Lorsque l’on détricote les programmes des principaux candidats à la Mairie de Paris, peu d’entre eux accordent de la place aux questions autour du numérique. A l’exception de Cédric Villani, les candidats se concentrent majoritairement sur un combat contre les dérives de l’ubérisation ou des mesures d’appoint en matière de propreté, de sécurité et de transport. Alliancy vous propose, à la veille des Municipales, de plonger dans les programmes et voir quelle place est réellement accordée au numérique.
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Il suffit de chercher le terme “numérique” dans les programmes des principaux candidats pour constater sa faible présence. Rachida Dati (LR) et Agnès Buzin (LREM) n’en font pas mention et il apparaît seulement une dizaine de fois dans les programmes de David Belliard (EELV) et Danielle Simonnet (LFI). A l’inverse, il apparaît plus d’une soixantaine de fois dans le projet de Cédric Villani, qui a fait du concept de “ville numérique” l’un des fers de lance de sa campagne.
Cette recherche d’occurrence peut sembler anecdotique, mais au-delà des mesures pour la propreté, la sécurité et la végétalisation de la ville – qui font légion dans tous les programmes – quelle place est réellement accordée au numérique, un domaine pourtant dont on comprend le rôle majeur en ces heures difficiles de propagation du coronavirus en France.
Une convergence des programmes se fait sentir autour des “dérives du numérique” et de la menace que représente des plateformes comme Airbnb ou Uber. Mais pourquoi le potentiel du numérique et du Big Data est si peu abordé ?
Des mesures d’appoint
Commençons par Anne Hidalgo, qui ne fait quasi pas référence au potentiel numérique sur le site internet de sa campagne. Elle a décidé de rectifier le tir le 5 mars dernier, au cours d’une conférence de presse à Station F (l’incubateur de Xavier Niel), spécifiquement organisée pour parler de ces enjeux. Au programme : une charte de la donnée, une application numérique dès 2021 pour centraliser les démarches administratives et permettre le vote en ligne ou encore une nouvelle politique de la technologie centrée sur la souveraineté de la donnée.
Sans détailler les mesures concrètes pour atteindre tous ces objectifs de souveraineté, de protection, d’inclusion et de sobriété numérique, Anne Hidalgo a surtout insisté sur le besoin de « renverser le rapport de force avec les plateformes numériques ». Un point de crispation que tous les candidats mobilisent dans leur discours.
De son côté, David Belliard d’Europe Écologie Les Verts mise sur l’Open Data. Il propose de faciliter l’accès aux données publiques et de créer un “Conservatoire du Libre” : un centre spécialisé permettant aux habitants de Paris d’accéder librement à des ressources culturelles, logicielles, techniques et scientifiques. Le candidat souhaite protéger le caractère libre de droit mais aussi produire lui-même des ressources au sein d’un “guichet unique de l’Open Data”. L’objectif étant également de privilégier l’utilisation et la promotion de logiciels libres à la Mairie de Paris. David Belliard a d’ailleurs promis la création de postes de data scientists à la communication de la Ville.
Le parti écologiste a aussi prévu de recourir à l’intelligence artificielle pour améliorer le nettoyage des villes. C’est d’ailleurs une mesure largement plébiscitée par les autres partis comme celui de Rachida Dati qui souhaite équiper les véhicules patrouilleurs de caméras intelligentes pour cartographier les zones où se trouvent des amas intempestifs de déchets au sol.
Agnès Buzin n’a pas non plus placé le curseur numérique au centre de son programme. Mais elle a tout de même comme projet de croiser les données pour faciliter le stationnement des automobilistes et expérimenter des feux de signalisation “intelligents”.
Cédric Villani est “l’exception à la règle”, le fervent défenseur du “tout numérique”. Le mathématicien projette même de tout régler par le numérique : de la mobilité à la démocratie en passant par la santé et l’écologie. Des intelligences artificielles au service de l’humain qui peuvent rendre la ville plus fluide et moins polluée. “Nous pouvons notamment faire de Paris le lieu où se fera le lien entre la transition écologique et la transition numérique.” précise-t-il dans son programme, avant de rappeler son souhait d’éviter la “déshumanisation” liée aux services ubérisés comme Airbnb, Uber, Waze ou Lime.
Enfin, Danielle Simmonet et Vikash Doraso, en parallèle des mesures proposées pour pallier l’illectronisme, mettent aussi en garde contre les dérives déshumanisantes que produisent les grands acteurs technologiques. Ils concentrent leur attention sur les conditions de travail précarisées et aliénantes des livreurs à vélo et chauffeurs ubérisés.
Un front commun contre les plateformes
Un certain consensus est présent autour de l’emprise des grands acteurs technologiques sur Paris, Airbnb et Uber en ligne de mire. Tous souhaitent réguler les locations touristiques sur Airbnb, exiger des conditions salariales décentes pour les chauffeurs Uber ou encore limiter les livraisons Amazon dans la capitale.
Concernant Airbnb, Anne Hidalgo a promis un référendum. Ian Brossat, chef de file du PCF, rejoint cette promesse en ajoutant quelques mesures d’interdiction partielle et de limitation. Cédric Villani et Agnès Buzin font également partie du camp pour plus de limitation et de contrôle. Le député Agir Pierre-Yves Bournazel a lui déposé fin octobre une proposition de loi pour laisser la possibilité à la municipalité de « refuser l’octroi d’un numéro d’immatriculation si elle juge que le quartier dans lequel se situe le bien est déjà saturé ». Danielle Simonnet plaide elle pour le renforcement des équipes d’agents de contrôle. Et enfin, David Belliard suggère aussi de tripler le nombre d’agents et de limiter le nombre de locations autorisées pour les résidences principales à 45 jours par an.
Uber n’est pas non plus laissé sur la touche. Anne Hidalgo, David Belliard et Danielle Simonnet ont récemment annoncé leur soutien à #TrueCostOfUber, une campagne lancée le 21 novembre par une coalition d’ONG européennes et américaines (Sierra Club, Respire, Les Chercheurs d’Air et Transport & Environment) pour dénoncer les coûts sociaux et environnementaux des plateformes de VTC comme Uber. Ces associations appellent les métropoles en Europe à agir pour limiter l’impact des plateformes.
La vie de la cité prime sur la vie numérique
Mais au-delà des questions des plateformes, pourquoi les grands sujets numériques sont si peu abordés dans ce débat des municipales ? Pour Thierry Vedel, Chargé de recherche au CNRS, « les grands sujets technologiques se jouent plus sur le plan national et européen » et c’est en partie ce qui explique que « la vie de la cité » prime sur « la vie numérique » dans les municipales. Les sujets numériques étant souvent réservés au domaine du privé. Le terrain sur lequel les candidats se positionnent le plus souvent est donc la lutte contre les plateformes.
C’est un sujet très médiatisé et dont les effets sont directement visibles aux yeux des habitants de Paris. Carence de logements, prolifération de coursiers à vélo, de chauffeurs uber… les effets de l’ubérisation sont très visibles et médiatisés à outrance ces dernières années. Si tous les candidats concentrent leurs efforts sur cette problématique c’est avant tout parce que les Parisiens peuvent se sentir directement concernés.
Pourtant, Thierry Vedel rappelle que « les très grandes collectivités territoriales sont assises sur un gisement d’or : les données sur leurs habitants ont une très grande valeur, notamment pour les sociétés tierces. A mon sens, le vrai enjeu de ces municipales, c’est le Big Data et de savoir si les collectivités vont céder ces données. »
Le dernier sondage d’Harris Interactive valide que c’est bien la propreté (54 %), la sécurité (47 %) et les transports en commun (38 %) qui préoccupent le plus les Parisiens. Ce qui poussent les candidats des municipales à proposer des mesures plutôt anecdotiques comparé au potentiel réel du Big Data. En matière de smart city, ces programmes répondent tous aux préoccupations quotidiennes des électeurs, mais il est difficile de cerner jusqu’où ils peuvent s’appliquer…
« La technologie crée des opportunités d’apporter de meilleurs services aux citoyens et de les inclure dans les décisions de politique publique, ajoute Thierry Vedel. Mais pas la peine de scander ‘Vive le numérique !’ s’il n’y a pas de réelle volonté politique derrière. Il faut sortir des schémas purement libéraux et garder à l’esprit que les collectivités territoriales peuvent être de véritables animatrices de la démocratie participative. »
Force est de constater que tous les candidats s’emparent de ces sujets d’ubérisation avec sérieux… mais sont-ils capables de proposer la même qualité de services que celles fournies par les acteurs du numérique ? A suivre avec ceux qui l’emporteront.