De quoi sera faite demain la relation client ? Cette question alimente bien des tables rondes et salons professionnels. Mais si l’avenir reste encore flou pour de nombreuses entreprises, certaines l’anticipent déjà et font de leur client un partenaire pour s’imposer sur leur marché. Quelques exemples.
D’année en année, les entreprises sont plus nombreuses à considérer que leurs clients sont des partenaires qui doivent être systématiquement associés à la définition de leur stratégie, de leurs offres ou de leur organisation.
« Depuis peu, le client a repris la main. Il sait se débrouiller seul et son niveau d’exigence est très élevé. Les entreprises prennent conscience qu’il peut très bien se passer de leur “relation client” si la fluidité et la cohérence ne sont pas au rendez-vous », résume Eric Dadian, président de l’association française de la relation client (AFRC) et de CCA International, une entreprise européenne spécialisée dans ce domaine. Et d’analyser la situation : « En 2013, pour être au top de la relation client, il faut dominer tous les canaux de contact et savoir répondre en toutes circonstances, sans aucun heurt pour le client. » Cette exigence de fluidité est confirmée par le cabinet français Capgemini : 60 % des clients s’attendent à ce que l’intégration transparente des canaux online, sociaux, mobiles et physiques, soit devenue la norme dès 2014.
Des champions français toutes catégories
Deux tiers des Français ne sont pas en mesure de citer spontanément une entreprise qu’ils jugent crédible, d’après l’édition 2013 de L’Observatoire de l’authenticité*. « Les Français ne font pas plus confiance aux marques qu’à la classe politique ou aux journalistes. En fait, les clients français sont beaucoup plus critiques », relève, amusé, Jean-Jacques Gressier, coauteur de Servir ou disparaître (Ed. Vuibert, 2011) et président de l’Académie du service, spécialiste hexagonal de la formation et du conseil aux entreprises pour le développement de leur culture du service et l’amélioration de leur relation client. « Au-delà de ce biais de perception sur la qualité des services, qui peut donner l’impression que la France est en retard, on trouve dans notre pays des entreprises très en avance sur ce sujet », poursuit-il.
« Nous avons de beaux champions. Les enseignes Leroy Merlin et Decathlon, par exemple, s’imposent clairement dans le domaine de la distribution spécialisée », confirme Thierry Spencer, auteur de l’un des blogs les plus lus en la matière (sensduclient.com) et nouveau directeur associé au sein de l’Académie du service. D’après cet expert, le premier est cité sur tous les podiums de la relation client depuis maintenant cinq ans. Quant à Decathlon, il compare tout simplement la créativité dont l’entreprise fait preuve à celle d’Apple. « La cohérence entre le online et le offline chez Decathlon est remarquable, souligne-t-il. Et ce, sans même parler de la qualité des produits accessibles, personnalisables et coconçus avec les clients, comme la chaussure Newfeel, qui est un peu leur “iPad” maison. »
Au-delà, il vient encore un nom – mais il n’est pas français ! – que tous les experts de la profession s’empressent de citer : Nespresso et ses célèbres petites capsules de café, pour qui notre pays est le marché numéro 1. En 2012, la filiale du géant suisse Nestlé a littéralement trusté les récompenses françaises pour la qualité de sa relation client. Si sa rentabilité est proche des niveaux enregistrés dans le secteur du luxe, d’après Le Figaro, il en va de même pour la qualité de son service. Pour son directeur général France, Arnaud Deschamps, la recette est d’avoir choisi, il y a plus de vingt ans, ce que les entreprises essayent maintenant à tout prix de réussir : communiquer en direct et intelligemment avec leurs clients. Il explique ainsi que le club client Nespresso n’a pas attendu Internet et les réseaux sociaux pour établir un dialogue permanent avec les consommateurs et pour innover à partir de leurs remarques.
Dans un autre secteur, la chaîne de parfums et cosmétiques Sephora se distingue également. Entre 2011 et 2012, les 250 magasins français de l’enseigne ont vu l’arrivée de l’iPod Touch 4 pour équiper le personnel de vente. Avec cet outil, n’importe quel vendeur peut désormais se connecter en permanence, par Wi-Fi, à une base de données de plusieurs millions de clients. Lors d’une interaction, le simple scan de la carte de fidélité ou la saisie d’un nom permet d’accéder à toutes les informations pertinentes pour répondre aux besoins de la personne en magasin, voire de les devancer.
« A ce niveau de capacité de reconnaissance en point de vente, ce n’est même plus le “magasin connecté”, mais bien la “relation connectée” dont il s’agit. Preuve qu’il faut investir dans les détails », estime Thierry Spencer. En 2013, Sephora a été salué par le cabinet d’expertise sur les marques Interbrand pour son efficacité et la qualité de sa stratégie « omni-canal » (capacité à gérer l’ensemble des canaux de contact de manière unifiée).
Tous sur les réseaux sociaux
On peut alors se demander quelle place tiennent les technologies dans ces revirements stratégiques ? Outil central de la dernière décennie, la solution de CRM (Customer relationship management) doit dorénavant composer avec l’omniprésence des nouveaux usages Web et mobile. Au rang de l’exemple type des défis à gérer en 2013 : les réseaux sociaux. Sous forme de modules dans les outils CRM existant ou de solutions spécialisées, rares sont les entreprises qui décident encore de s’en passer.
« L’outil peut servir à écouter les clients ou à les engager, parfois même les deux. Les plus intéressants sont souvent omni-canaux et très intégrés, pour permettre de répondre par téléphone ou email à des sollicitations venues des réseaux sociaux », résume Dean Groman, directeur général de Sitel, un outsourceur de la relation client récompensé en 2013 par le cabinet d’étude Nelson Hall pour sa capacité à améliorer l’expérience client sur les réseaux sociaux. Il met toutefois en garde ceux qui estiment que la technologie et les médias sociaux seront la panacée dans ce domaine : « L’impératif, c’est d’avoir conscience qu’il faut avant tout se donner les moyens d’agir, d’industrialiser les processus, sur les réseaux sociaux comme sur tous les autres canaux. »
Eric Dadian partage entièrement cet avis : « Bien sûr, d’un point de vue technologique, les Etats- Unis peuvent avoir une avance sur certains sujets. Mais nous avons en France tout ce qu’il nous faut, que ce soit avec les outils fournis par de grands groupes, comme Dassault Systèmes ou ceux de spécialistes plus petits, comme Dimelo ou iAdvize. »
Face à des firmes américaines telles que Salesforce ou Microsoft, qui dominent le marché hexagonal du CRM, les éditeurs nationaux de taille intermédiaire, plus traditionnels (Cegid, Coheris, E-Deal, Akio, etc.), prennent eux aussi le pas en adaptant leurs offres pour les rendre plus agiles, plus « sociales », ou capitaliser sur la souplesse du SaaS. L’enjeu est donc ailleurs. « Le principal apport de la technologie, c’est au final sa contribution à la transformation profonde de nos façons de travailler ensemble », fait valoir Jean-Jacques Gressier.
Savoir se remettre en cause
Car si, pour atteindre de tels objectifs, il est souvent nécessaire de disposer d’un système d’information unifié, capable de capitaliser sur une bonne connaissance du client, cela ne suffira pas. « Il faut comprendre que le numérique est une rupture profonde pour les entreprises, mais la relation client reste le moteur. La clef, c’est d’être capable de se remettre en cause », poursuit Eric Dadian.
Jean-Jacques Gressier va même plus loin : « Les entreprises qui se sont engagées dans l’expérience client sont aussi les plus performantes sur leur marché. Celles qui investissent ce champ-là gagnent sans conteste la bataille. » Toutefois, sur le chemin du triomphe commercial, la difficulté n’est pas de définir ce que devrait être une « superbe » expérience client selon les spécificités de sa marque ou de son marché. « La vraie transformation a lieu quand les entreprises font évoluer leur manière de travailler. Il faut accepter de tester, d’essayer, pour voir quand on a tort et quand on a raison. Cela nécessite une coopération comme il n’en a jamais existé dans l’entreprise », poursuit Jean- Jacques Gressier.
Pour « mettre le client au centre », il faut déjà ne plus limiter la question au département ou au prestataire de « service client ». Du directeur général au vendeur, tout le monde doit se sentir concerné ! Une petite révolution qui passe autant par une prise de conscience chez les dirigeants d’entreprises que par un « empowerment » des petites mains.
« La notion de client doit être portée par tous au quotidien, et cela n’a rien à voir avec la taille de l’entreprise », assure Jérôme Pechinot, directeur de l’expérience client de Photobox, spécialiste du développement des photos en ligne. Son entreprise a déjà été « élue » à deux reprises « Service client de l’année », en 2010 et 2011, lors de l’événement annuel phare en la matière organisé par le cabinet Viséo Conseil. Jérôme Pechinot concourt lui-même pour la palme de « Directeur relation client » de 2013, une manifestation organisée pour la sixième année par l’AFRC et Relation client magazine. Un moyen de valoriser les nombreux challenges que Photobox s’est imposés [lire l’entretien : « Trois questions à… Jérôme Pechinot« ] pour améliorer de façon notable sa relation client. Car, pour espérer devenir le « Nespresso » de son secteur, l’entreprise doit apprendre à se réinventer et à faire preuve de créativité, en s’appuyant tout autant sur ses clients que sur ses salariés.
* Enquête menée par Makheia group et Occurrence auprès de 1 010 Français et 1 092 Allemands pour établir un comparatif entre les deux pays.
Voir l’infographie réalisée en complément de cet article : Infographie – Les défis de la relation client en 2013
Lire aussi : Philippe Mustar : « Le client, source d’innovation pour l’entreprise »
Cet article est extrait du n°5 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine