Notre chroniqueur Imed Boughzala continue son exploration des marqueurs de l’intelligence digitale dans un monde moderne, avec un focus sur les choix réalisés par les écoles d’ingénieurs dans la période post-Covid.
Dans une récente chronique, j’ai abordé le sujet des modèles d’affaires numériques ou Digital Business Models. Ils représentent une évolution majeure dans la façon dont les entreprises, dans différents secteurs et domaines, fonctionnent et prospèrent à l’ère digitale. En effet, la capacité à exploiter les technologies digitales de manière stratégique, à gérer les données avec responsabilité et à anticiper les besoins changeants des clients sont les clés du succès dans ce paysage économique dynamique, en constante évolution et en forte concurrence. L’enseignement supérieur ne va échapper pas ou plutôt ne va fera pas l’exception à cette règle à l’avenir avec l’avènement des modèles hybrides ou à distance, du modèle alliance, du modèle franchise, du modèle école plateforme (plateformisation/uberisation), du modèle abonnement, etc.
Dans le contexte actuel de transformation digitale post-covid, les établissements d’enseignement supérieur, en particulier les écoles d’ingénieurs, se trouvent à un tournant décisif. Pour rester pertinents et compétitifs, ces institutions doivent réévaluer et adapter leurs modèles d’affaires, en intégrant des stratégies digitales avancées qui favorisent l’apprentissage hybride (Blended model) et ou à distance (Full remote model) parmi d’autres options stratégiques.
Le modèle hybride, qui combine l’enseignement en présentiel et à distance, devient de plus en plus essentiel pour répondre aux besoins d’une population d’apprenants diversifiée et mondialisée et parfois même empêchée comme par exemple les sportifs de haut niveau. Ce modèle offre une flexibilité sans précédent, permettant aux apprenants d’accéder aux ressources pédagogiques et aux cours à leur propre rythme, tout en maintenant une connexion avec leurs enseignants et leurs pairs. De plus, il permet aux institutions de s’étendre au-delà des frontières géographiques traditionnelles, attirant des apprenants du monde entier sans les contraintes des spatio-temporelles, des infrastructures physiques et des démarches administratives (comme les visas d’études).
La mise en place de ces modèles hybrides et à distance nécessite une révision complète des approches pédagogiques et organisationnelles. Les établissements doivent investir dans des plateformes numériques robustes et sécurisées, capables de supporter un grand nombre d’utilisateurs tout en garantissant la qualité et l’équité de l’enseignement. L’utilisation des technologies émergentes, telles que l’intelligence artificielle et les analyses prédictives, peut également enrichir l’expérience d’apprentissage en offrant des parcours éducatifs personnalisés et adaptés aux besoins individuels des apprenants.
Par ailleurs, le modèle d’enseignement à distance impose une nouvelle manière de concevoir la relation enseignant-apprenant et plus de scénarisation du processus d’apprentissage et son évaluation. Le rôle des enseignants évolue, passant de simples dispensateurs de savoir (enseigner) à celui de facilitateurs/tuteurs d’apprentissage (former), guidant les apprenants dans un environnement numérique interactif. Cette transformation demande également un développement professionnel continu pour les enseignants, afin qu’ils soient pleinement équipés pour tirer parti des applications et des équipements numériques et pour créer des expériences pédagogiques engageantes et efficaces, et de guider les apprenants pour être capable d’apprendre par eux-mêmes – apprendre à apprendre (apprendre). Je cite ici le Triangle Pédagogique de Jean Houssaye (enseignement, formation et apprentissage) en fonction des deux parmi les trois variables qui s’imposent davantage dans la relation (savoir, enseignant et apprenant).
L’enseignement supérieur doit également prendre en compte les attentes changeantes des apprenants et du marché du travail. Les compétences numériques ou digitales, autrefois considérées comme des atouts, sont désormais essentielles. Dans quelques années par exemple, l’intelligence artificielle générative (IA Gen) fera partie intégrante de l’enseignement et engendra une métaphore dans l’apprentissage. Ainsi, les écoles d’ingénieurs doivent intégrer ces compétences liées à l’intelligence digitale dans leurs curricula, non seulement pour préparer les étudiants à une carrière dans un monde digital, mais aussi pour les former à être des citoyens responsables dans une société de plus en plus connectée et préoccupés par la souveraineté numérique et la sobriété.
Enfin, le passage à un modèle hybride et à distance pose des défis en termes de rentabilité et de durabilité. Les établissements doivent trouver un équilibre entre l’investissement dans les technologies inclusives et la maîtrise des coûts, tout en garantissant l’accès équitable à une éducation de qualité pour tous les apprenants. Cela peut nécessiter de repenser les structures tarifaires (sur site (on site) vs. Hybride ou à distance (Hybdrid/Remote)), les partenariats avec le secteur privé (edtechs, GAFAM), ou encore l’exploitation de nouvelles sources de revenus, comme les cours en ligne ouverts à tous (MOOC[1], SPOC[2], COOC[3], SOOC[4], selon le contexte) ou les certifications professionnelles. Plusieurs écoles commencent outre-Atlantique à proposer une combinaison de modalités d’apprentissage sur une durée de 6 à 12 mois (cours en ligne en asynchrone, lives avec des enseignants pour des regroupements, évènements virtuels, des rencontres entre apprenants selon leur proximité et 1 ou 2 semaines sur le campus généralement pour les examens et la remise des certificats dans un cadre un évènement festif).
En somme, l’intégration du modèle hybride et à distance dans les écoles d’ingénieurs et l’enseignement supérieur en général, représente non seulement une réponse aux défis actuels, mais aussi une opportunité de réinventer l’éducation pour l’ère digitale. Les institutions qui réussiront cette transition seront celles qui sauront allier innovation pédagogique, maîtrise des technologies numériques, et responsabilité sociale, assurant ainsi leur succès dans un environnement académique en perpétuelle évolution et aussi régi par la concurrence d’autres acteurs, des nouveaux entrants comme LinkedIn learning, Coursera…
D’autres modèles d’affaires émergent et seront développés prochainement. Parmi eux, l’école plateforme, c’est-à-dire sans murs ou presque, avec des enseignants aux profils variés (parfois indépendants) et des apprenants dispersés géographiquement et sur différents fuseaux horaires.
[1] Massive Open Online Course ou Cours en ligne ouvert et massif
[2] Small Private Online Course ou Petit cours privé en ligne (en tant qu’apprentis en entreprise)
[3] Corporate Online Open Course ou Cours ouvert en ligne pour entreprise (en tant qu’apprentis en entreprise)
[4] Small Online Open Course ou Petit cours ouvert en ligne