L’anniversaire de Microsoft est symbolique de la réussite des méthodes de la Big Tech américaine. Mais dans le contexte géopolitique actuel, il ne peut que pousser à la remise en question.
Ce vendredi 4 avril marque un anniversaire particulier, celui du plus vieux des Gafam : Microsoft. La « mégacorporation » souffle ses cinquante bougies avec une juvénilité que lui envient des entreprises deux fois moins âgées. Elle a su traverser des périodes qui auraient pu la faire passer pour « has been », malgré des critiques constamment renouvelées sur ses choix de design, son approche de la sécurité, ses pratiques commerciales… Elle reste d’ailleurs le « quotidien numérique » de la majorité des particuliers dotés d’un ordinateur et il en va de même pour les professionnels.
« Inévitable » Microsoft
Il est bien loin le temps où Bill Gates et Paul Allen créaient « Micro-Soft » à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, pour vendre l’interpréteur Altair BASIC. Aujourd’hui, la firme de Redmond (son QG depuis 1986) est une puissance majeure de l’intelligence artificielle, qui a enterré tour à tour un très grand nombre de concurrents créés à la même période qu’elle. « Embrace, extend, extinguish » (adopte, étend, étouffe) prête-t-on comme expression au vice-président de Microsoft en 1995 pour définir cette stratégie gagnante vis-à-vis de la concurrence. Une approche critiquée par le département de la Justice américain dix années plus tard, qui y voyait un moyen pour l’entreprise d’être en situation de monopole sur ses marchés sans craindre directement l’antitrust américain. Les années passent, Microsoft reste. Valorisée à 2 840 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 245 milliards de dollars en 2024 (+15,6 % en un an), la doyenne des « Sept magnifiques », les entreprises tech qui portent à elles seules ou presque la bourse américaine, est tout simplement inévitable dans le monde actuel.
Nouveau regard de CEO
Vu de l’Europe, c’est d’ailleurs le cœur du problème. Lors du Forum InCyber qui s’est tenu à Lille du 1er au 3 avril, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, n’y est pas allé par quatre chemins. « Mon vrai problème aujourd’hui dans le domaine du numérique et de l’intelligence artificielle, c’est qu’on n’a pas de champion européen », a-t-il déclaré, en précisant : « Quand j’ai le choix entre Amazon, Google ou Microsoft, je ne suis pas très à l’aise. » De plus en plus de directeurs du numérique en Europe, et en France notamment, tiennent les mêmes propos ces dernières années. Que ce soit un grand patron qui l’exprime ainsi ouvertement, lors d’un événement placé sous le thème de la confiance et de la géopolitique, envoie cependant un signal beaucoup plus fort. C’est d’abord le signe que de plus en plus de CEO portent un regard neuf, stratégique, sur la place du numérique dans leur entreprise et sur le leadership qu’il est nécessaire d’incarner sur le sujet, pour ne pas le cantonner à ses origines techniques. Mais c’est aussi une invitation renouvelée à penser la dépendance technologique au bon niveau, celui des PDG et des comex. Seul un volontarisme de ce niveau sera de nature à faire pivoter des organisations qui ont pendant des années envoyé un message fort à leurs DSI : prenez le leader américain, en haut à droite dans les analyses « Magic Quadrant » de Gartner, ou sinon cela vous sera reproché au moindre problème. Mais de la même façon que le Microsoft d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’il y a 50 ans en ayant intégré les nouvelles réalités du marché, il va falloir que les systèmes d’information fassent leur mue, et s’adaptent à leur tour à la nouvelle donne d’un environnement tech plus menaçant.