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Pour mieux innover et se protéger, Michelin travaille sa relation IT-métier

>> Cet article est issu du Carnet d’expérience à télécharger « Industrie : comment les DSI créent plus de valeur avec les métiers ? »


Pauline Flament est la chief technology officer de Michelin. Elle livre son regard sur le rôle qu’a joué l’augmentation des cybermenaces sur la relation entre l’IT et les métiers et partage les leviers qui lui semblent les plus intéressants à activer dans les prochains mois.

Pauline Flament, chief technology officer de Michelin

En participant à l’atelier que nous avons organisé sur le thème de la relation IT-métier, vous avez notamment mis en avant l’influence du sujet cybersécurité dans l’équation. Pourquoi ?

Le sujet de la relation entre l’IT et le business s’est toujours posé pour être honnête. Ce n’est pas un thème nouveau, mais pour autant, il est remis sur le devant de la scène aujourd’hui, avec beaucoup d’actualité. Au-delà de la crise pandémique que nous avons vécue ces deux dernières années, c’est en particulier l’augmentation forte des cyberattaques sur la même période qui a provoqué une nouvelle prise de conscience côté métiers du rôle de l’IT dans l’entreprise.

Si l’on remonte un peu dans le temps, on voit qu’en matière de cybersécurité les premiers référentiels de pratiques à s’être vraiment répandus dans nos milieux industriels, notamment à travers les normes Iso, l’ont été à partir de 2015. Mais il s’agissait avant tout d’une avancée dans le monde théorique de la conformité et de la gestion des risques, ce qui est perçu comme une contrainte par les autres métiers de l’entreprise. Mais depuis 2019, le risque est devenu une réalité. Nous avons en effet vu arriver des attaques avérées, plus ou moins ciblées, qui ont entraîné des conséquences pour certaines entreprises de notre secteur.

[bctt tweet= »« Ces deux dernières années, nous avons dû gérer au moins une suspicion d’attaque par mois. » » username= »Alliancy_lemag »]

Autrement dit, les criminels se sont mis à cibler plus spécifiquement l’industrie ?

En effet, nous sommes sortis du monde de la fraude au président ou des ransomware génériques pour des cyberattaques sur l’industrie, à travers lesquelles tout le monde a pu se rendre compte que cela concernait directement notre entreprise. Quand ce sont des collègues, des connaissances qui se font toucher, la menace prend une autre dimension. Je travaille personnellement en étroite collaboration avec la gestion des risques et la sécurité. Ces deux dernières années, nous avons dû gérer au moins une suspicion d’attaque par mois. L’été dernier a demandé un effort important pour patcher tous nos environnements Windows. Et plus récemment, l’impact d’une faille comme Log4j a également beaucoup mobilisé notre temps.

Concrètement, quel est l’impact de ce contexte sur votre relation avec les métiers ?

Si l’on schématise : autant les métiers se sentaient à l’aise pour pouvoir gérer en direct avec des fournisseurs d’outils SaaS quand il s’agit d’expérimenter et d’innover, autant quand il y a un risque d’attaque ou une attaque avérée, les équipes vont plutôt s’adresser à l’IT interne. Elles sont alors rassurées de pouvoir s’appuyer sur notre méthodologie et sur notre engagement sur le sujet.

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Nous avons la chance d’avoir une relation mature, construite autour de la philosophie « One Michelin », qui fait se projeter tout le monde pour défendre l’intérêt du groupe dans son ensemble. Le contexte cyber a provoqué une professionnalisation supplémentaire des deux côtés, IT et métiers, pour mieux gérer les vulnérabilités et les crises. Or, c’est une opportunité concrète de mieux comprendre l’autre et de montrer comment se traduit la valeur de chacun pour l’entreprise.

Vous citez également le rapport à l’innovation comme étant un axe clé pour améliorer la relation entre l’IT et le business. À quel titre ?

Sur le sujet de l’innovation, on distingue généralement deux sujets complémentaires. D’abord le fait de développer de nouveaux business, de nouveaux produits. Ensuite l’amélioration de l’existant, en réalisant différemment ce que l’on produisait déjà. Mais une chose est certaine : tous les acteurs métiers craignent de rater une innovation et, de ce fait, de sortir du marché. Dans ce contexte, le rôle de l’IT est avant tout de leur fournir une aide face à la diversité des offres technologiques proposées par les nombreux fournisseurs. Il y a un besoin important côté métiers d’avoir une clé de lecture qui permette de décrypter les impacts sur le court, moyen et long terme de la mise en œuvre et de l’usage de telle ou telle technologie. C’est à vrai dire le seul moyen de dépasser l’expérimentation et de capitaliser sur des nouveautés technologiques qui s’enchaînent de plus en plus vite.

[bctt tweet= »« Il faut être capable d’avoir dans les équipes des « bilingues » qui vont savoir parler à la fois à la partie « glamour » de l’IT et à son côté plus « hardcore ». » » username= »Alliancy_lemag »]

Comment cette mission est-elle perçue par vos équipes ?

L’innovation est toujours un sujet engageant ; il y a une part de « fun » pour beaucoup de collaborateurs à pouvoir s’investir ainsi sur des sujets technologiques de pointe et à mener des projets qui modernisent fortement nos façons de faire et notre système d’information. Toutefois, cela ne suffit pas. Tous les industriels font également face à un défi : celui d’avoir en interne les bonnes ressources pour suivre et comprendre ces changements rapides. Autrement dit, avoir à disposition les talents qui vont nous permettre d’être sélectifs et exigeants face aux différentes possibilités qui existent. Les jeunes talents actuels du numérique ne connaissent pas assez le monde industriel et ne se projettent pas sur des parcours et des carrières dans nos écosystèmes.

L’attention est encore trop tournée dans les écoles vers le modèle des start-up ou des pure-players numériques (les intégrateurs et éditeurs). Donc le sujet n’est pas seulement celui de la perception par les équipes en place, il y a aussi un effort managérial important à mener, pour savoir à la fois séduire (dépoussiérer l’image des industriels) et fidéliser.

En tant que CTO, vous avez notamment la responsabilité des équipes infrastructures, qui sont souvent plus éloignées des enjeux d’innovation digitale imaginés par les métiers. Est-ce que cela peut changer ?

Il est certain que le travail sur le core system, au niveau des infrastructures, n’est pas la partie la plus « glamour » de l’IT. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire. À ce niveau-là également, il faut capter les besoins métiers, définir quels sont les services essentiels pour innover demain, etc. Il est par ailleurs crucial de tirer l’agilité vers ces équipes cœur, pour ne pas se contenter d’en faire un sujet de développement. En effet, en agilité, on met souvent en avant la mise en commun d’un product owner métiers et d’un autre IT. Cela part du principe que l’aspect infrastructure va de soi, que sa disponibilité pour avancer sur le projet est un non-sujet, et donc que l’agilité est un simple ménage à deux.

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Pourtant, le rôle des équipes infrastructures n’est pas si anodin : dans la réalité, c’est un ménage à trois qu’il faudra souvent gérer. Alors comment éviter cette mise à l’écart ? Il n’y a pas de secret, l’infrastructure aussi doit apprendre à parler ce même langage, orienté vers le service aux métiers, vers la qualité de service, vers l’usage. Et si le service ne peut pas être « consommé comme du code », pour reprendre une posture que l’on entend beaucoup, il faut être capable d’avoir dans les équipes des « bilingues » qui vont savoir parler à la fois à la partie « glamour » de l’IT et à son côté plus « hardcore ». Il faut donc trouver ces ambassadeurs qui vont être dans une logique diplomatique au quotidien avec toutes les parties prenantes des projets.

Quelles sont pour vous les recommandations incontournables à faire dans l’industrie pour améliorer les pratiques et la relation IT-métier dans les prochains mois ?

Face aux attentes des managers métier de recevoir de l’aide pour mieux innover, les DSI doivent prendre en compte que les métiers développent également leurs propres compétences numériques. Les « informaticiens » seront à ce titre partout dans l’entreprise. Dans ce contexte, l’un des chantiers pour une direction informatique est de développer une nouvelle proximité avec ces acteurs, pour identifier les chantiers qui comptent, les accompagnements qui vont permettent de créer des liens forts dès les premiers moments de défrichage des projets.

Notre rôle de manager est de mettre de la relation entre ces échanges IT-métier, et de créer l’envie du collectif au niveau des équipes. Il y a beaucoup de manières pour arriver à cela. Pour prendre un exemple : j’ai pu identifier que sur de nouveaux sujets très discutés par les métiers comme la 5G, il pouvait y avoir des approximations ou des contresens. J’ai donc demandé à un de nos talents IT de rédiger avec notre département communication un business paper dédié, qui permette à la fois un décryptage stratégique pour le top management, mais qui soit aussi utile pour sortir des préconçus que pourrait avoir toute l’entreprise. Ce genre de collaboration pour mieux communiquer a également toujours très bien fonctionné sur les enjeux de cybersécurité. 

[bctt tweet= »« Face aux attentes des managers métier de recevoir de l’aide pour mieux innover, les DSI doivent prendre en compte que les métiers développent également leurs propres compétences numériques. » » username= »Alliancy_lemag »]

Une autre priorité est l’action sur le recrutement. Je mets par exemple en place des partenariats avec les écoles et je signe des chaires françaises d’enseignement sur les sujets d’avenir comme le green IT. Nous développons dans ce sens des témoignages, des tables rondes pour montrer des exemples et donner envie. Cela s’accompagne d’un engagement fort à prendre des stagiaires et des alternants pour préparer demain. Et je pense d’ailleurs que la période pandémique n’a fait que renforcer notre conviction qu’il était de la responsabilité d’une entreprise comme Michelin de fournir un effort supplémentaire et d’accueillir des centaines de jeunes en stage.

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