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Rencontre avec Marie Jeanmougin, l’ingénieure au service de la rénovation énergétique des collectivités

L’ingénieure Marie Jeanmougin coordonne le programme Bapaura depuis deux ans à l’Ademe avec l’objectif de délivrer aux collectivités tous les outils et l’expertise nécessaires à la rénovation énergétique des bâtiments publics. Disposant de 1,5 million d’euros, Bapaura prévoit d’économiser plus de 7,8 GWh par an grâce à la rénovation de 144 infrastructures en région Auvergne-Rhône-Alpes en trois ans.

Marie Jeanmougin, cheffe du projet Bapaura à l'Ademe.

Marie Jeanmougin, cheffe du projet Bapaura à l’Ademe.

Alliancy ; Comment êtes-vous arrivée à l’Ademe pour diriger le projet Bapaura ?

Marie Jeanmougin : Je suis passée par l’école des Mines de Nancy pour devenir ingénieure et j’ai ensuite travaillé dans divers bureaux d’étude spécialisés dans la gestion de l’eau, de la biomasse ou de la chaleur. Puis, je me suis progressivement orientée vers le secteur public, afin de sortir de cette logique d’affaires courante en bureau d’étude. J’ai été embauchée par l’Ademe en 2020 pour diriger Bapaura, un programme à destination de toutes les petites collectivités d’Auvergne-Rhône-Alpes qui manquent de conseil en ingénierie sur leurs projets de rénovation énergétique.

Marie Jeanmougin travaille à ce que cette boîte à outils soit réplicable au niveau européen, ce qui lui a valu une nomination au Prix européen de l’énergie durable 2022, qui sera remis le 26 septembre prochain.

Au total, neuf agences locales de l’énergie et du climat (ALEC), sociétés publiques locales (SPL) et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) se sont réunis pour accompagner des projets et enrichir une boîte à outils de la rénovation énergétique. Concrètement, certains maires n’ont pas forcément l’expertise pour déterminer si tels travaux sont avantageux pour l’isolation thermique de son bâtiment public ou non. Nous sommes là pour les guider, dès le lancement du projet.

Bapaura s’inscrit aussi dans une démarche de développement des territoires qui souhaitent adopter un modèle économique plus durable. Tout l’enjeu est de trouver une méthode réplicable et adaptable au fonctionnement d’autres régions. Et ce n’est pas une tâche facile car les cadres réglementaires ne sont pas les mêmes ailleurs.

Constatez-vous une prise de conscience sur l’intérêt de la rénovation énergétique des bâtiments publics ?

Oui, beaucoup de collectivités se mettent en ordre de bataille depuis la promulgation du “décret tertiaire” qui impose déjà des objectifs clairs et contraignants en matière d’économie de chauffage, de climatisation et d’éclairage. Elles prennent toutes conscience des économies qu’il est possible de gagner sur leurs factures. Mais de manière générale, une commune adapte souvent son projet de rénovation de bâtiment public en fonction des usages et du confort des habitants.

Rien ne sert de rénover un bâtiment, si celui-ci n’est utilisé que quelques jours en hiver. Cela peut paraître anodin mais parfois le plus compliqué pour une collectivité est d’arriver à faire l’inventaire de tout son patrimoine. Ils ne sont parfois pas mis à jour ou bien restent trop techniques à déchiffrer car autrefois gérés par les experts des travaux eux-mêmes. C’est ce qui fait qu’une collectivité aura tendance à payer ses factures d’énergie sans trop se poser de questions, faute d’avoir une bonne connaissance de son patrimoine.

Un décret tertiaire arrivant à échéance

Issu de la loi Elan, le Dispositif Eco Efficacité Tertiaire (DEET) – ou « décret tertiaire » – impose une réduction des consommations énergétiques progressive pour les bâtiments tertiaires marchands et non-marchands, nouveaux et anciens, publics et privés et mesurant plus de 1 000 m2. Cette nouvelle réglementation vise à économiser 60 % d’énergie finale dans ces bâtiments d’ici 2050. 

Ainsi, les propriétaires et gestionnaires de bâtiments d’une surface d’au moins 1 000 m2 ont jusqu’au 30 septembre pour déclarer leurs consommations énergétiques et leurs données de références sur la plateforme Operat, sous peine d’une amende allant jusqu’à 7 500 euros. Les principaux leviers explorés : rénover thermiquement les bâtiments, trouver des solutions de chauffage, de climatisation et d’éclairage plus économes en énergies et recourir aux énergies renouvelables.

Quels sont les principaux freins à la rénovation énergétique des communes ?

Les communes ont déjà été sensibilisées au gaspillage énergétique lors des dernières élections municipales mais puisque l’énergie coûtait relativement peu cher, elles n’avaient pas d’intérêt économique à court terme de lancer de grands travaux.

Aujourd’hui, le contexte de pénurie d’énergie et de matières premières provoque une prise de conscience globale sur la finitude des ressources et de plus en plus de collectivités s’intéressent à nos services. De la même manière, les grands épisodes de sécheresses cet été ont aussi déclenché les mêmes réflexions sur la question de la gestion de l’eau.

Nous allons attendre de voir comment se passe cet hiver avec les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement en matière de sobriété énergétique. À priori, ce sont des mesures d’appoint qui ne remplaceront pas la nécessité de projets de rénovation sur le long terme.

Quels sont les principaux freins à la rénovation énergétique des communes ?

Le premier défi concerne le manque de main d’œuvre à tous les échelons. Pour aider davantage de collectivités dans leur transition énergétique, nous avons besoin de talents et tout le monde recrute : au niveau des syndicats professionnels de l’énergie en passant par les bureaux d’étude et les sociétés de travaux.

De la même manière, la pénurie de matériaux agit aussi comme un frein. Il y a beaucoup d’incertitudes quant à l’évolution des prix à venir et cela complexifie le déroulement des appels d’offres. Les communes font face à un paradoxe : en payant plus cher leur énergie, elles disposent de moins de budget pour lancer leurs grands plans de rénovation. Les communes sont dans l’attente d’un bouclier tarifaire, de la même manière qu’il en existe un pour les particuliers.

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La subvention publique semble donc indispensable pour s’assurer que ces grands projets de rénovation soient menés ?

C’est indispensable car la rénovation énergétique est très coûteuse. pour la majorité des communes, c’est la perspective d’une subvention qui déclenche l’opportunité de rénovation. Mais la question du retard des collectivités sur ce sujet n’est pas uniquement liée aux contraintes budgétaires. Elle relève aussi d’un imaginaire autour du « maire bätisseur », cette figure de l’ancien élu qui profitait de la croissance économique pour moderniser sa commune et bâtir rapidement des infrastructures.

Quelles solutions concrètes sont utilisées pour mieux isoler nos bâtiments du froid et de la chaleur ?

De plus en plus de solutions existent pour automatiser l’audit énergétique des bâtiments pour les communes. Et souvent la rénovation passe par des travaux d’isolation des combles et de l’extérieur avec notamment le remplacement des fenêtres en double-vitrage. Mais cette isolation doit aussi être pensée pour le confort d’été : il faut en généra éviter de construire de grandes baies vitrées non couvertes et exposées en plein sud. Il serait dommage d’être contraint d’utiliser la climatisation pendant la période estivale.

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Pour le chauffage, il faut déjà se renseigner si un réseau de chaleur existe proche du bâtiment et il faut compléter le mix énergétique avec des énergies renouvelables autant que possible. C’est aussi un enjeu de résilience pour être moins impacté par l’augmentation du prix du fuel ou du bois.

Nous conseillons aux collectivités de travailler sur leurs bâtiments dans l’ordre suivant : d’abord se questionner sur les usages du bâtiment, la régulation du chauffage, la possibilité de baisser la température des locaux. Puis vient la question de l’efficacité des systèmes, l’isolation du bâtiment pour rendre celui-ci le plus performant possible. Enfin, se pose la question de l’énergie nécessaire au chauffage, en priorisant le renouvelable.

Vous êtes l’une des trois finalistes du Prix européen de l’énergie durable 2022, dans la catégorie Young Energy Trailblazer… Qu’espérez-vous de ce prix ?

Je suis très fière d’avoir été retenue suite à mon appel à candidature et la remise des prix est officiellement prévue le 26 septembre prochain. Si j’ai postulé, c’est avant tout pour mettre en valeur mon rôle de coordinatrice du projet européen Bapaura. Notre objectif reste de faire connaître toute l’ingénierie publique qui existe et dont ont besoin les collectivités.

Les agences publiques du climat ou de l’énergie ne sont pas forcément des structures connues des jeunes ingénieurs en sortie d’études. Et pourtant, ce sont des métiers qui ont du sens et avec un impact direct sur l’économie locale.

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