La libération de la parole critique des salarié.e.s de startup sur les réseaux sociaux affecte durement l’image du management de l’innovation et plaide en faveur de plus de vigilance dans les recrutements managériaux. Le manque de sélectivité dans le choix des profils est-il seul responsable d’attitudes rétrogrades incompatibles avec les besoins de l’entreprise actuelle ? Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement du digital et de l’IT, nous livre son analyse.
Il est difficile de mesurer objectivement si les entreprises de petite taille comme les startups sont plus sujettes à des phénomènes de management toxique que d’autres organisations ou bien si simplement — et parce qu’elles génèrent plus de fantasmes — les déboires et déceptions de leurs collaborateurs sont plus largement relayés que ceux qui adviennent dans d’autres types d’entreprises.
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En cela, le récent phénomène Instagram #balancetastartup (qui dénonce management toxique, harcèlement et discriminations dans les jeunes pousses) ne doit pas occulter le fait que les mauvaises pratiques ne sont pas l’apanage des petites structures ; plus pertinent encore est le signal envoyé qui met en lumière le décalage entre le modèle de management exercé et les exigences réelles de l’innovation entrepreneuriale.
Quel management pour l’innovation ?
Management flou ou malsain, objectifs non atteignables, ego surdimensionné, arrogance, propos sexistes et racistes, mensonges, harcèlement, etc., les attitudes du manager sont au centre des dénonciations relayées par #balancetastartup. De fait, les divers témoignages laissent entrevoir une figure caricaturale de « chef » aux comportements à la fois en contradiction avec un grand déballage de valeurs (de contribution à un monde meilleur, etc.) et avec son modèle organisationnel (celui d’une startup faiblement hiérarchisée). Nous sommes ici bien loin de la logique collaborative et co-créatrice que réclame aujourd’hui le bon fonctionnement d’une entreprise innovante. À qui la faute ? Aux entreprises et à leur communication ? Aux chasseurs de talents ? Aux candidats en quête d’un fantasme de conditions de travail ? Ou bien tout simplement à la persistance de rapports de pouvoir incompatibles avec les attentes actuelles d’engagement des salarié·e·s dans l’entreprise du XXIème siècle ? Ces questions ne peuvent être éludées en cette période de transformation des modalités du travail car elles concernent toutes les organisations.
Le « mythe startup » en cause ?
Loin d’être toutes sujettes à « sucess story » les startups sont des entités temporaires, en quête d’un modèle économique stable et donc soumises à une forte pression, en accélération constante ; les managers y sont généralement des fondateurs (ou bien les membres rapidement promus d’un premier cercle), plus rarement des managers expérimentés. Manager, structurer, accompagner une croissance, des pivots de business models, etc. peut-être une première pour certains. Y travailler est certes valorisant mais aussi éprouvant. Un cabinet de recrutement se doit de mettre en garde les candidat.e.s quant aux contreparties de ce choix d’environnement de travail sur leur vie personnelle. Cela ne peut convenir à tous les profils, ni à n’importe quels moments d’un parcours individuel. Malgré cela, de nombreux jeunes candidat·e·s sont prêt.e.s à s’investir aveuglément dans l’espoir d’une réussite rapide et éclatante, sans s’interroger sur leurs besoins et attentes (ou sur les limites acceptables dans ce cadre) ; avec à la clef le risque de découvrir qu’une startup peut-être, au même titre qu’une autre entreprise, dotée d’un management exécrable et/ou incompétent. Que des comportements abusifs de la part de fondateurs indélicats ne soient pas ignorés est une bonne chose ; ils transmettent aussi un avertissement : l’innovation reste fragile sans la qualité de management requise pour l’accompagner.
De nouveaux risques à mieux prendre en compte
Une chose est certaine, en 2021, le management par la peur et la contrainte ne fonctionne plus ; il est même en passe de devenir un risque majeur pour l’entreprise (et ce, quelle que soit sa dimension). En effet, la marque employeur a cessé de n’appartenir qu’à l’organisation seule. Le mécontentement des individus et/ou des équipes peut nuire à la marque avec une viralité lourde de conséquences sur ses résultats (une réputation se détruit plus vite qu’elle ne se bâtit et les avis-témoignages sont plus valorisés que la communication corporate). Un management inadapté (et à plus forte raison un management maltraitant) est un véritable danger pour l’avenir de l’activité, les process en jeu dans les nouvelles organisations et les mutations constantes de l’environnement exigeant plus de réactivité que par le passé ainsi que la collaboration de tous et toutes, indépendamment des positions hiérarchiques. Rappelons que le ressentiment engendré chez un collaborateur est d’autant plus grand que ses attentes initiales ont été déçues. Le mal-être qui en résulte à des répercussions mesurables : turn over excessif, ralentissement de l’activité, moindre productivité, défauts de réactivité, opportunités manquées, relation client détériorée, dommages réputationnels, etc.
La fin de l’indulgence au nom du startup- spirit
Le phénomène #balancetastartup est aussi le produit d’une évolution à prendre en compte : la perspective d’une entreprise différente, moins hiérarchisée et sans leader autoritaire s’est progressivement ancrée dans les imaginaires (et pas seulement dans celui des millenials). L’esprit startup, cette ambiance d’entreprise co-constructive portée par un objectif commun suscite de fortes attentes, de part et d’autre. Les entreprises en quête d’innovation (et notamment les grands groupes), ont été promptes à s’emparer de la dimension positive de cet exemple sans toujours en mesurer les exigences. Or, les salarié.e.s sont prêt.e.s à s’investir, certes, mais pas selon n’importe quelles règles. Les comportements managériaux stérotypés hérités de l’entreprise pyramidale d’hier dont seules les décisions prises au sommet affectaient le succès ne sont plus efficaces. Le management doit désormais se redéfinir autour de profils non autocentrés, capables d’empathie et d’écoute et dotés d’une véritable intelligence émotionnelle. Cela implique plus de diversité chez les candidat.e.s ainsi qu’une attention toujours plus grande portée aux qualités humaines et comportementales des personnes, en sus de leurs compétences. En cela, une plus grande exigence de la part des entreprises qui recrutent (ou promeuvent leurs talents à des postes managériaux) devient indispensable. Et si en même temps qu’un modèle organisationnel était promu, un modèle managérial était enfin posé ?