Le rendez-vous de l’écosystème français de la Greentech, tenu cette année la semaine du 19 octobre dernier, a été l’occasion pour le gouvernement de marquer les esprits, à six mois des élections présidentielles de 2022. La technologie – l’écosystème de la French Tech en première ligne – est avant tout présentée comme une solution à tous les défis de notre temps : de la lutte contre le réchauffement climatique en passant par la compétitivité et la souveraineté à l’échelle internationale ainsi que la résilience des territoires. Décryptage d’une rhétorique récurrente en proie aux paradoxes.
Ce n’est pas pour rien si la rencontre nationale “Meet’Up Greentech 2021” se tient au ministère de l’Economie et des Finances et de la Relance… Du 19 au 22 octobre, l’événement a réuni plusieurs écosystèmes de l’industrie, de la recherche et de la French Tech pour débattre de la place de l’écologie dans les perspectives de croissance du secteur.
Un événement qui tombe à pic puisqu’Emmanuel Macron présentait la veille, le 12 octobre, son plan d’investissement pour « bâtir la France de 2030 ». La feuille de route se calque sur deux niveaux : soutenir massivement la recherche et l’innovation pour s’imposer sur la scène économique mondiale et viser la décarbonation de l’industrie grâce à la technologie. Deux objectifs présentés comme complémentaires et à même de répondre aux défis du moyen terme : la recherche de souveraineté et de résilience ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique.
Une articulation complexe entre rentabilité/durabilité et écologie/souveraineté
Cette logique de discours s’immisce dans les débats depuis de nombreuses années et elle s’invite désormais – à l’aube des élections présidentielles – aux événements dont la Greentech n’échappe pas. « L’innovation est un moteur indispensable de la transition écologique. » affirme Barbara Pompili au lancement. Et un détour vers le “Plan France 2030” est bien sûr envisagé. Cette dernière précise que sur les 30 milliards d’euros destinés à soutenir les technologies de pointe, la moitié concerne la transition écologique.
C’est aussi l’occasion de valoriser les grandes levées de la French Tech et les start-up labellisées Greentech Innovation ou encore French Tech Green 20. Mention est également faite aux licornes françaises, ces pépites françaises à plus d’un milliard d’euros de valorisation, qui sont désormais au nombre de 19. Mais problème : les licornes françaises à impact peinent à sortir de leur caractère légendaire.
Aux côtés de Blablacar ou Back Market, Vestiaire Collective est la dernière à s’ajouter aux rares réussites entrepreneuriales à impact. En mars dernier, la start-up spécialisée dans la vente d’occasion de vêtements a bouclé 178 millions d’euros, tandis que son confrère Sorare, spécialiste des cartes à collectionner de joueurs de football, a levé 580 millions d’euros.
Le gouvernement s’efforce donc de mettre sur le devant de la scène ses réussites entrepreneuriales en lien avec son discours sur l’impact. C’est ainsi que Clara Chappaz, ancienne Chief Business Officer de Vestiaire Collective, s’est vue offrir la tête de la French Tech à la rentrée.
C’est au tour de Cédric O, Secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, de reprendre le flambeau. Ce dernier confirme la place de l’innovation dans la transition écologique : « L’urgence climatique est mathématique : nous serons quelques milliards de plus d’ici quelques années et nos ressources sont limitées. Cette grande transition environnementale, numérique et anthropologique doit passer par une transformation de notre manière de consommer ».
Soutenir les acteurs de l’innovation qui répondent aux défis de demain est donc présentée comme la seule issue. La Deeptech est en ce sens érigée comme solution à l’équation climatique et souveraine ; les technologies de pointe et la recherche au service à la fois du climat et de l’industrie.
La Greentech comme fer de lance de la réindustrialisation
Concernant les perspectives de réindustrialisation, c’est bien du côté des fonds qu’elle se constate, en particulier auprès du bras financier de l’Etat : Bpifrance. Chloé Schiaffino, directrice d’investissement pour cet organisme fait état de 9 projets à impact parmi les 16 participations à son portefeuille. C’est elle qui vient étayer le thème choisi pour la conférence consacrée à la “Greentech comme fer de lance de la réindustrialisation”.
Sa mission consiste à financer le développement de start-up industrielles qui apportent un changement. Pour cela, Bpifrance témoigne de la volonté du gouvernement de se rapprocher des territoires, auprès des usines et des régions agricoles. Plusieurs entreprises sont citées telles que Lactips avec sa solution de polymère plastique à base de lait ou bien Innovafeed, avec sa biotechnologie d’élevage et de transformation d’insectes pour l’alimentation animale et végétale.
« Il faut avoir conscience de l’impact des start-up industrielles sur le tissu social, précise Clément Ray, cofondateur d’Innovafeed. Le digital peut être un facteur de polarisation mais l’industrie contribue à faire société ». Autrement dit, il insiste sur l’importance de la logique écosystème pour la prospérité de l’industrie française, à l’image des liens qu’il a pu tisser lui-même avec ses partenaires et fournisseurs locaux de matière premières. « Il faut prendre soin de cet écosystème car la compétitivité dépend de la force du tissu industriel », poursuit-il.
Il faut donc soutenir davantage la recherche par le haut pour espérer que tous les maillons industriels du territoire deviennent plus compétitifs et plus résilients. Cette volonté s’inscrit d’ailleurs tout récemment dans l’agenda d’Emmanuel Macron, qui s’est rendu en début de semaine dans des usines à Saint-Étienne et Montbrison pour annoncer 800 millions d’euros consacrés à la robotique et 400 millions à l’intelligence artificielle.
La technologie comme solution à l’équation climatique
Le rapprochement est donc naturellement fait entre compétitivité technologique et poursuite de rentabilité et de souveraineté. Mais qu’en est-il du moteur même de cette promesse d’un progrès vertueux ? La technologie, mêlée de solutionnisme, est présente à tous les étages et dans toutes les tables-rondes de la Greentech : “La Deeptech au service de la résilience des territoires” d’une part, puis “La Deeptech, une solution pour les territoires face au changement climatique”, ou encore “Comment l’innovation peut accélérer la décarbonation de l’industrie”, “Comment faire de l’Europe un leader mondial de la Greentech” et sans oublier “L’innovation en matière de réduction de l’empreinte numérique”.
Pour Tristan Labaume, Président de l’Alliance Green IT : « 80% des impacts du numérique sont liés à sa fabrication. Il faut donc réduire l’impact de l’extraction des terres rares et augmenter la durée de vie des équipements existants. » La phase d’utilisation semble donc plus “anecdotique” à ses yeux. C’est bien du côté du hardware et du software que l’enjeu se place. Il se dit par ailleurs agacé de voir la nouvelle version Windows 11 être incompatible avec la plupart des équipements informatiques actuels.
« Ce n’est pas parce que vous souscrivez à des offres cloud que vous n’aurez plus d’impact, insiste-t-il. Il y a des infrastructures physiques derrière et l’enjeu prioritaire est d’augmenter la durée de vie de ce matériel ». Et puisqu’il n’existe pas d’infrastructure sans logiciel, la responsabilité de mesurer et réduire l’impact des usages numériques incombent aussi aux éditeurs et aux développeurs. C’est en tout cas ce que défend le CEO de l’atelier d’innovation digitale Marmelab François Zaninotto. « Il ne suffit pas de mesurer, il faut aussi plus de granularité des données » pour espérer réduire l’impact du software dès sa conception.
Au cœur de l’infrastructure du numérique, Alain Coquio, Président du fournisseur européen de data center Interxion poursuit : « Les data center, comme première couche d’infrastructure du numérique, sont essentiels pour pouvoir construire la transition écologique mais aussi et surtout la transition digitale des entreprises. ». Il invoque le “building monitoring system” pour l’optimisation énergétique de ses bâtiments ainsi que “les scopes 1 et 2 de l’Ademe” pour la mesure des émissions carbone. Selon lui : « Ce n’est pas toujours visible du grand public et pourtant la filière du numérique est extrêmement engagée dans cette recherche d’efficience énergétique et de neutralité ».
C’est enfin au tour des représentants du gouvernement de se manifester. Viviane Valla, chargée de mission économie verte et solidaire au Ministère de l’Environnement et modératrice de l’échange rappelle que « l’impact du numérique devrait atteindre les 7% d’ici 2040 ». De son côté, Thomas Orazio, chef de projet au service de l’économie numérique de la Direction générale des Entreprises (DGE), évoque un consensus limité sur la question, notamment à cause d’un “manque de méthodologie et de partage des données”.
Ce dernier énumère ensuite les trois axes de la feuille de route du Gouvernement de février dernier visant à faire converger les transitions écologique et numérique : le développement de nos connaissances vis à vis de l’impact du numérique (mission de l’Arcep et l’Ademe), la réduction de cette empreinte liée aux produits et aux usages ainsi que le numérique au service de la transition écologique.
Le credo reste le même : en plus de lutter contre le réchauffement climatique, la technologie peut trouver elle-même la clé pour limiter son propre impact. Il suffirait donc de soutenir encore plus la French Tech pour la rendre visible et inciter davantage de porteurs de projets à impact de l’intégrer. C’est d’ailleurs en ce sens que le Ministère de la transition écologique va prochainement lancer un appel à manifestation d’intérêts visant à identifier les pépites françaises qui œuvrent pour la réduction de l’impact du numérique.
Une mécanique bien huilée mais qui prend le risque de devenir contre-productive : comment réduire l’empreinte du numérique si nous nous reposons d’autant plus sur la technologie pour façonner la transition écologique de demain ? Il est difficile de ne pas avoir ce contresens en tête à l’issue des nombreux débats de la Greentech. Reste à voir comment ces paradoxes seront traités jusqu’à l’arrivée du prochain scrutin.