Notre chroniqueur François-Xavier Petit passe au crible la nature du Metaverse dont il est tant question depuis les annonces récentes de Meta (Facebook) : véritable opportunité pour l’Humanité ou ode à la consommation ?
Alors que penser du Metaverse qui se présente déjà comme un nouvel âge du web et l’une des grandes révolutions à venir ? Au point que Facebook décide de s’y consacrer pleinement en allant jusqu’à changer de nom : la compagnie de Mark Zuckerberg s’appelle désormais meta !
Le Metaverse fait s’affranchir des petites lucarnes
D’abord, pour rappel, le Metaverse désigne un univers virtuel qui nous entoure mais qui est en réalité très mixte. C’est par exemple notre appartement modélisé et accessible en chaussant des lunettes 3D. Alors tout change : les photos des vacances ne sont plus dans notre téléphone mais peuvent se déployer sur nos murs ; l’appel en visio prend des allures de home cinéma et la partie de carte avec des amis peut se faire à distance comme si on était dans la même pièce. Les amis ne sont plus des petits carrés sur une visio zoom mais des personnages à part entière, dotés de corps virtuels et reconstitués autour de nous, assis sous forme d’hologramme sur le même canapé (tout en étant chacun chez soi). Quelque part, c’est la fin des écrans puisque tout prend forme dans ce monde virtuel. Il en va de même pour le télétravail où, d’un coup, on n’est plus seul chez soi mais en entrant dans le Metaverse, tout le cadre du bureau reprend forme et les collègues qui passent peuvent frapper à votre porte et entrer virtuellement pour discuter comme si vous étiez avec eux, tout en restant bien assis chez soi. Le Metaverse est donc cette interpénétration du virtuel et du réel sans la barrière de nos petites lucarnes.
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Et si c’était là une manière de rendre nos outils technologiques enfin intelligents ? Certes, c’est toujours pareil, la technologie n’est que ce que l’on en fait. Mais tout de même, le Metaverse offre une opportunité vraiment intéressante.
Pourquoi ? Le réseau social nous a sans cesse poussés à être bref voire caricatural (penser en 280 caractères n’est pas évident) et la saturation du personal branding limite drastiquement la possibilité d’aller très loin. Bref, les codes des réseaux sociaux sont finalement assez limités. A l’inverse, en promettant de déployer tout un univers, le Metaverse donne des possibilités bien plus ambitieuses, à une échelle encore inégalée. Car si on va plus loin que les exemples donnés ci-dessus (chez soi ou au bureau), alors on peut ouvrir des pistes solides.
Ce que le Metaverse offre : une dimension agrégée, unifiée, ergonomique, visuelle, interconnectée…
De fait, fabriquer le jumeau numérique d’un port, d’une entreprise ou du château de Chambord permettrait non pas de simplifier à outrance mais de monter en réflexion (là est le contre-pied des réseaux sociaux). En effet, voir le double numérique du port de Marseille offrirait ainsi de modéliser les flux de personnes et d’énergie, de ressaisir à une autre échelle l’expérience des professionnels, et de construire des stratégies de changement. Changement des métiers, changement des conditions de travail, optimisation des organisations, capacité de visualiser à une échelle large les impacts environnementaux… sont de belles pistes. En somme, là où le tweet s’envole, le jumeau numérique peut être un vrai instrument de travail, mais aussi de dialogue entre salariés et direction.
Ou entre politiques et administrés ! Par exemple, si l’échange se menait aussi sur le Metaverse de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, il deviendrait possible de discuter concrètement et cartographiquement des inégalités territoriales, des déplacements des étudiants, de l’attractivité de l’aéroport de Lyon ou des aménagements du Rhône. Le Metaverse pourrait en produire de véritables représentations, capables de donner à tous des instruments de compréhension et de proposition (car tout cela ne vaut que si on peut impliquer les citoyens). Alors, on pourrait objecter que tout est en open data. Certes, mais c’est tellement épars et diffus…. Ce que le Metaverse offre, c’est une dimension agrégée, unifiée, ergonomique, visuelle, interconnectée et donc saisissable. Ne nous trompons pas, Léonard de Vinci a été le dernier savant en capacité de tout connaître : peinture, mathématiques, philosophie… tant les connaissances de son siècle étaient limitées. Depuis, les connaissances se sont tellement multipliées qu’en avoir une vision synthétique et globale est devenu d’une rare complexité. Au point que notre esprit critique s’y est aussi un peu perdu et que d’aucuns peuvent défendre aujourd’hui que la terre est plate, dans un relativisme total.
Alors tout ce qui peut recomposer des visions globales et permettre de les discuter est décisif et définitivement utile.
Des espaces où l’on peut recommencer à penser ?
D’ailleurs, ici et là, des choses s’inventent en ce sens. Je voudrais prendre quelques exemples. Avec le Nouvel Institut et le soutien de l’Agefiph, Matrice – l’institut d’innovation que je dirige – a développé un outil permettant aux personnes atteintes d’un cancer de se situer dans leur rapport à l’activité professionnelle : continuer à travailler, arrêter, reprendre depuis chez soi, se réinsérer dans un collectif… sont des questions cruciales et qui méritent d’être traitées. Et ce qui permet cela, compte tenu de la sensibilité du sujet, est d’abord d’avancer pas à pas, dans une forêt de récits de personnes passées par là, par la maladie et par la nécessaire gestion d’une situation de travail. Dans cette forêt de récits, il y a des belles histoires, d’autres scandaleuses, certaines finissent bien et d’autres pas. Certaines concernent des cadres et d’autres des agents de premier niveau. Voilà un début de Metaverse où l’on se trouve environné des paroles des autres qui viennent aussi composer notre univers et nourrir notre réflexion (« je ne suis pas seul », « cette histoire m’est aussi arrivée », « je me suis tellement vu dans cette situation », « heureusement que mes collègues ne sont pas comme cela »…).
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Voilà comment, bien au-delà du fonctionnalisme de nos outils numériques, se jouent des espaces où l’on peut recommencer à penser. C’est cette promesse du Metaverse qui est la plus intéressante. Demain, dans un univers virtuel, peut-être que différents médecins pourront se pencher sur mon cas complexe et apporter une réponse pertinente en mettant leurs intelligences en commun, soutenues par le Metaverse qui permet d’avoir accès à toutes les informations nécessaires et de pouvoir converser (ce n’est pas du tout l’imaginaire d’une IA toute puissante qui aurait la réponse à la place du médecin). Autre exemple : demain les parents d’élèves pourront se retrouver pour échanger bien au-delà d’une boucle WhatsApp qui mélange les questions de fond avec « ma fille a oublié de noter ses devoirs, qui peut me les envoyer ? ». Et cette capacité de converser pourrait se retrouver par-delà un seul collège, car traiter la question de la lutte contre le harcèlement à l’école peut supposer des groupes transverses. Ils existent déjà dans certains cas, mais le Metaverse peut être leur infrastructure, à la fois simple mais suffisamment large pour redevenir intelligent.
Alors pensons aux horizons ouverts : la manière dont un monument historique pourra exister, lever des fonds pour se rénover et créer des expériences uniques de visite dans le Metaverse ; où celle encore dont un artisan qui pourra non seulement exposer son travail mais trouver les moyens de transmettre son geste et former… Nous en sommes au début mais plusieurs briques sont déjà là.
Le Metaverse est donc probablement l’ouverture d’une cycle numérique dans lequel la technologie peut qualifier, éduquer et permettre d’ajouter de la nuance et de l’intelligence.
Franchement, ça nous manquait.
Alors on dira que Mark Zuckerberg et Facebook envisagent le Metaverse surtout comme un environnement ludique et de consommation. Peut-être. Mais ça ne nous empêche pas d’en faire autre chose. Encore une fois, la technologie est ce que l’on en fait.