13 % de ses effectifs en début d’année 2023 pour viser la rentabilité. Pourtant, la même année, la jeune entreprise spécialisée dans le reconditionnement a tout de même étendu ses produits à l’international, notamment aux USA, et en début 2024 en Europe, avec le déploiement d’une offre d’assurance. La rentabilité, très observée dorénavant par les investisseurs pour dépasser “l’effet valorisation” des licornes, est également l’objectif de Payfit. Pour la viser, cette autre pépite tricolore a décidé de diminuer ses effectifs espagnols de 20 % sur les fonctions commerciales. 

« En raison de la baisse des montants levés dans la tech, nous devons adapter notre stratégie : grandir moins vite, se rapprocher de la rentabilité en brûlant moins d’argent », indique Firmin Zocchetto, CEO de Payfit. C’est en raison de cette stratégie que l’entreprise a décidé de quitter l’Allemagne en début d’année passée. Un changement de réglementation entre les éditeurs de logiciels de paye et les organismes sociaux allemands nécessitait de forts investissements. « Dans ce contexte de recentrage, nous ne les avons pas faits », assure le CEO. Un choix contraint : « Je ne regrette pas cette décision mais j’espère que dans un an et demi, je vous dirai le contraire », confie-t-il encore. Le CEO souhaite bien reprendre un développement européen malgré le contexte de tension. 

Un développement international “in vitro” 

Car comment devenir un véritable leader sans s’étendre au-delà de ses frontières d’origine ? Nombre de dirigeants de start-up ne l’imaginent pas et préparent leur développement international dès leur création. « On a une ambition internationale depuis nos débuts il y a 10 ans », indique le CSO d’Aircall. « Nous avons ouvert à Paris et nous avons très vite été aussi aux USA ». C’est également le cas de Yousign, qui propose des solutions sécurisées de signature électronique. Cette start-up fondée il y a une dizaine d’années n’a pas encore l’envergure d’une licorne mais pense au-delà des frontières pour devenir comme ses grandes sœurs. « Nous avons commencé en France mais dès le début, nous avions pour objectif d’adresser l’Union européenne », assure Lucie Greiveldinger, chief of staff et membre du comité exécutif. Aujourd’hui, Yousign est présente en Italie et en Allemagne.  

Sur certains secteurs d’activité souvent liés aux administrations comme la paye ou les signatures électroniques, les réglementations sont particulièrement contraignantes et induisent un développement sans précipitation. « Nous sommes contraints par le règlement eIDAS (services électroniques d’identification, d’authentification et de confiance) », indique ainsi Lucie Greiveldinger. Bien que certains pays connaissent des spécificités, cette réglementation identique sur l’ensemble du vieux continent permet aussi de se projeter plus facilement. Ce n’est pas le cas pour Payfit. « Les solutions de paye sont différentes dans tous les pays », indique Firmin Zocchetto. « Il faut à chaque fois reconstruire notre produit de zéro. Il ne suffit pas uniquement de traduire la langue ». 

Une localisation pour s’affranchir de certains risques. 

Pour s’adapter au mieux aux spécificités de chaque pays, Payfit a ainsi choisi d’ouvrir des antennes locales au sein même des pays dans lesquels l’entreprise commerçait : le Royaume-Uni et l’Espagne. Une implantation locale peut en ce sens permettre de se protéger de certains événements géopolitiques d’ampleur. « En 2016, le Brexit n’a pas eu d’impact sur nous. Et ensuite, l’accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni n’a pas eu d’impact sur nos produits », confie Firmin Zocchetto. « Le plus gros changement a été la nécessité d’avoir un passeport pour y aller », ironise-t-il. 

« On est toujours parti du principe qu’on devait observer le marché local et travailler étroitement avec les régulateurs », explique le CSO d’Aircall, Frédéric Viet, qui observe les discussions existantes entre l’UE et les USA sans grande inquiétude. « Nous sommes considérés comme des locaux là-bas », poursuit-il. La licorne a également fait le choix d’un stockage local de ses données mais chez un seul et même acteur : AWS. Mais selon l’évolution des réglementations sur le cloud et la gestion des données, en Europe, l’implantation locale pourrait bientôt s’avérer insuffisante. Les entreprises en développement international subiraient alors les nouvelles contraintes de devoir solliciter aussi des acteurs européens du cloud.  

« Cela supposerait de l’investissement supplémentaire et moins de liberté », redoute Firmin Zocchetto, CEO de Payfit, qui utilise comme Aircall, des solutions AWS en Europe. Un risque qui devrait épargner dans une certaine mesure les acteurs aux activités moins sensibles. Surtout, ces préoccupations rappellent à quel point les jeunes entreprises en croissance à l’international souhaitent pouvoir anticiper les changements réglementaires d’ampleur, alors qu’elles visent avant tout dorénavant rentabilité et revenu annuel récurrent.  

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