Les entreprises attaquent le cycle de l’industrialisation de l’IA, non sans difficultés de gouvernance. La gouvernance fédérée, prônée par le Data Mesh, offre des perspectives, à confirmer, juge Olivier Mallet, Practice director Data de Cognizant.
Quelles grandes tendances observez-vous en termes d’adoption de l’IA par les entreprises ?
Olivier Mallet : Après la première vague de l’IA en 2013 et 2014, qui s’est caractérisée par de nombreux PoC, les organisations entrent dans la deuxième phase de l’IA moderne. Ce cycle est celui de l’industrialisation. C’est le véritable challenge aujourd’hui.
Cependant, cela passe par la résolution de problèmes assez profonds, comme ceux liés à la gouvernance. Et c’est un chantier qui prend du temps à se mettre en place et à aboutir. D’ailleurs, à mon sens, la maturité en France reste encore assez peu élevée en termes d’IA à l’échelle.
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Si on considère qu’un des prérequis, c’est une gouvernance opérationnelle, je dirais que cela ne concerne que 10% des entreprises françaises. Elles sont encore moins nombreuses à disposer du cadre complet, soit la gouvernance, la qualité et l’architecture.
Nous sommes encore au début de l’aventure. L’enjeu est énorme en termes de valeur associée. Mais les entreprises ont pris conscience que cette création de valeur passait par des prérequis.
Le Data Mesh semble réhabiliter la gouvernance. Constatez-vous une meilleure prise en compte de ce pilier de la stratégie Data ?
C’est en réalité très variable selon les entreprises. Certains secteurs, historiquement très régulés comme la banque et la pharma, des verticaux que nous connaissons très bien chez Cognizant, ont de l’avance dans ce domaine. Ils ont notamment mis en place des structures transversales pour piloter les enjeux de qualité et de compliance. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient au bout du chemin.
En revanche, beaucoup d’acteurs ne comprennent toujours pas la problématique. Dans les grandes entreprises, non. Elles ont toutes nommé un CDO, qui a déployé une politique de gouvernance, et défini en général une roadmap et une vision. Quelques blocages peuvent néanmoins apparaître dans la déclinaison opérationnelle.
L’idée de la gouvernance fédérée est d’introduire de l’agilité dans ces processus, tout en respectant mieux les organisations naturelles des entreprises. On espère que le Data Mesh permettra de résoudre différents problèmes. Nous l’avons d’ailleurs mis en œuvre chez certains de nos grands clients, notamment Américains. En France, le concept tient encore principalement du buzzword. Des projets se lancent, mais il faut en attendre les résultats pour juger de son implémentation.
La gouvernance fédérée s’accompagne d’une transformation culturelle. Faut-il agir en mode Big Bang ?
Cette culture, il est possible de la modifier de manière incrémentale. Néanmoins, certains fondamentaux de cette culture ne peuvent pas être changés. Dans une entreprise construite autour de la centralisation et avec des pratiques des collaborateurs structurées selon cette approche, il serait illusoire de penser pouvoir la bouleverser. Il faut composer avec. Cela passera sans doute notamment par des structures de gouvernance en partie centralisées.
Dans une entreprise plus jeune, plus flexible, s’offre plus facilement l’opportunité de profiter d’une page blanche pour inventer une nouvelle gouvernance.
L’implication des métiers, ou son manque, peut-elle encore aujourd’hui constituer un obstacle à l’adoption de la Data et de l’IA ?
Cette implication est directement corrélée à la maturité et à la culture. Les secteurs régulés ont intégré cette responsabilité dans les processus et les organisations. En revanche, pour les entreprises où la donnée a toujours été considérée comme un sous-produit de l’informatique, la prise de conscience est plus complexe. Lever cette barrière passe par un travail de pédagogie et de communication sur l’apport de valeur de la Data.
Concernant le deuxième aspect de votre question : les métiers sont-ils prêts à embarquer sur l’IA ? Les stratégies de recrutement des entreprises sont un levier d’action. L’enjeu est ici de faire infuser la capacité technologique de l’IA avec les environnements métiers.
De manière plus générale, les obstacles actuels ne sont plus réellement d’ordre technique. Les outils sont pléthoriques, peut-être trop même. Le frein le plus fort est celui de la maturité et de l’alignement des couches IT, métiers et management. Ce dernier a aussi son rôle à jouer dans la compréhension et l’allocation des bons budgets.