Marie-Christine Oghly (ASTech) : « L’écosystème a toujours été moteur pour moi »

Présidente de EnginSoft, Marie-Christine Oghly a pris, fin 2020, les rênes du pôle Aéronautique, Spatial et Défense d’Ile-de-France ASTech Paris Région. La dirigeante revient pour Alliancy sur l’importance de travailler en écosystème, et d’autant plus en période de crise.

Alliancy. Vous venez d’arriver à la présidence du pôle de compétitivité ASTech Paris Region. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est ce pôle ?

Marie-Christine Oghly

Marie-Christine Oghly, Présidente de EnginSoft

Marie-Christine Oghly. Peu de gens le savent, mais l’Ile-de-France est le premier bassin d’emploi en France dans le domaine de l’aéronautique, de l’espace et des systèmes embarqués avec plus de 100 000 emplois, auquel il faut ajouter pour la maintenance aéronautique et les services aéroportuaires près de 150 000 emplois supplémentaires.

Avec son statut associatif, ASTech [pour AeroSpace Technologie] accueille de nombreuses entreprises de cette filière aérospatiale francilienne, qui représentent déjà plus de 70 000 salariés. Ce pôle de compétitivité aérospatial que je préside depuis octobre dernier vise à accroître, par l’innovation, les positions de leader européen de l’industrie des secteurs que sont le lancement spatial ; l’aviation civile et l’aviation  d’affaires ; et la propulsion et les équipements.

En quoi est-il important de mieux se connaître pour travailler en écosystème ?

Marie-Christine Oghly. Depuis le début, je crois beaucoup à l’écosystème et au réseautage. Cela a toujours été moteur pour moi. J’en ai été totalement convaincue dès la première société dans laquelle j’ai travaillé. Il est extrêmement important d’échanger avec ses pairs, que ce soit de manière purement territoriale comme au sens de la filière. Ce qui va être aussi le cas avec ASTech, qui est un pôle « marchés », un écosystème différent de ce que l’on peut rencontrer par exemple au Medef ou dans toute autre association qui réunit des chefs d’entreprises.

C’est le cas par exemple au niveau de mon action auprès des femmes dirigeantes de la FCEM (lire encadré ci-dessous). Même si cette association a été créée en 1945, nous avons encore besoin de nous serrer les coudes et de travailler ensemble… pour avancer sur les quotas dans les conseils d’administration ou accroître le nombre de femmes dans les Comex. Notre devise est d’ailleurs : « Seules nous sommes invisibles. Ensemble, nous sommes invincibles ».

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Depuis près d’un an, la filière aéronautique est fortement impactée par la crise sanitaire. Quelle peut être l’intervention d’un pôle à ce sujet ?

Marie-Christine Oghly. ASTech a la connaissance très fine des acteurs industriels de la filière, petits et grands. Notamment, le pôle est en étroite relation avec les grands groupes, tous adhérents d’ASTech, qui partagent leur vision stratégique avec le pôle. Cela permet aux PME d’avoir une visibilité sur l’avenir technologique et industriel de la filière et d’adapter leur développement sur les grands enjeux industriels de demain dans le sillage des grands groupes. Notre réseau permet aussi aux PME de rencontrer régulièrement les grands donneurs d’ordres de la région, voire d’autres PME et TPE. En Ile-de-France, nous avons la chance de couvrir tout le périmètre du domaine aéronautique comme je le disais en préambule. Notre diversité fait la force de notre industrie régionale. Même si peu de gens le savent, pas un seul AIRBUS ne pourrait décoller sans les technologies et les compétences de notre région

Ensuite, cet écosystème que nous représentons est aussi en lien avec toutes les institutions publiques… On peut citer Bpifrance, la Banque des Territoires, Business France pour divers financements ou l’export… mais aussi les différents organes régionaux comme l’Agence régionale pour l’attractivité du territoire « Choose Paris Region », la SEM pour l’investissement immobilier, le conseil régional, les CCI, etc.

Votre appui est très large, est-ce cela votre message ?

Marie-Christine Oghly. Tout à fait. On apporte aux entreprises cette connaissance que l’on a de tous les organismes étatiques et régionaux présents en Ile-de-France, mais également de tous les financements et dispositifs de soutien mis à leur disposition. On peut donc les orienter facilement et rapidement, ce qui peut être particulièrement utile en cette période difficile.

Le pôle ASTech compte 300 établissements membres à ce jour. Vous souhaitez recruter de nouveaux membres… Les PME ont-t-elles perçu l’intérêt d’un tel écosystème ?

Marie-Christine Oghly. Celles qui sont membres évidemment et elles recommandent de plus en plus à d’autres d’en faire partie. Mais 300 membres, c’est à la fois beaucoup et peu… Nous avons tous les grands comptes, mais pas toutes les PME qui peuvent être concernées de près ou de loin par l’aéronautique… Si l’on se compare à d’autres structures, comme le cluster Normandie AErospace de taille quasi identique par exemple, nous devons accueillir davantage de PME, qui sont bien plus nombreuses en Ile-de-France.

Quelle est votre stratégie pour y parvenir ?

Marie-Christine Oghly. Nous devons communiquer plus largement sur nos actions au niveau de l’écosystème francilien. Le nom « ASTech » n’est pas toujours parlant et, pour des entreprises hors de notre secteur, il ne traduit pas obligatoirement ce que nous sommes. Il faut donc une base line plus explicite pour attirer davantage. Ensuite, il y a la proximité du national qui peut nous pénaliser… En région, l’écosystème justement fait que les dirigeants se rencontrent beaucoup plus souvent dans des instances très locales t, parfois, dans des environnements très différents (CCI, Medef, préfecture, pôles….). En Ile-de-France, souvent nommée Région capitale, nous nous heurtons à une confusion entre les acteurs régionaux et nationaux.

Pourquoi s’adresser aux instances locales alors que nous avons les ministères à portée de mains ? Pourquoi s’adresser à un pôle régional alors qu’il y a un syndicat national ? En fait nous collaborons parfaitement avec le syndicat national et chacun d’entre nous a un rôle précis à jouer. Il y a de vraies synergies entre nos deux structures… Mais, pour beaucoup d’acteurs, le réflexe est de se tourner avant tout vers l’organe national plutôt que régional. Malheureusement, cela ne fait gagner du temps à personne… C’est un problème culturel que nous ne résoudrons pas en quelques semaines.

Quelle différence feriez-vous entre ce que l’on appelle « écosystème » aujourd’hui et les relations interentreprises qui ont toujours existées ?

Marie-Christine Oghly. L’écosystème est moins pyramidal et plus horizontal. La TPE n’a pas la même importance que le grand groupe certes, mais il y a moins cette notion de dépendance vis-à-vis du grand groupe. Dans le domaine aéronautique, il y a vraiment cette logique de filière, où c’est important d’aider toute la chaîne d’acteurs en cette période difficile. Auparavant, quand on parlait de donneurs d’ordres et sous-traitants, c’était moins le cas. Aujourd’hui, il est clair pour les grands groupes que tout ne se fera pas en interne chez eux et l’on voit davantage de collaborations se mettre en place, de façon plus équilibrée. D’où l’importance pour les PME aussi de rencontrer les interlocuteurs clés au sein de ces grands groupes, comme de comprendre cet aspect réseau ou écosystème et, dans ce sens, le pôle est un facilitateur pour y parvenir.

Cela vous permet-il aussi de passer de l’« usine à projets » à l’« usine à produits » ?

Marie-Christine Oghly. Evidemment. C’est pourquoi cet aspect plus économique, de mises en relation est très important. Nous organisons régulièrement des rencontres business et les grands groupes y sont très ouverts, ils veulent connaître ces PME, leur savoir-faire. Ce sont des partenaires stratégiques dorénavant. Et il ne faut pas s’y tromper, la vraie valeur d’un pôle est bien cette capacité à mettre en réseau [ses membres] pour développer du business. Les PME ont des besoins business à court terme et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui. Investir dans la R&D, c’est potentiellement un retour sur investissement dans quinze ans. Ce n’est plus la recherche initiale des PME… Faire de la R&D pour monter en compétences, garder un peu d’avance sur la concurrence avec des produits innovants doit être un objectif à se fixer quand la société est pérenne et peut se lancer dans des investissements sur le long terme.

Le fait d’être une femme dirigeante à la tête d’un pôle très industriel, cela change la donne ?

Marie-Christine Oghly. En effet, j’ai un profil très différent de mes prédécesseurs ! Mais tous les retours que j’ai sont très positifs. Les grands groupes ont clairement envie de travailler avec le pôle… C’est très engageant pour nos PME. Et c’est valable également pour des organisations tel le Gifas, le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, avec qui nous allons signer prochainement un partenariat pour développer des actions communes… Nous ne sommes pas les seuls : Aerospace Valley et Safe Cluster (ex-Pégase et Risques) sont également dans cette logique. En fait, nous souhaitons tous renforcer l’écosystème à l’échelle nationale de la filière et mieux nous connaître. A chacun ensuite sa spécialité et son territoire

Vous êtes active dans différents réseaux [lire encadré ci-dessous]. Est-ce pertinent de créer des liens entre ces structures ?

Marie-Christine Oghly. C’est vrai que quand ils n’existent pas, je les encourage. Je crée toujours des liens entre toutes mes actions. Le pôle ASTech peut être intéressé par ce qui se passe dans l’association Micado, dont l’objectif est de développer le numérique dans les PME… Du côté de l’AFNet (Association française de référence du numérique dans les filières industrielles), dont j’ai été vice-présidente, ou de Boost Aerospace, c’est la même chose. Avec le réseau des Femmes chefs d’entreprises, industrielles, on a créé un prix dans l’aéronautique avec le Gifas par exemple… C’est de cette façon que nous créons des ponts pour élargir nos écosystèmes, y compris à l’international. Le fait d’être dans des réseaux ouvre indéniablement des portes. C’est le rôle d’un chef d’entreprise de se montrer dans son écosystème, car c’est comme cela que l’on fait avancer le business, j’en suis convaincue.

Un long parcours de femme engagée

Diplômée d’un DEA d’Hydrologie et d’un DESS à l’IAE de Nancy, Marie-Christine Oghly a été nommée présidente du pôle Aéronautique, Spatial et Défense d’Ile-de-France ASTech Paris Région le 15 octobre dernier. Cette dirigeante était déjà membre du conseil d’administration du pôle depuis 2018, en tant que trésorière.

Avant de présider EnginSoft France, société d’ingénierie informatique spécialisée en mécanique des fluides, Marie-Christine Oghly avait travaillé pour de grands groupes internationaux comme Elf et Amazon Technology… et créé plusieurs entreprises (Fluid Dynamics International, Flowmaster France, puis EnginSoft).

Parallèlement à cet engagement entrepreneurial, cette Lorraine a toujours poursuivi son action civique et associative. Depuis mars 2017, elle préside aussi l’association des Femmes Chefs d’Entreprises Mondiales (FCEM), qui regroupe plus de 500 000 dirigeantes dans le monde. Fondé en 1945 en France par une Ardennaise (Yvonne Foinant), ce mouvement d’après-guerre permet aux dirigeantes de partager leurs expériences et de promouvoir les femmes dans le milieu économique. Aujourd’hui, après 70 ans d’existence, ce réseau se déploie dans plus de 120 pays sur les cinq continents et regroupe 5 millions d’entreprises.

Marie-Christine Oghly est également à la tête de l’association Micado, une association basée dans les Ardennes, qui développe des solutions d’ingénierie numérique collaborative au service du PLM (Product Lifecycle Management). De même, au Medef, elle pilote la Commission Education, Formation, Compétences