Si l’entreprise doit recruter une pluralité d’expertises et de parcours, de générations et d’approches… pour asseoir sa stratégie de développement et d’innovation, elle doit aussi savoir capter la richesse de son écosystème, tout en partageant la sienne. Entretien avec Mathilde le Coz, directrice des Talents et de la Transformation chez Mazars, sur sa vision d’une fonction RH en pleine mutation.
Alliancy. Qu’est-ce que veut dire pour vous « travailler en écosystème » en RH ?
Mathilde le Coz. Chez Mazars, nous travaillons en partenariat avec une vingtaine de start-up pour étoffer notre proposition de valeur vis-à-vis de nos candidats et nos collaborateurs, que nous voyons davantage comme des prospects et des clients. Je peux citer quelques exemples : Yaggo nous aide à faire du retour personnalisé après chaque candidature ; l’assistant virtuel Djigg d’Inmind nous permet d’organiser un certain nombre de tâches liées au recrutement, tout comme celui de Workelo le fait pour ce qui constitue l’onboarding des nouveaux collaborateurs ou encore UrbanGaming pour renforcer l’engagement…
Je crois beaucoup en l’écosystème ! Auparavant, nous avions tendance à tout internaliser… alors qu’il existe des solutions très intéressantes à utiliser pour nous faciliter le quotidien. Cela impose évidemment d’être très vigilants en termes de sécurité et de RGPD à notre niveau car nous partageons des données avec des tiers, mais outre ces aspects juridiques à anticiper, c’est très intéressant en termes de proposition de valeur.
Est-ce là l’avenir du métier des RH ?
Mathilde le Coz. L’expertise RH viendra non plus uniquement des professionnels en poste, mais aussi de ces « spécialistes » de la matière RH sous un autre format. C’est très intéressant pour nous RH d’aller s’inspirer de ces start-up qui apportent une solution à un problème et transforment en profondeur nos métiers…
Quand avez-vous démarré cette stratégie d’ouverture ?
Mathilde le Coz. Cela a commencé il y a quatre-cinq ans avec quelques start-up, puis nos partenariats se sont étoffés peu à peu dans un mode gagnant-gagnant. Ce n’est pas de l’achat de services, mais vraiment des partenaires avec qui nous travaillons parfois à adapter leurs solutions pour nos besoins sur-mesure. D’ailleurs, nous les affichons volontairement sous leurs noms et ces start-up sont devenues des membres de l’équipe RH. Avec Martin Huerre, DRH France de Mazars, nous avons obtenu en 2019 le « Prix du mieux travailler à l’ère numérique » pour la création du collectif HRFamily@Mazars, qui acculture la fonction RH et toute l’organisation à l’innovation et optimise l’expérience candidats et utilisateurs dans un contrat social repensé. Nous croyons beaucoup à l’agilité via la collaboration entre grands comptes et start-up. C’est aussi un levier pour nous pour embarquer des collaborateurs sur ces projets spécifiques, où ils vont pouvoir découvrir un environnement différent du nôtre. Ils découvrent de nouvelles façons de travailler avec des tiers… qu’ils soient au service RH ou consultants chez Mazars. Pour beaucoup d’entre eux, ce sont clairement des projets qui vont les fidéliser.
Vous voulez dire que des collaborateurs participent à ces échanges avec les start-up ?
Mathilde le Coz. Tout à fait. Par exemple, dans un autre domaine que le recrutement, nous déployons l’outil Mailoop, qui permet à l’entreprise de disposer d’une cartographie anonyme de l’usage de l’e-mail en interne, pour ensuite sensibiliser, diagnostiquer et en généraliser un meilleur usage. Dans ce cas précis, c’est une de nos opérationnelles qui est en lead du projet. Elle a ainsi l’occasion de découvrir des domaines différents de son quotidien : comment je collabore avec la DSI ? Comment je fais la conduite du changement sur le sujet ? Comment je travaille avec une start-up ?…
Comment se fait le lien entre l’opérationnel et votre service sur ces sujets ?
Mathilde le Coz. Soit c’est sur la base du volontariat, soit ce sont nos rôles modèles que nous souhaitons rendre plus visibles, des personnes qui ont l’appétence pour l’humain. Certes, on parle d’outils, mais ces collaborateurs portent des sujets de fond sur ce que l’on va améliorer via l’outil dans notre bien-être, dans notre vie professionnelle au quotidien… La capacité à créer du lien est fondamentale.
Est-ce si important pour eux ?
Mathilde le Coz. Plus aucun jeune n’arrive aujourd’hui dans l’entreprise avec un plan de carrière à dix ou quinze ans. A nous de trouver des axes pour les engager. Et ce type de projets collectifs pour contribuer à une entreprise plus responsable et éthique, est clairement un levier d’engagement. Ils ont, à juste titre, l’impression de laisser une empreinte, d’apporter du bien au collectif. Le sens, nous le donnons dans la responsabilisation, comme c’est le cas dans les programmes d’intrapreneuriat également… Pour autant, ce n’est pas à nous seulement de faire des programmes pour les autres, mais de mettre les bonnes personnes au bon endroit. Car, si nous voulons que cela fonctionne, il faut leur laisser de la responsabilisation, au-delà de l’autonomie. Il y a une vraie notion de lâcher-prise à avoir de notre côté.
Cela concerne-t-il seulement les publics jeunes ?
Mathilde le Coz. Non, pas du tout. On dit beaucoup de choses sur la « nouvelle » génération, mais ces jeunes ne sont que le fruit d’une époque. Et, beaucoup de leurs attentes, on les retrouve chez leurs aînés. A l’inverse, leur parole est plus libérée et ils n’ont plus peur de mettre dans la balance leurs exigences, en termes d’épanouissement, d’équilibre de vie, de hiérarchie… Ils questionnent énormément le management et, au final, c’est extrêmement sain. Les jeunes générations ne voient plus leurs managers comme un supérieur hiérarchique, mais comme celui qui les pousse à évoluer.
Ce qui veut dire que la concurrence est rude pour capter ces talents ?
Mathilde le Coz. Absolument, car certains candidats posent clairement leurs conditions sur la table et vont au plus offrant… En tant que recruteur, il faut donc être très ouvert sur ce qu’il se fait en termes d’attractivité dans sa sphère, mais aussi sur tous types d’industries, y compris à l’international. Par exemple, Mazars est certes en concurrence avec de grands cabinets d’audit, mais aussi avec tous types d’employeurs en France et à l’étranger, notamment aux Etats-Unis où l’émergence des Gafa a bousculé la donne. Nous recevons 60 000 candidatures par an pour 1 000 recrutements tous profils confondus (dont 80 % des jeunes). Mais, parmi eux, reste à trouver les bons profils pour accompagner notre transformation… Nous devons aller les chercher.
C’est-à-dire ?
Mathilde le Coz. Si vous voulez les bons talents pour faire face à vos enjeux, il faut aller les chasser. C’est tout à fait nouveau. Certains voient la crise comme une opportunité et un basculement du rapport de force au profit de l’employeur…. Mais c’est une erreur. Au contraire, il faut rester très prudent pour les engager, car ces jeunes risquent de repartir à plus offrant dès que le marché se réactivera. Mon enjeu étant de les garder à terme, à nous de leur faire découvrir l’intérêt du métier. Ensuite, ils restent des ambassadeurs, même partis… Quelles sont nos valeurs ? Nous devons donc rester attentifs sur la façon dont nous gérons la crise. Pour autant, la fidélisation me perturbe.
Que préférez-vous ?
Mathilde le Coz. Je préfère l’engagement à la fidélisation. Et, pour engager ses collaborateurs, c’est bien également d’avoir des opportunités de sortie. Sinon, on risque d’avoir des collaborateurs qui resteront par défaut. Aujourd’hui, l’exclusivité à une entreprise toute sa vie pour les jeunes fait peur… C’est pourquoi, pour se rassurer, ils veulent tester plusieurs activités. Le concept de slasher émerge vraiment [un travail salarié se conjugue à une activité indépendante et/ou à un engagement bénévole, NDLR]. Clairement, il y a un besoin de sens au travail… Le monde numérique est plus transversal, évolue en écosystème et l’entreprise n’est pas obligatoirement organisée pour répondre à ce nouveau monde et ces nouveaux modes d’organisation. Nous avons empilé les outils, mais quels sont les bons usages numériques pour une relation humaine sereine au travail ? D’où l’importance de repositionner la fonction RH au bon niveau de valeur dans l’entreprise et notamment sur de la pure science humaine (médiation, facilitation, animation…). Le DRH, comme le DSI, doivent apporter du confort de travail aux collaborateurs et pas seulement des outils.
A propos de Mazars
Mazars est un groupe international et intégré spécialisé dans l’audit, la fiscalité et le conseil, ainsi que dans les services comptables et juridiques. Présents dans plus de 90 pays et territoires, il s’appuie sur l’expertise de ses 40 400 professionnels (24 400 au sein du partnership intégré et 16 000 au sein de Mazars North America Alliance) pour accompagner les entreprises à chaque étape de leur développement.